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État bourgeois

80 kmh : vitesse de la lumière révolutionnaire ou partialitarisme ?

La nouvelle mesure de limitation de vitesse imposée par le gouvernement de Macron pourrait sembler anecdotique si elle ne s'inscrivait pas en réalité dans une logique politique continue, celle de la contre-révolution.

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Par Loïc Chaigneau

Lecture 8 min

Note : cet article a été rédigé en 2018. Nous avons cru bon de le republier afin de montrer — suite notamment à la sortie récente de Sandrine Rousseau — la convergence objective entre le programme des candidats écologistes à la présidentielle de 2022, et les mesures macronistes de 2017 détaillées dans cet article.

Il est bien loin le temps où la voiture figurait en bonne place parmi les symboles de ce que l’opinion commune se représente comme un moyen d’accéder à une forme de liberté. Désormais, de la gauche institutionnelle ou écolo à la droite sécuritaire, l’automobile se voit accablée de tous les défauts : elle pollue, elle est sale, elle tue, elle est l’expression du plus pur individualisme ; bref, elle est un moyen détourné d’accuser celui qui n’a pas d’autre choix que d’en conduire une afin d’assumer le principe de réalité et de faire vivre ceux qui l’en accusent. Ainsi, et depuis juillet 2017, cette politique a notamment consisté à empêcher les conducteurs de vieilles voitures à moteur diesel de conduire dans Paris, tandis que les nouveaux modèles à moteur essence de 4X4, parfois bien plus polluants, continuent pour leur part de circuler. Après cette ignominie, voici désormais que le gouvernement compte imposer une nouvelle limitation de vitesse sur certaines routes nationales et départementales : 80km/h au lieu de 90km/h. Aussi anodin que cela puisse paraître à première vue, c’est en fait ici le même fil rouge qui commence à s’inscrire en profondeur jusqu’à en laisser des stigmates trop voyants : celui de la chasse aux prolétaires, orchestrée dans la logique continue de contre-révolution…

1. Le gouvernement a ses raisons que la raison ignore.

Les représentations avec lesquelles nous vivons actuellement sont propres à une période de crise dont on ne cesse, en boucle, de nous rebattre les oreilles. À en croire les campagnes des candidats aux élections, aussi diverses qu'elles soient, l’insécurité, indépendamment même des actes terroristes, règnerait partout en maître. Aussi, partout et sans cesse, toute mesure se présente dorénavant comme viable avec le seul prétexte de nous octroyer davantage de sécurité. Les mesures relatives au code de la route ne dérogent pas à cette règle, bien au contraire. C’est ainsi qu’au lieu d’étayer clairement les problèmes - s’il y en a - liés à la vitesse sur la route, beaucoup se contenteront d’insister sur la nécessité, pour plus de sécurité, de limiter davantage encore la vitesse légale autorisée. Aussi, à ce jeu là, il semble difficile d’y être opposé : qui serait prêt à militer pour plus d’insécurité en voiture ? D’autant plus quand il s’agit de mettre l’accent sur la vie d’un enfant, d’un parent ou d’un conjoint.

Or, si nous acceptons de regarder avec un peu de lucidité et d’objectivité les faits, plutôt que d’accepter un paradigme selon lequel l’insécurité sur les routes serait liée à la vitesse, le réel semble contredire le mélodrame ambiant. En effet, et d’abord, les routes sur lesquelles la vitesse maximale est autorisée, à savoir les autoroutes, sont celles où le moins de morts sont recensés chaque année (1). Pourtant c’est aussi sur ces autoroutes que l'on retrouve le plus grand nombre de contrôles de vitesse. Par ailleurs, l’excès de vitesse n’intervient qu’en troisième instance dans les cas d’accidents de la route, derrière l’usage d’alcool et de stupéfiants. De plus, ces derniers peuvent évidemment être couplés à la vitesse. En réalité donc, ce qui n’est pas dit, c’est que ce qui cause en majorité les accidents de la route, en dehors d’une consommation de drogues au volant, c’est le manque d’infrastructures viables et la contrainte, pour ceux qui n’en n’ont pas les moyens financiers, de se tourner vers des routes, notamment départementales, bien moins correctement aménagées que les autoroutes qui, elles, présentent un risque minimal pour les usagers.

À la lumière de ces faits, il nous faut comprendre dès lors que les intérêts recherchés ici ne sont pas la sécurité mais bien ceux d’un profit objectif, notamment pour des entreprises comme Vinci à qui la majorité des autoroutes appartiennent depuis que M. De Villepin les leur a vendues. C’est là aussi l’expression claire d’une lutte de classes qui ne dit pas son nom mais qui prend racine dans l’hégémonie culturelle contre-révolutionnaire de la classe dirigeante.

2. La voiture : instrument de liberté ou moyen d’oppression sur le producteur ?

Il faut rétablir un premier fait : la voiture est le moyen de locomotion le plus commun. L’automobile est l’outil de déplacement le plus accessible, tant d’un point de vue financier que technique ou pratique, pour la majorité d’entre nous.

Puis, il y a un deuxième point sur lequel il faut insister : la voiture, si elle peut être le moyen d’accéder à un loisir (partir en vacances, par exemple), reste avant tout le moyen qui rend possible la production, en permettant aux travailleurs de se rendre sur leur lieu de travail (ce qui peut occasionner, par ailleurs, un certain nombre de frais réels, quand il n’y a pas d’indemnités prévues). Aussi, la voiture demeure d’abord et avant tout un bien d’équipement nécessaire à la production et dont il est difficile de se passer au risque de perdre son emploi, dans notre mode de production. Ce n’est pas — ou pas seulement — par plaisir que nous achetons tel ou tel modèle, mais d’abord parce que nous en avons besoin.

Dans le même temps, il existe bel et bien des moyens de transport qui sont, eux, des biens de consommation, qui ne servent pas la production mais permettent uniquement à son propriétaire de jouir du luxe que ce bien lui offre : on songera dans les cas les plus explicites aux yachts, par exemple, qui ont été depuis détournés de leur fonction première de locomotion en mer… quand la voiture du quidam permet à peine d’entrevoir sereinement de longues distances en dehors de l’itinéraire établi pour aller de chez soi au lieu de travail et inversement.

La voiture est donc le moyen de locomotion des forces productives. Il est donc plus aisé de le discriminer et de l’attaquer lorsque ceux qui le condamnent ne connaissent que les aéroports des différents pays où ils se rendent, ou bien lorsqu’il disposent de jets ou yachts privés, ou même tout simplement d’un appartement suffisamment bien situé en ville afin de pouvoir se rendre à pied ou à vélo jusqu’aux lieux de leurs affaires. Mais tout cela ne représente qu’un roseau de monde à côté de l’étendue émergée qui le compose dans son ensemble.

Aussi, condamner l’automobile, c’est condamner le producteur. C’est opprimer celui qui n’a pas le choix d’être sur la route, dans les bouchons où les 80km/h sont de toute façon rarement atteints. C’est condamner celui qui travaille loin de sa famille à devoir prolonger encore ses heures d’attente. C’est le condamner à contrôler sans cesse sa vitesse avec la pointe de son pied sur le frein, ce qui occasionne une lassitude mentale et une fatigue souvent bien plus conséquentes que la vitesse elle-même, surtout sur des routes désertes. Mais sans cela, il se risque à recevoir une amende, en plus de la pénalité peut-être déjà perçue sur son salaire le matin du fait d’un retard minimal dû à la peur de dépasser de peu la limitation de vitesse : ce sera alors autant de minutes de sommeil en moins pour combler un temps qui lui échappe alors même qu’il l’emprisonne.

3. De l’idéologie sécuritaire à la gauche écologiste : même combat.

Devenez écologiste : privez-vous de voiture, privez-vous d’emploi, privez-vous d’argent, privez-vous de famille, privez-vous de vous-mêmes, la Terre s'en portera mieux.

Loin de moi l’idée de faire ici un faux procès à l’écologie politique, dont j’ai déjà parlé à plusieurs reprises dans mes écrits ou mes vidéos. Au contraire, il s’agit davantage ici de faire le constat objectif d’une alliance non dite entre un discours de classe dirigeante à visée sécuritaire et une certaine pensée prétendument de gauche et dite écologique. C’est la sauce Hidalgo : un Paris sans voiture, racheté par le Qatar, dont on sait les efforts qu’il produit pour minimiser son empreinte carbone. En somme : les prolos à vélo tandis que le grand Capital international s’évertue à polluer l’Humanité toute entière dans une spoliation constante de la valeur produite par le prolétariat de part le monde. Finalement, comme le signalait Brel, c’est peut-être d’abord la pollution morale et politique qui devrait à notre époque attirer notre attention.

Car enfin, c’est au sein de ce même monde soi-disant libre et où l’extorsion de la plus-value est à son acmé, que se produisent les catastrophe écologiques les plus conséquentes (que l'on songe seulement aux quantités de pétrole déversées en mer par certains magnats du baril sans qu’aucune législation internationale ne trouve à y redire quoi que ce soit). Mais il est plus aisé, là-encore, de voir la paille dans l’œil du voisin et de lui conseiller, dans un puritanisme sans précédent, un certain nombre d’attitudes visant à protéger une planète qu’il ne serait a priori plus en droit d’habiter, « salaud de pauvre ».

4. Réprimer l’automobiliste ou soutenir le déjà-là fonctionnel et alternatif des transports ?

À l’heure où la direction de la SNCF annonce la suppression de plus de 2000 emplois pour 2018 (2), la question des transports se doit d’être au cœur de nos préoccupations. Outre la vitesse, ce qui conduit à une forte mortalité sur les routes, c’est le nombre de kilomètres parcourus (3). Or, l’une des meilleures solutions pour remédier à cela se trouve dans les transports en commun. Là où le bât blesse, c’est qu’une fois encore le Capital poursuit sa logique systématique de permissivité avec le consommateur et de répression avec le producteur, qui se trouve en réalité être le même à des moments différents. Ainsi, la publicité ne manque pas de capitaliser sur les aspects libérateurs de l’automobile face aux alternatives collectives. Mais au même moment, cela permet au Capital de se retirer de tout investissement dans les frais qu’occasionne le véhicule, laissant ainsi à l’usager du véhicule la seule charge de son entretien, quand bien même sa voiture ne lui sert qu’à se rendre sur le lieu de son emploi.

C’est ainsi qu’une fois encore cette politique masque le réel au profit d’apparences qui ne manquent pas d’être levées dès lors qu’on s’attarde un peu sur la question. Une politique de sécurité routière réelle devrait d’abord consister en un investissement plus conséquent dans les transports publics et notamment ferroviaires, en particulier pour le transport de marchandises.

Finalement, la privatisation massive qui est en cours dans le secteur des transports publics peut se révéler comme la première cause de mortalité sur les routes. En effet, le Capital fait depuis des années le choix du « tout routier » afin d’extraire complètement du champ des transports ceux qui s’organisent de manière collective. Or, une réduction massive du trafic permettrait déjà de minimiser les risques de mortalité sur les routes.

Au lieu de cela, c’est une politique de flicage permanent (4) qui s’instaure et qui permet d’incriminer l’automobiliste, qui se retrouve seul et a priori dépourvu de réponse lorsqu’il semble devoir y faire face.

5. De la privation de nos libertés à la reconquête de la liberté.

Outre ce constat amer d’une situation qui tend à rendre la vie insupportable à ceux dont l’héritage a laissé des marques rouges quasi indélébiles qui ne peuvent être pardonnées par la classe dirigeante, nous assistons bien là à l’instauration d’un pouvoir, j’ose ici le néologisme, partialitaire. En effet, la notion de totalitarisme, d’un point de vue étymologique et non historique, renvoie davantage à l’idée que la totalité l’emporte sur la partie : bref, la démocratie réelle réalisée, le commun. Ici, c’est bien l’inverse ; c’est un partialitarisme, qui prend les habits de ce qui est habituellement décrit comme « totalitarisme », ou bien encore ce n’est que l’autre nom, plus politique, du capitalisme : chacun selon ses moyens et non selon ses besoins.

Aussi, une minorité s’octroie le droit d’en retirer à la majorité. Cette même minorité ose nommer « privilégiés » la majorité lorsque celle-ci entend défendre et poursuivre ses droits et conquêtes sociales. Il s’agit donc d’un partialisme abject au service d’une minorité qui détient le pouvoir.

Dès lors, un certain nombre de nos libertés politiques se voient réduites à peau de chagrin : insécurité sur les routes, état d’urgence… L’État de droit cède la place au contrôle permanent. Pour peu que vous fassiez l’erreur d’appuyer un peu trop sur votre pédale d’accélérateur, vous serez considérés comme un criminel ; en plus d’être un pollueur, un beauf, un mauvais électeur…

Dans ce cadre là, il est plus que jamais temps que les prolétaires de tous les pays prennent conscience de leur être de classe pour renouer avec leur liberté ontologique qui se constitue dans le collectif au détour du politique ! Aussi, les 80km/h ne seront plus que le souvenir vague d’une vitesse ayant engendré une révolution qualitative nécessaire.


Notes :

(1) Cf. données ONISR / BAAC
(3) Selon l'agence européenne du rail, il y a 52,6 morts pour un milliard de voyageurs parcourant un kilomètre en deux-roues, 4,45 en voiture (en réalité 5,2 en France), 0,433 en autobus, 0,156 en train.
(4) En 2015, les délits routiers représentaient 34% des délits faisant l'objet de condamnations par les tribunaux (280 600 condamnations auxquelles il faut ajouter 30 000 compositions pénales, soit 0,8% des titulaires du permis de conduire et 52% des contraventions de 5e classe). Les condamnations routières représentent quant à elles 21,2% des condamnations à des peines de prisons en 2015... Cf. Prévention de la récidive et individualisation des peines
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