Contre Zemmour et les faussaires, se réapproprier la France et son histoire
La dernière sortie de Zemmour, assimilant à la gauche le fascisme et le nazisme sur le plateau de CNews, est l’occasion pour l’Affranchi de riposter face aux impostures intellectuelles de la droite réactionnaire, en vue d’une réappropriation collective de notre pays et de son histoire.
Hier soir, lors de la tristement célèbre émission « Face à l’Info » de la non-moins calamiteuse chaîne de télévision CNews, Eric Zemmour, qu’on ne présente plus, a encore frappé sur la table du poing rageur de la stupidité crasse, de la fainéantise et de toute la rigueur sophistique requise pour avoir droit à une tribune quotidienne sur les plateaux infâmes de M. Bolloré. J’ai donc écouté l’homélie de M. Zemmour, du père Zemmour, et je suis encore un peu ébloui.
L'extrait en question :
Le mouvement fasciste naît à gauche, Mussolini appartenait au parti socialiste. Le parti nazi est aussi de gauche.#Facealinfo pic.twitter.com/9k33ZAFERr
— Eric Zemmour (@ZemmourEric) June 23, 2021
M. Zemmour, lourdement armé de ses références historiographiques éculées depuis plus de cinquante ans et probablement également de ses lectures assidues de commentaires Facebook et autres tweets fins et acerbes, a affirmé sans trembler que les mouvements fascistes historiques étaient « de gauche », assimilant implicitement qu’il n’y aurait qu’un pas entre le communisme et le nazisme, vérité que les élites intellectuelles françaises, probablement au service du KGB, tenteraient de dissimuler. Le tout en souriant malicieusement en direction de sa camarade et complice Christine Kelly, probablement subjuguée par la qualité du travail d’historien proposée par ce d’Artagnan de sous-préfecture, ferraillant courageusement contre les vents et les marées de l’idéologie dominante.
Car il en faut, en effet, pour oser affirmer que Mussolini, prénommé Benito par son père en hommage à un révolutionnaire mexicain, se faisait lire du Karl Marx au berceau avant d’aller se coucher. Que le même Mussolini fut un transfuge du Parti Socialiste Italien. Que les nationaux-SOCIALISTES (le mot socialiste est important, messieurs dames, pensez à insister pompeusement dessus lors du prochain repas de famille au cours duquel vous chercherez à impressionner vos proches), dans leur grande mansuétude, avaient consenti à offrir à leur peuple de belles voitures rutilantes et de grands voyages de croisière. Que le goulag sibérien, déjà décrit de manière prophétique par Dostoïevski dans les Souvenirs de la maison des morts, ressemble à s'y méprendre aux camps de la mort d’Europe orientale. Rien ne nous est épargné par les logorrhées zemmouriennes, pas même la barbante reductio ad Stalinum. Selon M. Zemmour, la stratégie antifasciste de nos gauchistes actuels n’aurait rien à envier à la propagande du Vojd (1) et en serait même l’héritière légitime et directe : des révolutionnaires bolcheviks organisés et disciplinés aux jeunes porteurs de sarouels dépourvus de soins de toilette de la faculté de Saint-Denis en passant par les jeunes Völkisch (2), même combat. Les uns se battaient à coups de brochures, de manifestes, d’éducation populaire, de phalanges, de baïonnettes et de fusils-mitrailleurs. Les autres luttent à coups de fils Twitter et de stickers collés impitoyablement et triomphalement dans les toilettes des bibliothèques universitaires, voilà tout.
Il fallait bien au moins un Zemmour pour oser asséner ces vérités que personne ne veut entendre, que personne n’a jamais lues nulle part et qu’une société française bolchevisée par trente ans de pouvoir socialiste enferme sous une lourde chape de plomb, de peur de s’attirer les foudres du gouvernement soviétique des camarades Emmanuel Makronov et Jean Casteïevitch ainsi que les houspillages d’une Education Nationale à la solde du Komintern (3). Tremble, Nomenklatura (4). Tremblez, historiens crypto-soviétiques de la Sorbonne et autres “philosophes” de plateaux télés, le Maurice Barrès du XXIème siècle vous frappe où il veut, quand il veut. Il a pour auxiliaires des tireurs d’élites tels que MM. Lannes et Rochedy, ardents avocats d’une histoire de France « trop stylée » (sic) dont la culture surpasse de très loin (selon ses dires !) les doctorants de Sciences Po, ou encore des individus tels qu’Adrien Abauzit, qui n’ont rien de moins que la brillante idée de faire l’histoire de Vichy par les mémoires des dignitaires dudit régime. Que c’est pratique, dès lors qu’ils se réhabilitent eux-mêmes ! On ne saurait oublier le triste sire Ugo Jimenez, dit « Petit Papa » en bon français, ersatz contrefait de Triboulet pour qui le communisme s’arrête entre midi et deux et pendant les vacances scolaires.
Revenir sur les absurdités historiques débitées par Zemmour une à une et dans le détail tiendrait de la gageure, et je préfère laisser ce sacerdoce à des gens infiniment plus brillants et qualifiés que moi. L’homme s’était déjà illustré il y a deux ans dans son Destin Français, qui reprenait une historiographie maintes fois détricotée pour défendre la thèse poussiéreuse du glaive et du bouclier et réhabiliter la figure du maréchal Pétain en vue d’objectifs bassement politiciens (l’union des droites françaises, libérale et réactionnaire-traditionnaliste). Il suffira ici de rétablir l’honneur du mouvement communiste historique et de ses combattants, pour beaucoup morts sous les balles fascistes, torturés et mutilés dans les geôles de la Gestapo, de l’OVRA italienne et de la Milice française, de tous ces syndicalistes, militants et activistes arrêtés et embastillés dès les premières heures du Ventennio et du règne hitlérien, des 27 millions de soviétiques sacrifiés pour renvoyer le fascisme dans le caniveau pestilentiel dont il n’aurait jamais dû sortir. Il suffira, en outre, de rappeler combien le patronat a tendu le bras sous les vociférations du petit caporal autrichien et sous les coups de menton du consul de Predappio, tout effrayés qu’ils étaient par l’hégémonie grimpante des partis communistes européens et des Fronts Populaires. Inutile également de s’étaler trop longuement sur les amitiés des dignitaires nazis dans la haute-finance et dans l’industrie allemande, les financements des groupes squadristes mussoliniens, payés par la bourgeoisie pour mater les grèves à coups de matraque, les affaires faramineuses des grands capitalistes internationaux dans le IIIème Reich.
Il est en outre tout à fait connu que les mouvements fascistes se sont quasiment toujours présentés comme révolutionnaires et ouvriéristes par pure démagogie, et qu’ils se sont pour cela largement inspirés de la rhétorique des organisations communistes et socialistes de l’époque. Pour couper court à cette vision romantique, je m’autorise ici à citer un extrait des Décombres de Lucien Rebatet, illustrant parfaitement ce que pensaient les intellectuels fascistes (« par poésie », disait Brasillach !) des années 1930 de ces ouvriers sales, manipulés, vulgaires et matérialistes, qui votaient Front Populaire et fêtaient la conquête des congés payés arrachés à leurs exploiteurs :
« Jules Renard, dont j'aime à croire qu'il n'eût jamais été un socialiste à la mode du Front Populaire, disait trente ans plus tôt aux Buttes-Chaumont : “Oui, le peuple. Mais il ne faudrait pas voir sa gueule”. Les dieux savent si on la voyait ! Ça défilait à tout bout de champ, pendant des dimanches entiers, sur le tracé rituel de la République à la Nation. Il y avait les gueules de la haine crapuleuse et crasseuse, surtout chez les garces en cheveux. Il y avait encore à profusion le prolétaire bien nourri, rouge, frais et dodu, dans une chemisette de soie, un pantalon de flanelle, d’étincelants souliers jaunes, qui célébrait avec une vanité rigolarde l'ère des vacances à la plage, de la bagnole neuve, de la salle à manger en noyer Lévitan, de la langouste, du gigot et du triple apéritif. Le peuple, dans ces revues, était entrelardé de cohortes maçonniques, arborant d'incroyables barbes toulousaines, et des bannières, des ceintures, des scapulaires bleus et roses de congréganistes, sur des ventres de Tartarins. »
Peut-être eût-il fallu que, comme lui, sombre rat endimanché dans son costume décoré d’un nœud-papillon, le peuple allât cirer les bottes de cuir Hugo Boss jusqu’à Sigmaringen (5) pour espérer une place de choix dans la Neue Europa.
Et qu’on ne vienne pas nous rebattre les esgourdes avec le fameux Pacte de 1939, auquel Staline n’aurait jamais consenti sans la trahison de Munich et les tiédeurs feintes et volontaires de la France et de l’Angleterre, qui rêvaient de voir les bottes allemandes écraser le bolchévisme. L’historienne Annie Lacroix-Riz a déjà démontré tout cela de manière remarquable dans ses travaux, jamais sérieusement critiqués, ainsi que les compromissions des élites françaises, qui ont largement souhaité et préparé la défaite de notre patrie pour la livrer aux mains germaniques (6).
De surcroît, les appels répétés des chefs communistes dès 1940, comme celui de Charles Tillon dès le 17 juin, ainsi qu’un grand nombre d’actions clandestines organisées par des membres du Parti ou des Jeunesses communistes suffisent à couper court au mythe d’une résistance tardive, qui n’aurait été qu’une réaction à l’Opération Barbarossa. Ces allégations ne déshonorent que ceux qui les profèrent. Ceux-ci sont d’ailleurs des gens mesquins et de petite valeur à côté d’hommes tels que Léon Landini, résistant FTP-MOI torturé par Klaus Barbie, ou tels que le philosophe Georges Politzer, fusillé par la Wehrmacht au Mont Valérien. Ces hommes et ces femmes se sont battus pour la France, pour le drapeau, et doivent être considérés avec tous les honneurs qui leurs sont dus, en qualité de communistes et de patriotes français.
Ces rappels faits, nous pouvons désormais attaquer le sujet sous un angle bien plus large. Car Zemmour est loin d’être le seul à entretenir une vision de l’histoire tronquée, faussée sous les coups de boutoirs d’une idéologie réactionnaire, rétrograde et dont la vision de la France ne correspond qu’au fantasme résultant d’une névrose profonde, qu’il est impératif de ne pas mépriser, mais de comprendre afin de la combattre avec la plus grande efficacité. Nous avons cité plus haut les sbires de l’éditocrate bourgeois du Figaro, qui sévissent, eux, non pas dans les journaux traditionnels, ni sur les plateaux télés. Leur terrain d’expression privilégié est la plateforme internet, lieu de refuge de la jeunesse française déclassée. Le succès de personnages tels que Papacito et Rochedy n’est pas à mépriser et balayer d’un revers de la main, voire à traiter uniquement par l’indignation, main plaquée sur une bouche béante, de nos chers journalistes de gôche. En particuliers ceux de Mediapart, qui se contentent de recenser les « punchlines » les plus outrancières desdits influenceurs de droite en faisant l’économie d’une analyse sérieuse des conditions historiques, des rapports sociaux et du chiaroscuro qui font surgir de telles créatures. Ainsi, de même que les forces progressistes n’ont pas voulu ou su voir le succès d’un Alain Soral, qui, quoiqu’on en pense, a tout de même largement participé à la bascule d’une portion significative de la jeunesse vers le vote Front National avant de décliner, elles seront de nouveau balayées par cette nouvelle vague de Youtubers de droite qui occupent déjà l’espace, que nous le voulions ou pas. On ne peut comprendre la fascisation de la société française si l’on ne comprend pas que les rires que déclenchent les saillies provocantes et stupides de Papacito sont autant de cris de désespoir lancés par la jeunesse de France.
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Car, oui, la bourgeoisie nous a tout pris, à nous Français. Elle nous a réduit à l’état d’esclaves à travers les chaînes de l’emploi capitaliste et nous a culpabilisés dès lors que nous ne voulions pas rentrer dans le rang. Elle nous a volé nos rêves, nos aspirations, nos perspectives d’avenir, notre amour-propre : les jeunes adultes sont devenus des personnage gris, las, profondément seuls, enfermés entre les quatre murs de leur chambre de bonne, la tête prise sous l’étau d’un bonnet de laine noir, fumant cigarette sur cigarette entre deux films pornos avant de se coucher pour reprendre leur vie monotone vers un emploi aliénant en fast-food, tout ça pour financer des études aux débouchés peu enthousiasmants. À ces jeunes adultes, on a dit qu’ils devaient avoir honte de ce qu’ils sont et on les a rendus responsables de leur propre misère. Car enfin, la bourgeoisie s’est arrogé le droit de propriété sur l’histoire de la France, celle de notre peuple, de nos luttes, de nos victoires. Elle a décidé que cette histoire était celle de mâles blancs au cul terreux, machos, oppressifs et héteronormés, et qu’il fallait la déconstruire pour mieux dégringoler dans la mondialisation heureuse qui nous était promise. En 2007, elle a trahi notre peuple en votant sans vergogne la modification de la Constitution et la ratification du Traité de Lisbonne, contre le rejet massif des Français par voie référendaire. La gauche radicale, elle, lui a misérablement emboîté le pas au nom d’un sans-frontiérisme hors-sol et d’un cosmopolitisme mondialiste.
Zemmour et ses dérivés ne nous offrent guère mieux. Ils ont toutefois eu le mérite, aux yeux d’une partie non négligeable du peuple français, de leur avoir dit qu’ils avaient le droit d’être fiers de ce qu’ils étaient, de ce que leurs parents, grands-parents et arrières-grands-parents avaient construit. Mais leur vision de l’histoire est une nouvelle fumisterie, car elle met en avant la conception fantasmagorique d’une France qui n’a jamais existé, à travers l’exaltation et la fétichisation de symboles et un anticommunisme rance qui fait fi de ce que le Parti historique des travailleurs français a permis d’obtenir, des congés payés au régime général de la Sécurité Sociale, en passant par la résistance héroïque face à l’occupant allemand, débouchant sur le programme des Jours Heureux. L’histoire « trop stylée » (sic) que nous vendent les gens comme Julien Rochedy n'est qu’un symptôme supplémentaire du nihilisme ambiant, une nouvelle régression anthropologique qui croit réactiver nos rêves alors qu’elle est tout aussi morbide que les fictions de la bourgeoisie cosmopolite. Elle ne nous mènera qu’au fascisme, aux tensions identitaires et à la « guerre civile entre pauvres » dont parle très justement le philosophe communiste Michel Clouscard.
Face à cela, toutefois, nous sommes loin d’être désarmés. Nous avons avec nous la raison, l’histoire, l’étude, la discipline qui, seules, permettront de reconnecter le prolétariat élargi français à son histoire. Pas de politique de l’autruche, pas d’abandons : en 1945, les communistes savaient qu’ils « continuaient la France ». De Jeanne d’Arc au Conseil National de la Résistance en passant par la Commune de Paris, ils assumaient et embrassaient tout d’un seul et même mouvement. Aussi, dans cette tradition, et si nous voulons vaincre, nous assumerons la France des rois et des empereurs, celle de 1789, des héros de la commune et des communistes. Mais aussi, et nous n’aurons pas le choix, ne pas fermer les yeux sur son versant réactionnaire, car le progrès historique ne s’est pas fait sans contradictions et contre-tendances. La Révolution est à la fois l’histoire des sans-culottes et des chouans, celle de 1871 est celle des communards et des versaillais.
Il s’agit d’assumer la France comme un tout, sans fétichisation, sans idéalisme, sans recherche effrénée et désespérée de l’homme fort et providentiel : l’histoire seule, cueillie à même le sol, débarrassée de ses fantasmes et de ses entraves nihilistes, dans laquelle les masses ont un monde à gagner.
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Et si l’on tient tant aux grandes figures, que l’on s’attache à celle de Maurice Thorez, grand chef historique du PCF et créateur du statut de la fonction publique. Celle de Marcel Paul, à l’origine d’EDF, ou encore celle d’Ambroise Croizat, ancien ouvrier métallurgiste, ministre communiste de 1946, qui a instauré le régime général de la Sécurité sociale. Nous pourrons alors fredonner à nouveau les chansons de Charles Trenet La Mer et Route nationale 7, expressions esthétiques de la joie des travailleurs français de partir en vacances grâce aux congés payés. Nous retrouver sur les ronds-points, dans les salles de cinémas, dans les cafés, dans les organisations révolutionnaires, pour nous réapproprier collectivement notre pays et la sociabilité dont le néo-capitalisme rêve de nous priver.
En somme, nous devrons nous emparer d’un héritage qui nous revient de droit et prolonger nos conquis révolutionnaires pour redevenir les maîtres de notre destin.
Je laisse le poète conclure :
« Mon pays…
Alors nous chantions tout bas à notre manière. Les refrains murmurés se propagent fort bien. Vous savez, quand, sur les trottoirs d’une grande ville, reprenant à un passant l’air entêtant qu’il sifflait, vous le transmettez sans vouloir à cet autre homme croisé, qui plus loin s’en va et le porte. Notre chanson s’enfla, reprise et multipliée. Quels échos infinis recèle un peuple, quels mystères ! Notre chanson montait aux lèvres, sans qu’on sût presque qu’on chantait. Mon pays devenait un grondement profond et sourd comme la mer quand elle approche des falaises, comme le bateau trépidant devant le port. Mon pays devenait le chant même du monde, la musique où se résument enfin tout l’espoir et tout le désespoir, mais qui grandit de la volonté de vaincre de l’homme sur la nature et sur lui-même. Mon pays arrivait dans la nuit vers les régions où commence la lumière, il pressentait l’aurore, il savait qu’elle est un combat, qu’elle a dans sa pâleur des sanglots et du sang. Mon pays qui chantait abordait la lumière !...
Alors la diane française sonna. » (7)
Comme nos aînés, faisons sonner la diane française. Et comme disaient les communistes dans le film de Renoir, LA VIE EST À NOUS !
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Notes :