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Manifestation

Doit-on sauver la police ?

La polémique générée par la manifestation de policiers qui a eu lieu aujourd'hui révèle des désaccords importants au sein de la gauche. Mais loin de clarifier les choses, cette polémique nous plonge dans un brouillard où l'on peine à se repérer.

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Par Bastien C.

Lecture 6 min

Aujourd’hui a eu lieu une manifestation des policiers suite à l’appel à manifester de l’intersyndicale de la police pour témoigner leur émotion face aux assassinats récents de deux agents. Ce qui devait être une marche rassembleuse est pourtant devenu l’objet d’une vive polémique.

Immédiatement la confusion a été semée par des syndicats d’extrême-droite, qui ont voulu transformer cette marche en une manifestation visant à obtenir satisfaction sur des revendications qui ouvrent un peu plus la voie à l’arbitraire de la répression.

De plus, des politiciens qui couvrent un spectre politique s’étalant du RN au PS en passant par le ministre de l’Intérieur lui-même (chose assez inédite et grave pour le souligner) ont rapidement annoncé leur participation à cette manifestation.

Malgré cela une partie de la CGT police, suivie par Fabien Roussel, l’actuel secrétaire national et candidat à la présidentielle du PCF, a maintenu sa participation à cette manifestation afin de rendre hommage à la mémoire des policiers assassinés, mais aussi pour ne pas abandonner la question de la sécurité à la droite et l’extrême-droite (1) du spectre politique actuel.

À l’opposé, et à la suite du syndicat VIGI police (2), toute la “gauche radicale”, et notamment La France insoumise emmenée par Jean-Luc Mélenchon (3), a refusé de participer à cette marche en raison de la présence du RN et du gouvernement, ainsi que des revendications portées par cette manifestation.

Le PCF se voit alors accusé de collusion avec l’ordre établi, voire de s’être rallié sans condition à une police vue comme coupable d’innombrables violences depuis l’automne 2018. En participant à cette manifestation, le PCF ferait le jeu de l’extrême-droite en allant sur son terrain et trahirait son histoire.

Face à cette grande confusion nous nous devons d’essayer de prendre du recul sur la question et de faire un effort de compréhension sur la situation dans laquelle nous nous trouvons. C’est à cette condition que nous pourrons avoir une position claire, qui n’élude pas l’inquiétante transformation de la police en milice privée de la classe dominante, tout en réaffirmant le caractère essentiel du service public que les forces de l’ordre fournissent au quotidien.

La violence comme mode de gestion systématique des mouvements sociaux

Parmi les nombreuses choses que le mouvement des gilets jaunes a permis de révéler il y a maintenant plus de deux ans, il faut compter les violences policières systématiques contre les manifestants. Alors qu’elles étaient jusque-là cantonnées dans les banlieues sans intéresser grand monde, la France entière a enfin pu découvrir jusqu’à quel degré de violence un gouvernement “libéral” est prêt à aller lorsque l’ordre qu’il défend est menacé.

L’appareil répressif d'État, les forces de l’ordre, et son appareil idéologique, les médias et nombre d’intellectuels, ont été entièrement mis au service d’une seule cause : maintenir à tout prix l’ordre actuel, celui du capital. Bien loin de s’être atténué, ce mode de gouvernance est maintenant devenu la norme. Tout mouvement social est systématiquement réprimé par la force brute, et les médias assurent le service après-vente en dénonçant la prétendue violence des manifestants.

La situation a atteint une gravité que l’on ne saurait nier.
D’une part il y a, du RN jusqu’à une partie du PS, une totale négation des violences policières. Les forces de l’ordre n’agiraient qu’en utilisant la seule force nécessaire face à des manifestants de plus en plus violents et menaçant l’ordre républicain. Il n’y aurait que deux camps, pour reprendre les mots du préfet Lallement : « le camp de l’ordre et celui du désordre ».

Le relai médiatique de ce discours va jusqu’à convaincre une partie non négligeable de la population que ce sont les mouvements sociaux qui sèment le désordre, détruisent la France et contraignent, par leur violence, la police à user de la force.

D’autre part, certains mouvements contestataires voient dans cette violence d’État une confirmation de leur pensée dogmatique. La police est selon eux intrinsèquement mauvaise et répressive. Il n’y a plus une seule manifestation où nous n’entendons pas ce slogan être crié : « Tout le monde déteste la police ! ».

Alors que pour faire face à une classe dirigeante de plus en plus autoritaire il faudrait une alliance de tous les prolétaires, c’est l’exact inverse qui se produit. La population est scindée en deux camps ennemis, et les fonctionnaires de polices sont contraints de réprimer des personnes avec lesquelles ils ont pourtant les mêmes intérêts objectifs.

L’image des forces de l’ordre matraquant et gazant des pompiers est restée dans les esprits. Michel Clouscard nous avait pourtant prévenu en écrivant « Le capitalisme apportera la guerre civile chez les pauvres ».

Le respect des lois est une condition de la liberté individuelle et collective

Cette situation résulte-t-elle d’une nature intrinsèque de la police, ou encore d’un ensauvagement des policiers ? Répondre par l’affirmative serait passer à côté du problème principal. Ce problème est politique et non psychologique.

Les membres des forces de l’ordre ne sont pas utilisés comme des gardiens de la paix mais comme une milice privée au service d’une caste. Le rôle d'une police républicaine, qui consisterait à garantir le respect des lois qui permettent la liberté de tous, a été détourné pour qu’ils ne soient plus que le bras armé du capital en crise (4).

Rousseau avait pourtant bien indiqué quelles sont les conditions de la liberté de tous et quel rôle l’appareil d'État remplit dans une société où la liberté est effective.

Citons cet extrait des Lettres écrites sur la montagne rédigé par Rousseau : « Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois : dans l’état même de nature l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n’obéit qu’aux lois et c’est par la force des lois qu’il n’obéit pas aux hommes. Toutes les barrières qu’on donne dans les républiques au pouvoir des magistrats ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l’enceinte sacrée des lois : ils en sont les ministres non les arbitres, ils doivent les garder non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son gouvernement, quand dans celui qui le gouverne il ne voit point l’homme, mais l’organe de la loi. En un mot, la liberté suit toujours le sort des lois, elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain. »

Rousseau nous explique ici que la loi que je fais mienne garantit ma liberté et celle des autres. Souscrire à cette loi est une libération : c’est librement que nous choisissons de la respecter puisque c’est nous-mêmes qui l’avons énoncé.

C’est un renversement total de la loi de nature dans laquelle c’est la nécessité qui gouverne, c'est-à-dire l'impossibilité de choisir. Si nous étions déterminés uniquement par la nature notre existence ne consisterait qu’à survivre en satisfaisant nos besoins physiologiques élémentaires (boire, manger, déféquer, dormir, se reproduire).

Entre hommes ce serait la loi du plus fort, et il n’y aurait pas de société possible car sitôt que l’un deviendrait le plus fort, il serait immédiatement dépassé en force par un autre (ou plusieurs autres) qui le renverserait.

La liberté est donc bien « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite ». C’est bien aux lois qu’il faut obéir, et non aux hommes qui les éditent. Ceux qui gouvernent ne sont pas là pour prescrire des lois mais pour garantir le respect desdites lois. Ici, il faut distinguer les maîtres des chefs. Les chefs sont ceux qui nous amènent à respecter les lois auxquelles nous avons décidé d’obéir.

À l’inverse les maîtres sont ceux qui détournent le pouvoir qu’on leur a confié pour servir leurs intérêts particuliers contre l’intérêt général. Ainsi, si les chefs sont des “organes” indispensables des lois, les maîtres, eux, sont des tyrans.

Le détournement de la police par la classe dominante

Il est clair que l’oligarchie qui nous dirige est un maître à plusieurs têtes, au lieu d’être un chef. Elle s’est emparée de l’appareil répressif d’État, à savoir la police et l’armée, pour mater les contestations et les revendications qui vont à l’encontre des impératifs de l’économie capitaliste.

Ainsi, les forces de l’ordre ne sont plus utilisées pour garantir le respect des lois et de la république, mais pour protéger cette oligarchie, y compris lorsque les ordres qui leur sont adressés sont en dehors de toute légalité. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que l’Union Européenne pousse dans le sens de la suppression des polices nationales pour les remplacer par une police européenne.

Si des policiers français peuvent encore avoir quelques réticences à brutaliser leurs compatriotes, il y a fort à parier qu’elles disparaitront lorsqu’il s’agira d’aller mater des Polonais. De même des policiers polonais pourront être envoyés en France pour réprimer sans état d’âme des Français trop remuants aux yeux du pouvoir.

La destruction du service public est à l'origine du problème auquel nous faisons face

Les forces de l’ordre n’ont bien entendu pas conscience du phénomène que nous décrivons, ou du moins n’accèdent pas à la compréhension globale de la situation pour leur grande majorité. Ce phénomène s’inscrit dans une logique plus globale qui est celle de la destruction des services publics.

La méthode de destruction d’un service public est on ne peut plus connue : d’abord les gouvernements commencent par supprimer les moyens matériels nécessaires au bon fonctionnement du service public en coupant les subventions et en baissant considérablement les effectifs.

Le service concerné ne peut alors plus remplir sa fonction et les dysfonctionnements s’accumulent. C’est alors l’occasion pour nos idéologues libéraux de dénoncer le manque d’efficacité du public par rapport au privé.

En exploitant le mécontentement légitime des citoyens, ils peuvent ainsi introduire la logique du privé, à savoir celle du profit, dans le service public et finissent à terme par privatiser intégralement ce service (5).

Certes ce n’est pas encore le cas de la police nationale mais comment pourrait-on nier le manque d’effectif dans ce corps d’état, ou encore le délabrement croissant des commissariats et du matériel nécessaire aux policiers ? (6)

À cela, s’ajoute une mise sous pression de plus en plus écrasante des policiers. Pour gagner des points et être valorisé par le commissaire il faut augmenter le nombre de contraventions, faire du chiffre que le ministère de l’intérieur pourra utiliser politiquement.

Face à cette pression et à l’impossibilité d’exercer correctement leur métier dans de nombreux quartiers délaissés par les gouvernements successifs (et non par la république) il n’est pas étonnant que beaucoup de policiers sombrent dans la dépression, allant même jusqu’à retourner la violence qu’ils subissent contre eux en se suicidant.

La police est un service public essentiel à la nation et aux travailleurs

Pourtant, les forces de l’ordre répondent à une valeur d’usage qui n’a pas prix : la sécurité. Il serait grave pour des communistes ou tout autre organisation se déclarant du côté des travailleurs de négliger l’importance de la sécurité pour ces derniers.

C’est un droit essentiel du prolétariat (et cela comprend aussi les travailleurs sans papiers) qui, depuis qu’il a été relégué dans les banlieues ou le périurbain, doit supporter quotidiennement la petite délinquance et le crime organisé.

Les bourgeois et les salariés les plus aisés n’ont pas à subir ces nuisances, car quand on vit dans les beaux quartiers et dans les résidences privées, l’insécurité n’existe pas ou alors sous une forme extrêmement euphémisée.

Mais le bien précieux qu’est la police républicaine pour le prolétariat, le capital n’en a que faire. Pour les capitalistes, et le gouvernement qui est leur fondé de pouvoir, seul ce qui permet d’étendre sa sphère de profit et la protéger a de la valeur. La police doit donc devenir un moyen de maintenir son ordre, celui de la marchandise généralisée.

En cela la gouvernance de Sarkozy, entre 2007 et 2012, a été exemplaire, notamment à travers la suppression de la police de proximité pourtant très utile dans les “quartiers difficiles”. Sa présence quotidienne permettait aux policiers d’établir des rapports de confiance avec la population. Ils n’y étaient pas seulement pour sévir, mais aussi pour régler les problèmes que rencontrent les gens.

Avec sa suppression c’est maintenant le contraire que nous observons. La police n’y va plus que pour des opérations spectaculaires de répression et il est devenu quasi impossible pour des policiers de se rendre dans certaines banlieues sans être les cibles d’insultes et d’agressions physiques.

De la nécessité de dissiper la confusion qui règne

L’extrême confusion qui résulte de tout cela empêche toute action commune contre l’ordre capitaliste. Les forces de l’ordre apparaissent comme des ennemis du peuple, servant uniquement à réprimer les manifestations tandis que dans le même temps les services quotidiens, comme les arrestations de délinquants, les interventions sur les lieux d’accidents, ou encore la protection de victimes de violences, que la police peut encore rendre, sont invisibilisés.

À cette confusion s’ajoute le fait que les plus grosses bévues en manifestation sont le fait de policiers non formés à l’encadrement de mouvements sociaux, notamment la BAC. Cela répond encore une fois au manque d’effectifs dans les rangs des CRS mais aussi, et même surtout, à une gestion volontairement chaotique et brutale de la part des préfectures aux ordres du ministère.

Pour dissiper ce nuage de confusion il faut se rappeler que tout cela n’est que le résultat des politiques de casse du service public lors des 40 dernières années. Comme l’éducation nationale, la police est un corps malade qui sert à passer l’éponge derrière une classe capitaliste qui nous montre une nouvelle fois que le libéralisme révèle toujours sa face fasciste lorsque la crise menace le maintien du mode de production capitaliste.

Conclusion

Face à l’émotion et à la colère légitime que suscitent en nous les violences policières dirigées contre des femmes et des hommes qui portent par leur travail toute la société, il faut faire un effort de compréhension globale, refuser de céder le pas à nos impulsions.

Ce n’est qu’en saisissant le processus qui nous a conduit où nous en sommes que nous pouvons diriger notre action efficacement.

Tout le monde déteste la police oui, mais seulement celle de Macron et de son gouvernement répressif. Tout le monde aime la police du quotidien, celle qui garantit les lois et notre liberté.

Alors policiers ! Sachez reconnaître les situations où vous ne devez pas obéir ! Rejoignez-nous, nous le peuple de France en lutte.


Cet article reprend en grande partie une vidéo de Loïc Chaigneau où il nous proposait son analyse de l'utilisation des forces de l'ordre lors du mouvement des gilets jaunes. Vous retrouverez cette vidéo ci-dessous

fond blanc

(1) Avec ces termes nous comprenons aussi le PS et EELV

(4) Ce passage pourrait sembler révisionniste au lecteur marxiste. Pourtant, nous ne nions pas non plus que la police est une des expressions de l'État bourgeois. Mais justement, il faut aller plus loin et suivre les distinctions que Michel Couscard avait posées dans sa réponse à Claude Morilhat lorsqu'il écrit : « Ma thèse est que l’État est à trois dimensions, trois attributs dirait Spinoza, trois rôles, trois fonctions. L’État français n’est-il pas, quand même, aussi républicain ? Le gaucho-fascisme qui voulait détruite l’État n’aurait-il pas du coup, liquidé la République ? Peut-on définir l’État français comme si la Révolution Française n’avait pas eu lieu ? Aussi "le mythique État de la volonté générale" comme dit Claude Morilhat, me semble être au contraire, une composante très réelle, institutionnelle et constitutionnelle, que la théorie aurait grand tort de négliger car la conséquence serait une fatale erreur stratégique. L’État est aussi, et surtout évidemment, l’expression de la classe sociale dominante, l’émanation politique du mode de production ; je cite constamment "le capitalisme monopoliste d’État". Troisième dimension de l’État : il est l’État-nation. Il gère l’appareil infrastructural et superstructural de la Nation. Et là, je récidive: l’État est aussi, en plus des deux essentiels attributs cités, appareil de gestion, instrument d’une nécessaire planification et centralisation ou décentralisation qui pourrait même être dit «neutre» ... si cette gestion n’était pas, par excellence, le lieu d’affrontement de l’État républicain et de l’État capitaliste, de la contre-révolution et des droits de l’homme. »

(5) Pour aller plus nous vous renvoyons vers le dossier du Monde diplomatique sur la casse du service public

(6) Nous nous référons par exemple à cet article synthétique de Ouest france
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