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Ségrégation

Israël : la fascisation et l’apartheid se poursuivent

Le nouveau gouvernement israélien, marqué par la participation des franges les plus fanatisées de l'échiquier, signe un pas de plus vers l'effacement de l'État de droit. Une situation dramatique qui n'est que le développement logique d'une idéologie ethno-nationaliste.

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Un enfant palestinien et un soldat israélien devant la barrière de séparation israélienne
Un enfant palestinien et un soldat israélien devant la barrière de séparation israélienne (Justin McIntosh / Wikipedia)
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Par Romain C.
Lecture 15 min

Sombre année pour les Palestiniens, 2022 comptera parmi les années les plus meurtrières en Cisjordanie depuis la fin de la deuxième intifada (1), avec le meurtre de 192 Palestiniens dont 44 enfants et 7 femmes par les forces d’occupation israéliennes et les milices armées des colonies. Parmi ces tués figure la journaliste d’Al Jazeera Shireen Abu Akleh, abattue par les forces israéliennes d’une balle dans la tête alors qu’elle était en reportage dans la ville de Jénine en mai dernier, et dont la mort avait suscité de vives réactions, tant dans l'opinion publique palestinienne et arabe que dans la presse internationale. C'est à Jénine en tout cas, au Nord de la Cisjordanie, que la résistance armée palestinienne a repris du service depuis le printemps dernier, 20 ans après les massacres des camps de réfugiés de la ville qui marquèrent la deuxième intifada. Un regain de résistance que l'armée israélienne cherche à écraser à tout prix.

Et pour cause, Naplouse et Hébron, deux villes marquées par la résistance palestinienne, ont suivi, multipliant les attaques contre des check-points, des soldats israéliens ou des colons. Les « loups solitaires » sont aussi réapparus. Des individus isolés, sans passé militant ni affiliation de brigade, qui prennent les armes soudainement et commettent des attentats contre soldats ou colons. Depuis un an, on dénombre une trentaine de victimes dans les rangs israéliens.

Ce contexte d'intensification des violences aura eu raison du gouvernement Bennett-Lapid de centre droit qui avait éclipsé momentanément l'emblématique Netanyahou du pouvoir. Le nouveau gouvernement israélien, formé à l'issue des élections législatives anticipées du 1er novembre 2022, est considéré par les observateurs politiques et la presse internationale comme « le plus à droite de l’histoire du pays » et a suscité de larges inquiétudes chez les Palestiniens vivant dans les territoires sous occupation militaire (Cisjordanie et Gaza). Ce nouveau gouvernement (dit Netanyahou VI) comprend notamment les sulfureux ministres de la sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, et des finances, Bezalel Smotrich, qui sont tous deux représentants de partis de l'extrême droite radicale et suprémaciste israélienne, notoirement connus pour leur incitation à la violence contre les Palestiniens. Leurs positions et leurs propos sont une pure négation, sans ambages, du peuple palestinien dans son droit d'exister. Tous deux sont issus des colonies illégalement installées au cœur de la Cisjordanie occupée.

Le 3 janvier 2023 au matin, quelques jours seulement après son entrée en fonction, Itamar Ben-Gvir, escorté par la police, a foulé le sol de l’esplanade des Mosquées à Jérusalem. Un acte perçu comme une agression par les Palestiniens, plus de 20 ans après la provocation analogue d'Ariel Sharon qui avait lancé les hostilités de la seconde intifada en septembre 2000.

Mais c'est le jeudi 26 janvier dernier que l'armée israélienne a mis véritablement le feu aux poudres en réalisant une incursion particulièrement meurtrière dans le camp de réfugiés de Jénine, avec blindés, tireurs d’élite et bulldozers à l'appui. Au total, 10 morts, 29 blessés, des quartiers du camp transformés en ruines. Les morts de cette journée sordide s'ajoutant aux autres, conduisent à un total de 35 Palestiniens tués depuis le début de l'année 2023, dont des femmes, de très jeunes hommes et des enfants. Au rythme d'un tué par jour depuis le début de l'année, on peut envisager le pire pour l'année 2023, qui pourrait largement dépasser le nombre record de victimes de l'année écoulée.

Le lendemain, vendredi 27 janvier, un jeune Palestinien de Jérusalem a ouvert le feu et causé 7 morts parmi les colons de la colonie Neve Yakov dans Jérusalem-Est (partie de la ville réservée aux populations arabes mais illégalement annexée et colonisée depuis 1967). En guise de réponse, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a appelé à des politiques de représailles rapides et radicales dans tout le territoire palestinien. Netanyahu a aussi annoncé le projet de faciliter l’acquisition légale d’armes à feu par les Israéliens afin d'assurer leur propre défense contre les actes terroristes, tout en exhortant bien sûr les Israéliens à ne pas se faire justice eux-mêmes.

Rien de bien extraordinaire pour autant, car Israël est déjà un pays surarmé et hypermilitarisé dans lequel tirer sur un palestinien est quelque chose de très banal. Le ministre Ben-Gvir, quant à lui, a appelé à faciliter la procédure juridique conduisant à la peine capitale pour les « terroristes ». Une peine capitale qui, en effet, malgré son existence légale, n'est jamais prononcée par le juge (à l'exception de l’exécution d'Adolf Eichmann en 1962). Le sous-emploi de cette peine de mort de jure ne doit cependant pas occulter dans la réalité la peine de mort de facto administrée sans mollesse par l'armée israélienne d'occupation (que cela soit sous forme d'assassinats ciblés ou de bombardements aveugles) dans des proportions qu'il faudra bien un jour comptabiliser sérieusement. Il est à craindre par ailleurs que l'extension du droit de port d'arme n'affecte sensiblement les populations israéliennes des colonies dont les exactions envers les Palestiniens, de plus en plus récurrentes, pourraient dès lors s'intensifier.

Au lendemain de la provocation de Ben-Gvir sur l'esplanade des Mosquées, c'est le nouveau ministre de la Justice, Yariv Levin, qui entre en scène. Ce dernier a présenté et défendu un programme de réforme du système judiciaire impliquant un affaiblissement significatif du pouvoir de la Cour suprême (en permettant à la Knesset de suspendre par le vote majoritaire un arrêt de la juridiction suprême) qui jusqu'alors avait un pouvoir normatif supérieur au parlement. Outre que cette réforme constituerait un obstacle au pouvoir des juges considéré comme attentatoire à l'action légitime du gouvernement, ce pouvoir accru de la Knesset permettrait de voter une immunité judiciaire pour le Premier ministre Netanyahou, impliqué dans de sombres affaires de corruption. Enfin, la réforme vise à revoir le mode de désignation des magistrats de la Cour suprême afin de renforcer le poids des élus dans le processus, ce qui conduirait logiquement à la nomination de juges plus conservateurs, plus proches donc de la ligne actuelle du gouvernement.

Garante des libertés fondamentales et de l'État de droit, cette juridiction suprême, organe de compromis plus que de vrai contre-pouvoir, peut être vue comme la dernière pièce autorisant l'opinion occidentale à désigner encore Israël sous l'innocent vocable de « démocratie libérale », la Cour ayant même déjà rendu des arrêts favorables à des plaignants palestiniens. Ce contre-pouvoir (réel ou factice) à l'hégémonie conservatrice et néofasciste actuelle en Israël – et qui a bien souvent joué un rôle de bonne conscience hypocrite pour la gauche israélienne, notamment en reconnaissant quelques droits aux Palestiniens mais en refusant systématiquement de se prononcer sur la légalité de la colonisation – est en tout cas en voie de tomber, laissant libre cours aux forces proprement fascistes et criminelles, en lente germination depuis deux décennies et qui aujourd'hui atteignent logiquement leur pleine dimension.

Surplombant tel un aigle la vie politique de ces quinze dernières années, Benjamin Netanyahu aura réussi à incarner une forme de compromis politique inédit au sein de la nation israélienne. Non le compromis historique – à bien des égards vicié lui aussi – entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat dans le processus de paix d'Oslo visant à la coexistence des deux peuples sur la même terre, mais bien le compromis capable d'unifier la droite israélienne, en réunissant les camps nationaliste et ultraorthodoxe autour d'une xénophobie désormais sans obstacle juridique ni limite morale. Le nouveau compromis est bien celui-là : un seul peuple pour une seule terre, tous unis dans la négation absolue de cette sous-humanité encombrante qu'est le peuple palestinien. La logique jusqu’au-boutiste du sionisme en est là. À la suite des innombrables répétitions de cette farce macabre, plus le gouvernement israélien se droitise à l'infini, plus on presse, plus on prend la mesure de la possibilité concrète d'un passage désormais immédiat des mots aux actes.

Il ne faut pas se tromper : Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich ne sont pas la cause des violences actuelles, ils ne sont que les symptômes d'une radicalisation de la société israélienne tout entière. La « seule démocratie du Moyen-Orient », comme se complaisent à répéter les médias dominants, ne vient pas de basculer dans le fascisme un beau soir de novembre. Cet étrange et inquiétant pays patauge dans un proto-fascisme depuis bien longtemps déjà. En réalité, Israël devient ses actes. L'appareil d'État israélien prend de plus en plus la forme accomplie et la couleur réelle de la multitude des actes barbares qui jalonnent son histoire. Il ne faut pas s'en étonner. Quant aux Palestiniens, victimes et martyrs au centuple, s'identifiant plus que jamais aux morts, ils montreront encore par leurs actes de sacrifice maintes fois répétés la puissance du concept de nation, qui naît de l'adversité et parfois de l'impossible.

Aujourd'hui, que reste-t-il de la Palestine ? Concrètement, pas grand chose. Officiellement, ce sont toujours les accords de paix issus du processus d'Oslo de 1993 qui donnent encore un semblant d'existence à une entité politique palestinienne en réalité vidée de toute substance. Le processus qui devait donner naissance par étapes à un État souverain n'a jamais vu le jour. À l'orée du XXIᵉ siècle, le soulèvement de l'année 2000 et ses développements violents qui suivirent ont fait basculer les espoirs de paix dans les ténèbres. À l'accélération du processus de colonisation de la Cisjordanie aucun frein n'a été opposé, aucun leader charismatique n'est venu succéder à Arafat, ni aucun changement dans la géopolitique mondiale ou moyen-orientale n'a été capable de contredire politiquement et militairement le processus d'écrasement et d'étouffement de la nation palestinienne. Sans cohérence territoriale, pas d'État souverain possible ni de nation unie. Le processus de colonisation aura eu ce double but d'accroitre sur le plan démographique la présence d'une population juive particulièrement radicalisée sur le territoire palestinien et d'empêcher sur le plan géographique cette fois toute cohérence d'un hypothétique État palestinien en mitant le territoire d'une multitude de colonies de peuplement (on estime cette population à environ 1 million d'individus répartis par petites zones d'habitations sur toute la Cisjordanie). Enfin, la construction d'un mur de sécurité censé répondre aux attentats suicides (préparés en Cisjordanie et exécutés en Israël) a parachevé le plan d'encloisonnement, de surveillance et de harcèlement des Palestiniens par l'armée israélienne et les colons fanatisés. La nation palestinienne, quant à elle, se divise en quatre gros morceaux : en premier lieu les Palestiniens de Cisjordanie, sous occupation militaire, les Palestiniens de Gaza, sous blocus total, entassés jusqu'à l'étouffement et régulièrement bombardés, les Palestiniens vivant en Israël, notamment les Palestiniens de Jérusalem, qui ont des papiers israéliens et qu'on appelle aussi Palestiniens de 48 car descendants des populations qui sont restées sur le territoire sous contrôle israélien durant la guerre de 1948, et, enfin, la diaspora palestinienne.

À l'image des autochtones d'Amérique, « les Palestiniens seront-ils réduits à s’entasser dans des réserves de "Peaux-Rouges" ? » s'interroge Alain Gresh. C'est en tout cas à une logique d'apartheid irréversible qu'a mené la politique des gouvernements successifs de l'État d'Israël jusqu'à aujourd'hui, de la gauche travailliste des années Rabin et Peres à l'extrême-droite des Netanyahou et Ben-Gvir. Son but ? Rendre la vie des Palestiniens impossible et misérable pour parvenir à terme à effacer progressivement cette population de la carte.


(1) Nous mettons à part les massacres perpétrés à Gaza par les campagnes de bombardement de l'aviation israélienne (notamment en 2008 et 2014) qui se chiffrent à plusieurs milliers de morts (dont 80% de civils) à chaque fois.
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