La planification comme révolution agricole communiste
Le rôle de l’agriculture est primordial dans l’évolution de l’humanité et de ses modes de production. L'Affranchi propose de faire un petit détour pour mieux comprendre la nécessité pour un programme communiste de s’emparer pleinement d’un projet agricole ambitieux et donc révolutionnaire.
L’Homme, à travers sa longue histoire, a appris progressivement à comprendre le monde par l’observation, l’accumulation de connaissances et le développement de techniques nécessaires pour tirer une subsistance stable, c’est-à-dire moins soumis aux aléas de la nature, par le biais de l’élevage et de la domestication de plantes. Sur une période allant de 10 000 à 5000 ans avant notre ère, les tribus chasseurs-cueilleurs vont progressivement se sédentariser par le biais de “l’invention” de l’agriculture. C’est ce qu’on appelle couramment la Révolution néolithique : c'est-à-dire ce moment où les hommes commencent à adapter leur environnement (canaux creusés pour l’irrigation, création de clairières pour chasser plus facilement et avoir de la surface cultivable, etc.). Cette sédentarisation s'accompagne aussi d'un développement important des techniques et de l’outillage, qui occasionne la création de nouveaux rapports sociaux de production, avec une nouvelle division du travail (naissance de la distinction agriculteur/artisan par exemple).
Ainsi donc, nous voyons l’auto-engendrement des compréhensions et des transformations qu’opère l’humanité lorsque les débuts de la modification de la nature en écosystèmes cultivés ont amené à mieux comprendre le monde environnant puis, plus tard, à transformer ces espaces en agroécosystèmes pensés et organisés pour des objectifs bien précis : survivre, produire de la nourriture de manière stable et pérenne et en surplus si possible.
De la beauté du Causse Méjean en Lozère, des pâturages verts de nos montagnes pyrénéennes, jusqu’à la forêt de Fontainebleau, il faut réaliser que ces magnifiques espaces dits « naturels » sont en fait des paysages travaillés par une succession de générations d’hommes et de femmes allant de la période néolithique jusqu’à nos jours, en passant bien sûr par la révolution agricole du Moyen-Âge (invention de la charrue en Europe), la révolution agricole au XVIIIème siècle (mécanisation progressive - révolution industrielle en Europe) puis plus récemment par ce qui est appelé la « révolution verte » (à partir de 1960 : progrès technologiques énormes avec les machines agricoles et des rendements améliorés avec la standardisation des cultures et semences, automatisation et chimie de synthèse).
En ce qui concerne cette fameuse « révolution verte », elle a permis de produire en masse et d’abaisser les coûts des produits pour les consommateurs. Si on considère la France seulement, la part des dépenses d'alimentation sur un budget total dépensé par an par habitant est passée de 29% en 1960 à 17% en 2019 (1).
Néanmoins, ce nouveau modèle de production agricole s’imbrique parfaitement dans un capitalisme de plus en plus agressif et nocif. En effet, les travailleurs agricoles sont exploités, notamment par les prix du marché et de la dépendance aux prêts bancaires, aux semenciers-fournisseurs d’engrais et de pesticides. Si bien que la situation semble ne pas être pérenne en France. L’augmentation de la part d’importation alimentaire en provenance d’autres pays (50% pour les fruits et légumes, 20% au global), ainsi que la diminution du nombre d’agriculteurs (2 suicides par jour, en plus de la non-reprise de certaines fermes et exploitations) nous alertent déjà du problème.
Par ailleurs, les ressources sont également exploitées et laissées à la merci de “la main invisible” du marché. Le constat au service de cette logique économique est bien connu : sur les 150 dernières années, l’estimation de la perte de carbone dans les sols est estimée à entre 30 à 75%, ajoutant ainsi des milliards de tonnes de CO2 dans l’atmosphère (2), et il y a fort à parier que la plus grande part de l’impact soit issue de la période d'après-guerre, moment où l'agriculture mécanisée a pris son essor. L’épuisement et l'érosion des sols, par la pratique du labour et autre travail mécanique du sol, ainsi que la pratique du sol nu, provoquent de facto une mauvaise gestion de l’eau et la pollution de celle-ci ; l'ensemble entraînant la perte constante de la biodiversité. Ces symptômes interagissent entre eux et forment un cercle vicieux.
Le modèle de production agricole actuel, décrit comme intensif et productif, est en fait extensif et improductif à long terme. En effet, ce modèle ne pourrait continuer à exister qu'à condition d'être en culture hydroponique (hors sol) mais cela nécessiterait un coût énorme de dépense de matière et d'énergie par rapport à ce que nécessite la culture de plein champ, et ne réglerait en aucun cas notre problème environnemental. Par ailleurs, même les produits labellisés “bio”, qui ont un beau packaging dans les supermarchés, ne résoudront pas le problème puisque le mode de production reste identique, les pesticides de synthèse en moins.
À l’heure actuelle, compte tenu des dégâts considérables et grandissants causés par le mode de production capitaliste, à la fois sur le plan social et sur le plan environnemental, se dressent deux options - caricaturales - à dépasser : continuer comme avant jusqu’à l'épuisement des travailleurs et des ressources, ou bien se retrancher activement en petite communauté dans une ZAD autonome pour faire de la permaculture… Ce qui nous amène également dans une impasse complète. C’est pourquoi nous proposons une solution face à ces deux options antagonistes : la Nouvelle Agriculture Planifiée (NAP), fondée sur les principes de la permaculture, et s'inscrivant plus largement dans une perspective communiste de la production.
Mais avant d’aller plus loin, il faut bien évidemment nuancer les deux modèles cités plus-haut. D’un côté, la plupart des agriculteurs engagés dans le modèle de production conventionnel le sont par habitude de pratique, ayant conscience qu’il n'existe pas d’alternative officielle enseignée en lycée agricole (les plans gouvernementaux et ceux de la PAC entretiennent également ce fonctionnement). Parallèlement, le surendettement ne laisse pas à ces agriculteurs le choix quant à un changement de modèle en cours de vie, ce qui est une source de souffrance pour de nombreux exploitants. Il ne s’agit alors pas de stigmatiser les agriculteurs qui utilisent des pesticides ou qui épuisent les sols, mais plutôt de pointer le fait qu’à terme ce modèle de production tend à sa perte. N’oublions pas non plus les ouvriers agricoles qui n’ont pas la possibilité de maîtriser la production. Il faut donc absolument sortir les travailleurs agricoles de l'endettement, de la PAC et de l’anarchie de la production où c'est bien la loi du plus fort qui règne.
De l’autre côté, tous ceux qui sont engagés dans la permaculture ne sont pas tous des « bobos-hippies » ou « anarchistes-autonomes » comme certains voudraient le faire croire, bien que cela existe, avec toutes les dérives possibles. Plusieurs projets intéressants, telle la ferme du Bec Hellouin (20 ha en Normandie dans l’Eure) ou la ferme de Cagnolle (13 ha en Dordogne), montrent que la permaculture sait concilier à la fois régénération-préservation des sols et productivité, ce qui permet d’envisager sérieusement un modèle à plus grande échelle.
Rappelons que la permaculture est avant tout une méthode scientifique et rationnelle qui permet de concevoir une unité de production afin que celle-ci soit efficace et pérenne. Dressons la liste des principes fonctionnels qui sont les siens afin de mieux comprendre quels sont les enjeux que cette méthode soulève :
partir d’une situation concrète bien comprise pour établir une conception globale.
planifier des structures et des sous-structures d’ensemble (parcelles, sous-parcelles, etc.) où chaque élément remplit plusieurs fonctions, et où chaque fonction est remplie par plusieurs éléments et où chaque élément est placé selon ses relations avec les autres.
optimiser au maximum les ressources (exemples à différentes échelles : les déchets d’un élément sont valorisés pour remplir une fonction utile à un autre élément, vente en circuits courts, association élevage/maraîchage, forêt qui est à la fois nourricière et source de bois).
Ces principes n'empêchent en rien qu'on fasse usage de l’aide des machines, des robots ou bien qu'on s'aide de bases logistiques optimisées, bien au contraire ! Par exemple, l’étude micro-biologique des sols nécessite un niveau technique et technologique élevé. Certains permaculteurs vont même jusqu’à utiliser du glyphosate dans certains cas particuliers, par exemple en comptant sur le fait que le sol régénéré est capable d’absorber le produit sans problème. Ces principes montrent plutôt l’impact vertueux que peut amener ce nouveau mode de production agricole rationnel. Évidemment, la méthode permacole n’est pas limitée en surface, à condition bien sûr que l’ensemble de cet espace soit bien analysé et inclus dans une conception générale, ce qui fait que la permaculture peut être un outil d’aménagement de territoire ultra performant.
D’un point de vue éthique, l'un des principes de la permaculture que nous pouvons nous approprier est la visée de l’abondance en vue de distribuer la nourriture à chacun selon ses besoins. Partant du constat actuel de l’échec - prévisible - d’une agriculture capitaliste, et partant de la connaissance qu'on a aujourd'hui des pistes déjà tracées par les chercheurs en permaculture, la NAP semble donc être la seule issue possible. Elle devra évidemment s'inscrire dans un projet national et intégral d’aménagement du territoire, où la transition sera effectuée progressivement et impulsée au niveau des départements selon chaque situation concrète.
Sur une perspective à échelle nationale, cela nécessite à la fois des modifications structurelles - on pourra penser à la préservation de zones non cultivées ou à l’intégration de parcelles cultivées en zones urbaines - mais permet aussi de bien mieux gérer les flux (transports, logistiques) et les ressources, notamment en eau et en engrais. Parallèlement, la mise en place de la sécurité sociale de l’alimentation, la socialisation des semences et des outillages, la facilitation de l’accès à la terre permettront aux travailleurs agricoles de jouir d'avancées sociales sans précédent.
Notes :