Le Parti de la classe révolutionnaire, en puissance et en acte
L'histoire nous montre encore aujourd'hui que le parti est le seul outil à même de permettre aux travailleurs de se structurer pour s’unir autour d’une stratégie et d’objectifs communs, le tout cimenté par une théorie s'objectivant dans la pratique.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, nous vous proposons de revenir brièvement, via cette courte vidéo, sur la notion de “Parti” chez Marx :
L'article qui suit est extrait du livre de Loïc Chaigneau Pourquoi je suis communiste paru aux éditions Delga en 2019.
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(...) Malgré la nécessité de cette organisation de classe, l’époque est au délitement de toute structuration sérieuse. Du moins, du côté de la classe révolutionnaire. De fait, ce délitement des partis porteurs des intérêts de la classe ouvrière et plus largement du prolétariat fait écho à la contre-révolution en cours et dont les politiques d’austérité sont un parfait exemple. Alors et là-encore les partis n’esquivent pas la crise actuelle et nous devons faire face ici à un énième choix, celui de poursuivre dans une direction qui relève davantage de l’agitation apolitique ou celui de la reconstruction d'un parti communiste qui ne soit plus, ni social-démocrate, ni une caricature de lui-même.
Cette contre-révolution sociale et politique (1) que nous connaissons s’est bâti sur l’opposition d’un parti communiste qui, notamment en France, comptait plus de 800 000 adhérents en 1946. Si elle peut se maintenir c’est par l’entremise tout à la fois d’actions communes et unitaires du côté de la classe dirigeante et de l’autre par l’appui constant d’une hégémonie culturelle capitaliste dont nous avons démontré certains des mécanismes. Au même titre que le nombre d’adhésions, c’est sans doute plus encore la capacité d’autogestion des communistes du PCF et de la CGT d’après-guerre qui a eu raison d’inquiéter la classe dirigeante. De fait, il n’a suffit que de quelques mois pour que les militants et syndiqués construisent la caisse générale de la sécurité sociale et le statut de la fonction publique notamment, soit une pratique révolutionnaire qui n’a rien à voir avec la simple concession d’une part du gâteau offerte aux ouvriers sur le bon vouloir du patronat (alors massivement terni par la collaboration massive (2), d’ailleurs).
Durant ces quelques mois où De Gaulle n’a pas manqué de démissionner, les ministres communistes dont Marcel Paul et Ambroise Croizat notamment, avec l’appui des bases militantes, ont réussi à faire émerger un autre monde dans celui-ci, alors même que la guerre avait laissé le pays exsangue. C’est cela qui est profondément insupportable pour la classe dominante : la capacité organisationnelle, socialiste et démocratique du peuple uni autour d’un Parti qui rassemble la majorité des électeurs d’alors. Le parti est alors ce qu’il doit redevenir, mais non à partir de nulle part comme de vaines tentatives politicardes le laissent entendre aujourd’hui, c’est au contraire en se nourrissant de cet héritage qu’un parti de la classe révolutionnaire peut renaître. C’est par le recours au MDH (3), qui vient dialectiser les rapports entre philosophie et marxisme-léninisme que le parti doit être en mesure de représenter la jonction profondément révolutionnaire entre le prolétariat et le socialisme scientifique.
Ainsi, il est le poste avancé de la classe révolutionnaire, non parce qu’il le décrète, mais parce que cela s’opère objectivement à partir du moment où ce sont les intérêts cohérents d’une classe qui y sont défendus.
L’heure est à l’apolitisme revendiqué, bien que cet apolitisme soit plus politique qu’il n’y paraît puisqu’au service d’intérêts ignorés qui sont ceux de la classe dominante. Ainsi, les seules initiatives politiques qui ne rencontrent pas d’opposition populaire véhémentes sont celles qui se présentent comme « citoyennes », « résistantes » ou soi-disant « populaires ». Autant de qualificatifs qui viennent en fait invalider tout processus révolutionnaire en s’accommodant des termes de l’idéologie dominante. Or, reculer sur le mot c’est aussi bien souvent reculer sur la chose. De même, il n’y a plus de partis politiques à gauche mais simplement des « mouvements » qui désignent par eux-mêmes ce qu’ils sont : l’expression automatique et mécanique d’une déstructuration partitaire. Ainsi, il n’y a plus aucune direction à suivre, cohérente d’un point de vue théorico-pratique, mais juste la salve du slogan. Certains sont insoumis, d’autres marcheurs, mais en réalité l’avers et le revers de la social-démocratie qui fait le nid du fascisme depuis plus d’un siècle déjà. Bien sûr, tels militants et tels autres ne sont pas les mêmes, mais leurs actions concrètes conduisent aux mêmes effets malheureux (4), bien loin des Jours Heureux...
En revanche, la classe dominante a été en mesure de produire la contre-révolution en se solidifiant. Il nous suffit de constater l’unité oligarchique active malgré les querelles de la dite concurrence libérale. Lors des élections quelles qu’elles soient, le patronat sait rester unifié. Cela s’illustre aussi par sa représentativité autour du Medef comme seul syndicat. Cela se reflète aussi dans la discipline de votes au parlement dont les députés LREM sont une parfaite illustration. Mais c’est encore plus vrai à l’international lorsque le Capital revêt un caractère on ne peut plus impérialiste. C’est en effet par le recours à ces actions communes et cohérentes par rapport aux intérêts objectifs de la classe dominante et en fonction d’une situation concrète tout aussi objective que s’organise la lutte des classes. Mais cet acharnement impérialiste est en même temps l’occasion de voir que le Capital a besoin de s’imposer férocement et constamment pour se maintenir au pouvoir.
Pourtant, comme le signalait à juste titre Anatole France dans l’Humanité du 18 Juillet 1922 : « On croit mourir pour la patrie ; on meurt pour des industriels ». Ce qui est vrai pour la première guerre mondiale l’est aussi aujourd’hui. Car, bien plus encore que les profits financiers qu’elle y trouve, c’est là surtout le moyen pour cette classe capitaliste de maintenir son pouvoir. La lutte des classes est une lutte pour le pouvoir et non une lutte visant à partager le gâteau. Au contraire, il faut refuser le gâteau capitaliste et proposer une recette bien meilleure afin de produire non seulement des biens qui répondent aux besoins, mais aussi des biens qui augmentent dans le partage (5). Ce fond impérialiste et belliqueux que ce soit en matière de politique d’austérité ou dans le domaine géopolitique contraste volontairement avec l’idéologie d’entreprise qui nous invite à ne plus voir aucun rapport de classes pour n’entrer qu’en des relations de partenariat.
De là émerge donc la nécessité de contrevenir à l’affaissement que connaît la formation militante depuis plusieurs décennies. Celle-ci est absolument nécessaire, sans quoi nous assistons à ce que nous connaissons aujourd’hui c’est-à-dire une génération qui croit se politiser mais qui ne fait qu’adopter les slogans de l’idéologie dominante et qui démultiplie la crise de sens au travers d’affirmations multiples qui entravent toute direction unitaire dans l’action.
Face à l’apolitisme revendiqué il faut affirmer :
- la formation (6)
- la construction d’une avant-garde théorique à visée pratique
- le maintien de cadres qui ne peuvent tenir le parti qu’avec l’appui démocratique des militants
- l’assurance d’une ligne de tolérance dans les débats mais d’unité dans l’action
- le MDH comme approche de la connaissance humaine (et pas seulement en matière sociale bien que ce soit ce qui nous importe ici)
- et enfin l’autocritique du marxisme qui doit être actualisée mais ne surtout pas devenir un outil que l’on considère comme dépassé.
Toutes les avancées progressistes de par le monde se sont construites sur l’établissement d’un parti de classe. A contrario, la déstabilisation des organes de la classe ouvrière — partis et syndicats — a conduit à la politique internationale que nous connaissons aujourd’hui. Or, nous devons collectivement nous affirmer dans les discours et les actes comme la classe révolutionnaire d’un point de vue objectif, comme nous l’avons démontré. Cette fois, ce n’est pas seulement au nom d’une révolution « citoyenne » et passive — en terme de modalité d’action — que nous devons le faire mais par une prise de conscience de classe. Sinon, nous en resterons au misérabilisme d’une classe qui se revendique comme précaire et qui cherche l’aumône auprès du Clergé capitaliste. La classe capitaliste lorsqu’elle a été révolutionnaire a fait la révolution et n’est pas allé quémander une part du gâteau à la noblesse.
Dès lors comme l’écrivait Michel Clouscard encore : « Il est fondamental de comprendre que cette contre-révolution libérale est devenue l’idéologie et la réalité dominantes. Elle a fait éclater les clivages traditionnels de la droite et de la gauche. Maintenant elle est autant à droite qu’à gauche. Entre le libéralisme avancé de Giscard et la social-démocratie retardée de Mitterrand (7) où est la différence ? Le dogmatisme du PCF l’a empêché de comprendre cette métamorphose de la société française, le rôle des nouvelles couches moyennes (NCM), la nouvelle stratégie du capitalisme : la contre-révolution libérale, qui n’a pas grand chose de commun avec la « droite » traditionnelle. Mais la crise peut lui permettre de se rattraper, et même d’inverser la tendance ». (8) Il faut encore ajouter à cela que la précarisation des professions intellectuelles (nouvelles couches moyennes mais aussi fonctionnaires du public) et la surqualification des professions dites manuelles, renforce la nécessité d’une union et d’une coalition prolétarienne, bien loin du discours dominant qui vise à tenir à distance les NCM et les classes populaires. La crise se présente comme l’occasion de faire transparaitre ce qui ne pouvait être masqué que par l’essor capitalistique d’après guerre.
Le grand parti de la classe révolutionnaire ne peut l’être qu’à la seule condition de produire la fusion unitaire et politique de ces NCM et des classes populaires, dont l’intérêt malgré les divisions reste absolument commun.
Enfin aucune lutte d’avant-garde ne peut à l’heure actuelle être conduite indépendamment d’une lutte qui conquiert les représentations, soit une lutte pour faire du langage le lieu de convergence de la conscience et de la vie pratique. C’est en ce sens que Gramsci, bien avant la sociologie positiviste et bourdieusienne et ses luttes de classements, en appelle à la formation d’intellectuels organiques (cf. vidéo ci-dessous).
Ce qui interroge une fois encore le rapport de la théorie à la pratique et la nécessité de s’engager. Il ne suffit pas de comprendre par exemple les mécanismes de la domination mais il faut tenter de penser et donc de saisir le moment présent dans ses rapports et sa totalité pour y produire de réelles transformations plutôt que de vains changements. Si par définition le changement s’inscrit toujours dans la poursuite du même : changer une roue, changer de vêtements, se changer soi pour demeurer soi lorsque notre vie est en jeu ; la transformation propose non pas de changer le monde mais bien d’aller au-delà de ce monde.
Aussi le rôle majeur des intellectuels organiques doit s’inscrire dans une démarche réflexive, pratique et esthétique qui dévoile au-delà du discours le mensonge de l’idéologie dominante. C’est la reconquête du référent qui se joue ici en ce sens que le langage en tant que conscience de la vie réelle est aussi le lieu du commun, de l’échange, du dialogue et donc de la nécessité ; soit par définition, de l’intersubjectivité. Le « je » ne peut s’enraciner que dans son rapport à l’autre, qu’il soit inscrit dans une relation interpersonnelle, ou dans un héritage collectif et historique. La lutte sur le terrain de l’hégémonie culturelle doit être conduite, tant philosophiquement comme dévoilement du non-dit du procès de production, que politiquement comme expression de réhabilitation et de restitution de ce que l’idéologie renverse et détourne.
Il ne s’agit pas ici de révolution culturelle mais de dépassement et de transformation des modalités de l’idéologie par la reconquête de la culture bourgeoise, son dépérissement, son dépassement.
Loïc Chaigneau