Le système qui nous domine est celui de l'exploitation du travail
De plus en plus de gens semblent s'accorder sur la dénonciation d’un « système » qui serait la cause de notre domination. Pourtant pour pouvoir combattre ce système il faudrait encore savoir ce qu'il est réellement et comment il structure les rapports de domination.
Nous entendons souvent dire que qu’il faut en finir avec le système de domination qui nous dirige. Pourtant est-ce réellement la domination en elle-même qu’il faut combattre ou est-ce plutôt ce qui la génère et permet son exercice ?
Si l’on admet que l’on ne règle jamais un problème en traitant ses effets au lieu de traiter ses causes, alors nous devons reconnaître que c’est la seconde option qui est la bonne. Pour comprendre la domination qui s’exerce sur la majorité de la population, c’est donc le fonctionnement de ce “système” qu’il s’agit de comprendre.
Indiquons d’emblée le fondement de cette domination. Ce fondement est l’exploitation économique mais aussi intellectuelle par de nombreux aspects (pensons ici au concept d’idéologique dominante). Nos sociétés sont depuis trois mille ans des sociétés d’exploitation.
Cette domination repose, donc, sur l’exploitation du travail des autres par une partie de la société que l’on nomme classe dominante. Pour nous exprimer en marxistes, nous parlerons ici d’exploitation des forces productives.
C’est par exemple le cas du mode de production esclavagiste que nous retrouvons tout au long de l’antiquité. Dans ce type de société, l’esclave, qui est la principale force productive, voit l’intégralité de son travail lui être volée par le maitre, son propriétaire, qui lui donne en retour le nécessaire pour se maintenir en vie.
Cette exploitation nous la retrouvons dans le féodalisme et dans le capitalisme mais sous des formes de plus en plus atténuées. Le travailleur salarié est plus libre que le serf qui est lui-même plus libre que l’esclave.
Pour ce qui concerne notre société, celle qui est dominée par le capital, l’exploitation économique prend la forme de l’extorsion de la plus-value. Marx montrait que sur une journée de travail de huit heures, seule trois heures sont nécessaires à l’ouvrier pour qu’il puisse reproduire sa force de travail.
Cela signifie que c’est pendant ces trois heures qu’il produit la valeur équivalente à ce qu’il lui faut pour vivre. Les cinq heures de travail restant ne sont donc pas nécessaires à l’ouvrier pour qu'il puisse assurer la reproduction de sa force de travail. Ainsi, dès lors que le salaire que touche l’ouvrier ne correspond qu’à ces trois heures de travail nécessaire, il y a cinq heures de travail dans la journée où il produit gratuitement pour son employeur. La valeur produite pendant ces cinq heures constitue la plus-value et bénéficie seulement au capitaliste. Cette extorsion est le fondement de l'exploitation capitaliste. (1)
Ainsi, si une classe est dominante c’est parce qu’elle est exploitante. Sa domination est une domination sur les rapports de production, institutionnalisés par le droit. Ce droit pose des rapports de propriété qui autorisent n’importe quel propriétaire privé à pouvoir tirer un profit de sa propriété, y compris par l’exploitation du travail. Le problème de la domination est donc bien celui de l'exploitation d’une classe par une autre grâce aux rapports sociaux posés par cette dernière.
Sous ce point de vue la question de la consommation peut aussi être analysé de façon plus précise. Il y a une classe, celle qui domine, qui consomme plus qu’elle ne produit, et une classe dominée qui produit plus qu’elle ne consomme.
Quand nous parlons de surconsommation (si tant est que cela ait un sens de vouloir définir un seuil où l’on consommerait trop) il faudrait plutôt dire qu’il y’a une classe qui sur-consomme par rapport à sa production qui est quasi nulle. Et si Mulliez, Arnault, et les autres grands capitalistes peuvent jouir d’une telle consommation c’est bien parce qu'ils ont le pouvoir sur travail grâce aux rapports de production capitalistes.
Le problème central n’est donc pas non plus la “pénibilité” du travail mais plutôt la nécessité de devoir fournir du travail dont nous ne verrons jamais les fruits. C’est ce qu'André Gide exprimait dans cette phrase : “Le travail le plus pénible peut-être accompagné de joie dès que le travailleur sait gouter le fruit de sa peine. La malédiction commence avec l’exploitation de ce travail par autrui qui ne connait du travailleur que son rendement”.
Vouloir se passer du travail est par ailleurs absurde car le travail est l’acte fondateur de l’humanité. Il est ce qui permet à la l’homme de transformer son environnement par la médiation d’outil pour produire un monde proprement humain. C’est par le travail que l’humanité acquiert sa liberté.
Aussi la liberté n’est pas tant faire ce que l’on veut que de ne pas dépendre du travail de l’autre. En travaillant, nous produisons non seulement nous-même de quoi assurer notre existence, mais nous transformons aussi, et même surtout, le monde extérieur. Cette transformation est ce qui permet à un sujet de saisir objectivement la manifestation de sa liberté, et d’accéder par là à la conscience de soi.
À l’inverse celui qui ne travaille pas peut très bien vivre de l’exploitation du travail d’autrui et être le maitre dans un premier temps. Mais il ne peut pas bénéficier du caractère positif du travail et finit par dépendre de ceux qu’il domine. Cette domination alors une servitude. Ce processus de renversement est expliqué par Hegel dans la La phénoménologie de l’esprit, au cours du passage célèbre de la dialectique du maître et de l’esclave.
Pourtant, même si c’est bien la classe ouvrière qui assume la production, nous n’avons pas encore accédé pleinement à ce que Marx nomme la conscience de classe pour soi, c’est-à-dire être une classe pleinement consciente de ses intérêts et luttant pour les faire avancer.
Si cela est possible c’est parce que la classe exploitante nous fait intérioriser par l’idéologie ce qui est bon pour elle. Les médias, les intellectuels, et la production culturelle nous font apparaitre les rapports sociaux comme naturels : la propriété privée, l’accumulation du capital, la recherche du profit seraient indissociables d’une prétendue nature humaine et vouloir dépasser cela conduirait nécessairement à la dictature.
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Il nous faut alors combattre cette idéologie en montrant que tous ces rapports sociaux sont des résultats de l’histoire que nous produisons. Il faut donc réintroduire l’histoire là où l’on nous fait croire que c’est la nature qui est déterminante. L’homme est un produit de l’homme, il n’y a pas d’impossibilité naturelle ou même divine à ce que les hommes agissent sur ce qu’ils ont eux-mêmes produits.
« Tout ce que les hommes ont fait, les hommes peuvent le détruire. Il n'y a de caractère ineffaçable que ce qu'imprime la nature et la nature ne fait ni riches ni princes ni grands seigneurs. »
Rousseau, Émile ou de l'éducation
Le système qui nous domine repose sur l'exploitation capitaliste. En comprenant le mode de production comme étant une totalité générée par l’histoire structurant les rapports sociaux, nous pouvons agir collectivement pour le transformer. Faute de cela nous perdons toute capacité à comprendre le monde tel qu'il est et nous tombons une vaine posture antisystème sans jamais savoir précisément quel est ce système ni quels sont ses rouages.