Menaces de coupures d’électricité : bienvenue dans le tiers-monde
Depuis début décembre, la France est agitée par des menaces de coupures d'électricité. Cette situation nous oblige à constater la dégradation des conditions de vie qui se poursuit dans notre pays.
Nous savions au moins depuis la rentrée de septembre que l’approvisionnement en électricité cet hiver en France allait être difficile. Une nouvelle étape a cependant été franchie jeudi 1er décembre lorsque Enedis, le gestionnaire du réseau de distribution d’électricité, a confirmé que de possibles coupures de courant volontaires, désignées par le terme « délestage », pourraient avoir lieu cet hiver, à la demande de RTE, gestionnaire du réseau de transport d’électricité. L’organisme a dévoilé un site et une application mobile pour que les usagers soient informés de ces éventuels délestages. D’après Enedis, ces coupures devraient avoir lieu soit de 8h à 13h, soit de 18h à 20h (à savoir les plages horaires où la demande en électricité est la plus élevée) et durer 2h au maximum. Le gestionnaire assure que les personnes concernées seront prévenues la veille et que les délestages ne se feront jamais deux fois au même endroit. 40% des Français ne seront pas concernés car ils se trouvent sur la même ligne que des sites prioritaires (police, pompiers, hôpitaux, sites industriels ne pouvant pas être arrêtés). En apparence, on pourrait dire qu’il y a un semblant de préparation, mais on peut tout de même noter que la notion de personne prioritaire semble floue pour le gouvernement. En effet, le 5 décembre, le porte-parole d’Enedis, Laurent Méric, a déclaré sur BFMTV que « les patients qui sont à haut risque vital ne font pas partie des clients prioritaires définis par les préfectures. » Ces propos ubuesques ont obligé Elisabeth Borne à faire dès le lendemain une déclaration lénifiante pour promettre que les malades à domicile seraient toujours pris en charge. Cela donne une idée du niveau de préparation au sommet de l’État.
Quoi qu’il en soit, malgré l’absence de coupures pour les sites prioritaires, ces délestages ne seront pas sans conséquences. En voici une liste, loin d’être exhaustive. Les écoles et les réseaux de transport ne sont pas considérés comme prioritaires, de sorte que si un délestage est décidé entre 8h et 13h, les écoles sur la ligne délestée seront fermées pour une demi-journée et les parents devront trouver une solution pour garder leurs enfants, tandis que la circulation des trains sera également suspendue. Les antennes mobiles ne sont pas non plus épargnées et il n’y aura ni internet ni réseau mobile pendant les délestages. Enfin, dernier inconvénient – et non des moindres – à signaler : plus de chauffage pour ceux qui se chauffent à l’électricité et plus de lumière chez soi entre 18h et 20h, à une période où il fait nuit noire à cette heure-là. Les Français ont donc intérêt à faire des stocks de bougies et de bouillottes...
Face à cette perspective pour le moins inquiétante, M. Macron a tenté de rassurer les Français le 3 décembre avec son « Pas de panique » ; mais cette tentative, au-delà de la confiance extrêmement faible que l’on peut accorder aux déclarations du président de la République, a été battue en brèche par la démonstration de l’impréparation d’Enedis évoquée plus haut. S’il est vrai que les coupures restent une hypothèse à ce stade, que les pics de consommation ne sont pas attendus dans l’immédiat, mais après Noël, et que le risque de délestage ne se précisera que si les problèmes de production se confirment, ou s’il survient une défaillance d’interconnexion avec les autres pays européens, il est néanmoins révélateur que cette hypothèse fasse si grand bruit : il s’agit de préparer les esprits afin de pouvoir dire que nous avions été prévenus ! Il est clair que la stratégie de communication employée par le gouvernement est semblable à celle déjà utilisée pendant la crise sanitaire : on répète à qui veut l’entendre que si les Français font des efforts, tout ira bien. Ainsi, si tout ne va finalement pas bien, on pourra dire que c’est la faute des Français qui n’ont pas fait assez d’efforts !
Le pire dans cette histoire est que les coupures volontaires pourraient ne pas suffire pour éviter un blackout. Comme le reconnaît auprès de Libération Jean-Paul Roubin, le directeur de l'exploitation de RTE, aucun réseau électrique n'est à l'abri d'un effondrement complet. Et si l'hiver peut être une période particulièrement délicate, un blackout peut aussi intervenir le reste de l'année. M. Roubin précise : « Il y a trois grandes causes à l'effondrement d'un système électrique : la baisse de la fréquence du réseau [le 50 hertz, ndlr] en cas de déséquilibre entre la production et la consommation, l'effet château de cartes si une ligne électrique devient indisponible, et un écroulement de la tension. Vu le niveau insuffisant de la production d'électricité, tout incident, comme un arrêt automatique d'un réacteur nucléaire en raison d'un problème technique, pourrait faire basculer le pays dans le noir. Pour réduire les risques, des automates équipent le réseau : car entre le déclenchement d'un problème et l'effondrement complet, il peut se passer seulement quelques millisecondes, une durée insuffisante pour permettre aux opérateurs d'intervenir. »
Cette menace d’effondrement est un symptôme très inquiétant de l’état désastreux du parc nucléaire français. La moitié de notre parc de réacteurs est actuellement indisponible en raison de maintenances programmées, mais parfois prolongées, ou de problèmes de corrosion. Au total, douze réacteurs sont à l’arrêt. Seuls 40 GW de puissance seront disponibles au premier janvier, contre 50 à 60 habituellement à la même période. Les pics de consommation, quant à eux, peuvent dépasser 90 GW à cette période de l’année. C’est pourquoi le président de RTE précise : « On sera globalement, nous la France, importateur cet hiver de l'ensemble des pays qui nous entourent ». Voilà donc où nous en sommes : nous dépendons désormais entièrement de nos voisins pour disposer d’une quantité suffisante d’électricité ; nous avons perdu notre indépendance énergétique. Dès lors, comment ne pas parler de tiers-mondisation du pays ?