Pourquoi avons-nous ce sentiment d'être déconnectés du réel ?
L'idéalisme de la praxis occulte le procès de production capitaliste et nous maintient dans le rêve et l’illusion, nous faisant perdre tout contact avec le réel.
De nombreux jeunes de notre génération, peu à l’aise socialement, passent plusieurs heures par jour à jouer aux jeux vidéo et à regarder de la pornographie. Après le travail ou les études, il retrouvent ce qu’il connaissent le mieux en matière de pratique sexuelle : un rapport individuel et virtuel.
« Ni rire, ni pleurer, ni haïr, mais comprendre. »
Spinoza
On peut dire d’une certaine manière que ces jeunes, bien qu’en recherche permanente de l’autre, sont en rupture avec le réel. Leur comportement, qui s’apparente à une fuite systématique, est le résultat de ce que l’on appelle l’idéalisme de la praxis.
Qu’est-ce donc ? C’est le fait de ne plus se rendre compte, à la vue d’une marchandise ou d’un service, de tout le travail qu’il y a derrière, des travailleurs qui l’ont produit, du pourquoi et comment elle a été produite, de sa mise en circulation, etc.
Un exemple parlant : nous sommes tellement habitués à ce que nos poubelles soient sorties, récupérées et vidées que nous ne faisons même plus attention aux éboueurs qui font tout ce travail ; nous ne nous en rendons compte, justement, qu’à partir du moment où ces derniers cessent d’exécuter ces différentes tâches.
Chez certains jeunes, donc, il y a aussi cette idée de “magie fonctionnelle” : ils ont une pulsion sexuelle et, dans un processus de consommation pure et libidinale (1), ils ouvrent leur ordinateur, cliquent sur un bouton pour regarder du porno, se font plaisir, puis referment le tout.
Ils nient complètement, quoiqu’inconsciemment - car c’est à dessein que tout cela est voilé - tous les rapports sociaux qu’il y a derrière, à commencer par la question de qui a produit leur ordinateur, mais aussi et surtout, bien sûr, celle de la réalité concrète des travailleurs du sexe à l’origine de leur plaisir : ce sont de vrais individus qui travaillent dans des conditions très dégradantes, et qui sont obligés de vendre leurs corps-marchandises pour survivre.
Si ces jeunes parvenaient à reconnecter leur vie avec le réel et à prendre conscience de ces phénomènes concrets, tout cela devrait engendrer chez eux du dégoût, non pas du désir.
Précisons toutefois que nous ne sommes évidemment pas ici dans un jugement de valeur, mais dans une optique de compréhension des processus sociaux, une tentative d’esquisser une sociologie du réel et du quotidien. Nous ne blâmons pas les gens qui s’attèlent à de telles pratiques ; nous affirmons qu’il faut comprendre le procès de production capitaliste.
En l'analysant, nous remarquons que le capitalisme est répressif avec le producteur (politiques de rigueur, abandon de la classe ouvrière, destruction des conquêtes sociales, etc.) mais est au contraire permissif avec le consommateur (2), notamment à travers la publicité : celle-ci va venir produire du rêve, de l’illusoire, de l'évanescent, et nous fait perdre tout contact avec le réel tel qu’il est vraiment.
L’enjeu est donc de revenir en phase et reconnecter notre vie avec le réel, en prenant justement conscience du processus d’ensemble du procès de production capitaliste et de tout ce qu’il implique.