« Ni Frexit ni Europe du capital » : un slogan de gogo
Si vous voyez un homme politique parler d'Europe sociale, fuyez. Soit il vous prend pour un idiot, soit il en est un lui-même. Il y a encore des gogos de Français pour croire à cette chimère. Ne soyez pas l'un d'entre eux.
Qu'un candidat du système adhère à l'Union Européenne ne doit choquer personne. Après tout, cette organisation supranationale a pour but d'imposer aux peuples des politiques réactionnaires qui répondent aux exigences des couches parasitaires de la société. Les rentiers l'aiment pour la stabilité des prix. L'oligarchie financière l'aime parce qu'elle a enfin son organe politique. Les racistes l'aiment parce qu'elle promeut les « 30 000 ans d'identité européenne » (Dominique Venner). Tous les secteurs les plus rances de la société y adhèrent, qu'ils l'avouent en public ou non.
Pourtant, il y a des hommes politiques qui prétendent vouloir renverser la table qui s'accrochent encore à cette idée d'Europe sociale. Ceux qui ont écouté le discours déclamé par Jean Gabin dans le film « Le Président » savent à quel point ce débat est ancien. Les partisans de l'Europe sociale ont eu plus d'un demi-siècle pour faire leurs preuves, de la signature du traité instituant la Communauté européenne en 1957 jusqu'à aujourd'hui. Jacques Delors avait relancé l'opération de communication « Europe sociale » au milieu des années 1980 et le dernier tour de piste de ces fumistes sociaux a eu lieu en 2017 lors du Sommet européen de Göteborg, avec l'adoption du socle européen des droits sociaux : c'est une simple déclaration de vingt principes vagues qui n'apportent strictement rien.
Cela n'empêche pas certains hommes politiques de gauche et même d'extrême-gauche de rebattre les oreilles des citoyens avec l'Europe sociale. De plus, le millésime 2022 est caractérisé par la multiplication des candidats « communistes ». Entre MM. Poutou, Roussel, Kazib et Mme Artaud, on a l'embarras du choix. Dommage pour eux, ils contribueront sans doute à augmenter l'empreinte carbone de l'élection présidentielle en bourrant les poubelles des isoloirs.
Les candidats d'extrême-gauche veulent changer radicalement l'Europe, plus encore que M. Roussel – ce qui n'est pas difficile, mais ils ne présentent absolument aucun projet institutionnel concret. Ils veulent une Europe communiste, très bien. À quoi ressemblerait-elle ? Quelles seraient ses institutions, la forme de sa constitution, son nouveau drapeau, son hymne... ? Serait-ce une URSS européenne ? Assurément pas, puisque pour eux c'était un État « totalitaire ». Une Confédération de communes libres ? Ah, on n’est pas à la CNT, quand même ! Un État unitaire ? On se demanderait comment rassembler en une masse unique 746 millions de personnes parlant vingt-quatre langues différentes au minimum. Un État fédéral ? Toutes ces questions sont laissées en suspens.
M. Roussel doit se poser moins de questions, puisqu'il s'agit pour lui de réformer l'Union Européenne et de « sortir des traités ». « Sortir des traités », certes, mais pour aller où ? Faut-il conserver la monnaie unique ? Faut-il conserver la BCE ? Et que faire du Parlement européen : lui donner un véritable caractère politique en lui accordant l'initiative des lois et le rôle d'unique législateur, quitte à renier l'objectif de souveraineté nationale affiché par le candidat, ou alors le laisser tel quel et ainsi conserver intact le problème de « déficit démocratique » notoire de l'Union?
Toutes ces questions fondamentales sont laissées de côté et la raison en est simple : au fond d'eux-mêmes, ces fumistes savent bien que leur projet est inexistant car impossible. Ils ne se voient ni à court terme ni à long terme au pouvoir, mais adhérer à l'idée d'Europe permet de se donner un vernis de respectabilité.
En effet, l'Europe, pour la gauche, c'est « l'ouverture » sur le monde contre le « repli national ». C'est une garantie de paix et de fin des nationalismes qui ont plongé à deux reprises le continent dans la guerre. Ils croient dur comme fer à cette idée. Ils savent pourtant que les faits ont démenti cette idée. L'intangibilité des frontières, gage de stabilité, a été violée après la chute du Mur de Berlin et le redécoupage violent général de l'Europe de l'Est et des Balkans. Ils préfèrent cependant ignorer tout cela. Quand on construit une fiction dans sa tête, on n'est pas lié par la réalité concrète des choses. On peut s'imaginer une Europe unie avec des peuples qui s'entendent tous entre eux comme de bons copains, parce qu'on a remplacé les méchants qui étaient à sa tête par de bons réformistes, voire de bons révolutionnaires. On repeint le drapeau européen en rouge, on lui enlève ses étoiles en en gardant une pour faire révolutionnaire, et l'affaire est pliée.
Étrangement, la plupart des candidats d'extrême-gauche ont des sympathies pour les mouvements séparatistes régionaux. Ils veulent l'autodétermination d'à peu près tous les territoires français. Que les départements d'outre-mer doivent devenir indépendants parce qu'ils ont été acquis par la colonisation, cela peut s'entendre. Cependant, pourquoi inclure la Bretagne, le Pays Basque ou la Corse ? Pourquoi inclure l'Occitanie ? Pourquoi pas la Normandie, tant qu'on y est ? Après tout, ces territoires ont été conquis et reconquis par le pouvoir central français, qui est évidemment le méchant dans l'histoire. Il faut refaire revivre le Duché de Bretagne, l'Euskadi et même le vieux royaume des Burgondes. La construction du territoire français a été faite par la conquête : il faut donc le déconstruire.
Une question se pose, cependant. Qu'est ce qui rend le nationalisme français moins légitime que les nationalismes régionaux ? Après tout, si la France n'a pas demandé à ses habitants la permission d'exister, on peut dire la même chose de la Bretagne en son temps. Les ducs de Bretagne avaient-ils organisé un référendum d'autodétermination ? À ce jeu-là, on peut remonter jusqu'aux temps des Gaulois, et même plus loin encore. À quand l'autodétermination de la grotte de Lascaux ?
Alors, à quoi ressemble l'autre Europe, l'Europe sociale ? À rien.