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Libéralisme-libertaire

Le mythe de la société de consommation

Le néo-libéralisme a libéré les corps, du moins sur le papier. En pratique, le vol de la plus-value subsiste et, avec lui, les disparités de classe. Étudier Michel Clouscard, c'est plonger dans la France de Mai 68 pour déconstruire un mythe : celui de la société de consommation.

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Par Lire avec Paul

Lecture 10 min

Avec son accord, nous publions cette très bonne exégèse synthétique, rédigée par l'auteur de la chaîne Youtube Lire avec Paul, de l'œuvre de Michel Clouscard, qui pourra faire office en particulier d'introduction à son analyse de Mai 68 et à sa critique du concept de société de consommation.


Quelles sont les causes et la signification de Mai 68 ? Dans son livre Néo-fascisme et idéologie du désir, Michel Clouscard analyse une séquence historique prenant sa source dans la France d’après-guerre et s’étendant jusqu’à notre actualité.

Cette séquence est l’expression d’une mutation du capitalisme en néo-capitalisme ou néolibéralisme. C’est l’émergence des marchés liés au désir pour sauver une économie en crise, les trente glorieuses puis les trente honteuses dans un même mouvement historique.

Plus largement, Clouscard définit le capitalisme comme un ensemble à trois dimensions se déployant selon un cycle. Il y a d’abord le libéralisme classique, ou capitalisme concurrentiel, qui apporte la croissance mais provoque aussi des crises à répétition. Ensuite vient le national-socialisme ou fascisme, qui sauve le capitalisme mais bloque l’économie de par ses politiques nationalistes. Vient alors le néo-libéralisme ; la défaite du fascisme débloque l’expansion économique du capitalisme, c’est le retour de la croissance par la permissivité, l’extension des marchés par l’extension de la production aux biens d’équipement et de consommation. Ainsi la répétition de cet ensemble serait l’éternel retour nietzschéen, la fin de l’histoire, son pourrissement...

Le néo-capitalisme est à appréhender comme un nouveau mode de production. Il autorise une nouvelle production de biens matériels, crée de nouveaux besoins et remodèle la stratification sociale : de nouvelles classes apparaissent.

Clouscard va s’employer à déconstruire le mythe de la société de consommation en disséquant niveau de vie et genre de vie en fonction de l’appartenance de classe.

Dans la société bourgeoise traditionnelle, le prolétariat a accès aux seuls biens de subsistance. Les biens d’équipement et de consommation n’existent pas. La société du néo-capitalisme rebat les cartes ; l’auteur identifie de manière schématique les travailleurs étrangers aux biens de subsistance, le prolétariat aux biens d’équipement, la petite bourgeoisie aux biens de consommation et de standing.

Cette approche schématique ne réduit pas les classes aux seuls biens qu’elles éprouvent. Il s’agit plutôt pour lui d’affirmer que tel ou tel bien s’exprimera dans un espace social déterminé et pas ailleurs. Ainsi, quand les biens de standing s’afficheront, ce sera nécessairement dans un cadre qu’est celui de la petite bourgeoisie.

En adoptant une approche historique et matérialiste, Clouscard nous montre que les besoins, que l’on prend pour naturels et élémentaires, sont toujours le fruit du développement de l’industrie et des conquêtes sur les classes dominantes, une récupération légitime de la plus-value. Les biens d'équipement, par exemple, sont le résultat du développement vertigineux des technologies. Un tissu d’infrastructures collectives émerge : réseaux routiers, téléphone, électricité. Il sera complété par les luttes ouvrières, le Front populaire, la Résistance, qui ont conquis d’autres équipements collectifs : sécurité sociale, hôpitaux. L’équipement des ménages – cuisinière, machine à laver, réfrigérateur – se greffera à tous ces acquis pour constituer un nouveau minimum vital.

Nous sommes donc encore loin de l’univers de la consommation. Nous ne consommons pas les égouts, le frigo, la machine à laver. Ce sont des biens qui facilitent la vie quotidienne.

Viennent ensuite les produits manufacturés qui ne sont pas consommés, alors qu’ils sont généralement considérés comme tels. La voiture, par exemple, est essentiellement utilisée pour aller du domicile au travail ; son usage distractif reste marginal, il permet la récréation de l’esclave salarié tout au plus.

Le prolétariat n’accède donc pas à la société de consommation car il a globalement un usage fonctionnel et non distractif et esthétisant des biens qu’il acquiert. De plus, il a produit les objets qu’il possède et ne les récupère que partiellement ; le vol de la plus-value empêche le travailleur d’accéder à la pleine consommation.

La consommation émerge quand les besoins nécessaires sont satisfaits. Les biens de consommation répondent à une problématique de standing ; la consommation aura une signification de classe. L’être de classe n’est plus dans l’avoir mais dans les signes de l’avoir ; le nouveau riche a besoin de se distinguer. Les biens de consommation sont des biens de représentation, on investit dans le non-utile pour signifier qu’on est plus dans la subsistance. Les biens restent malgré tout de série, nous ne sommes pas encore dans le luxe.

La société de consommation, la vraie, ne commence donc qu’avec la nouvelle petite bourgeoisie, expression directe du néo-capitalisme. Là où la petite bourgeoisie traditionnelle accumule le capital car elle doit faire tourner l’entreprise familiale, la nouvelle petite bourgeoisie n’a pas à réinvestir dans la production ; le champ est libre pour l’investissement dans une consommation immédiate. La société de consommation n’est qu’une pratique de classe érigée en modèle.

Cette nouvelle petite bourgeoisie, Clouscard la définit comme un mixte entre le prolétariat et la bourgeoisie, comme l’émanation du secteur tertiaire. Cette couche sociale est productrice de services et consommatrice de signes, elle ne produit pas de biens matériels.

À cette promotion sociale s’oppose la paupérisation de la bourgeoisie traditionnelle du capitalisme concurrentiel : l’entreprise familiale, les petits artisans, les petits commerçants, sont dépassés. La bourgeoisie traditionnelle représente donc une limite à l’expansion des nouveaux marchés. Ses mœurs, ses usages, son genre de vie, sont un frein au nouveau type de consommation.

Le néo-capitalisme doit s’emparer d’une clientèle dont l’idéologie – et le genre de vie – relève de valeurs traditionnelles empêchant l’investissement dans les biens de consommation. Pour ce faire, il doit se doter d’une idéologie nouvelle. Cette idéologie, Clouscard l’identifie dans le freudo-marxisme.

De Marcuse à Deleuze, le freudo-marxisme prétend offrir une synthèse qui vide Freud et Marx de leur substance. Leurs textes deviennent le lieu de fixation d’un discours qui accompagne les mutations économiques profondes du capitalisme nouveau. Le freudo-marxisme va permettre de promouvoir le gaspillage, la fête, la libido, en libérant le désir. Le modèle de la nouvelle consommation sera l’émancipation par la transgression : consommer c’est être libre, jouir c’est être révolutionnaire. Le freudo-marxisme est le service publicitaire de cette émancipation ; il doit liquider l’éthique. Il est l’idéologie de la conquête des nouveaux marchés, idéologie des marchés du désir.

Le freudo-marxisme unifie l’opposition du marxisme et du néo-libéralisme au capitalisme conservateur. Ses idéologues vont cacher le parasitisme de la nouvelle bourgeoisie, en prétendant révolutionnaire son mode de vie transgressif. Ce mode de vie n’est qu’un modèle d’intégration à la nouvelle société.

On assiste avec Deleuze à une destruction de la raison en règle ; son livre L’Anti-Œdipe est confusionniste, une bouillie sous prétexte d’une synthèse des penseurs de la philosophie du soupçon (Marx, Nietzsche, Freud). Deleuze souhaitera la libération des tabous, le retour de la joie, de la fête. Le flux vitaliste qu’il convoque engendre la communauté heureuse et transcende les disparités de classe.

Du côté de son collègue Guattari, on fustige les syndicats, les partis prolétaires ; la révolution sociale peut être faite ici et maintenant, la spontanéité des masses doit balayer les organisations en imposant le désir des masses.

Enfin, avec Marcuse, les conquêtes sociales deviennent « embourgeoisement », on ne fait pas de distinction entre les différents types de biens : d’équipement ou de consommation, fonctionnels ou distractifs ; la lecture de classe des différents types de « consommation » est absente. Le sujet révolutionnaire lui-même change : le prolétaire est trop impliqué dans le système pour faire la révolution. La révolution – ou du moins la révolte marcusienne – viendra des couches sociales marginalisées : les étudiants, les femmes, les noirs, les indigènes, les artistes, les intellectuels.

Ces trois penseurs contribueront malgré eux à verrouiller l’organisation de classe pour mener la lutte, en plus de fournir l’outil idéologique nécessaire au nouveau capitalisme. L’influence qu’ils exerceront sur la séquence Mai 68 sera considérable.

Clouscard va même plus loin : l’agressivité des dominants, qui croît à mesure que le prolétariat réclame son dû, découle sur un néo-fascisme. Il faut réprimer le prolétaire castrateur, les jouisseurs doivent continuer à jouir.

Le néo-fascisme est un fascisme qui, dans la forme, prend ses distances avec le fascisme historique ; il est avant tout culturel. Selon l’auteur, le fascisme n’est pas réductible au fonctionnement de l’appareil d’État fasciste.

Ce néo-fascisme sera l’ultime expression de l’ensemble qui commence avec Mai 68. Sa spécificité tient dans cette formule : tout est permis, mais rien n’est possible. À la permissivité de l’abondance succède la crise, la paupérisation. Tout est permis sur le papier mais rien n’est possible dans les faits. L’exploitation capitaliste subsiste, la domination de classe avec.

Pour aller plus loin, pour réaliser l’internationale capitaliste, le néo-capitalisme instrumentalisera l’appareil d’État pour détruire les institutions freinant l’expansion des marchés.

Le père sévère de Gaulle, l’enfant terrible Cohn-Bendit, le progressiste Pompidou, ou dit autrement : le bourgeois traditionnel, le libertaire, le libéral, sont les trois incarnations idéologiques possibles de la bourgeoisie. L’alliance du libéral et du libertaire a permis de liquider le vieux : le capitalisme traditionnel. Chaque terme accède au pouvoir en consentant celui de l’autre ; c’est la fin de l’histoire, c’est le libéralisme absolu.

Alors pourquoi ce tumulte qu’est Mai 68 ? Au nom de la liberté et de la jouissance, cette séquence historique n’a fait que reconduire, sous une forme nouvelle, l’exploitation de l’homme par l’homme.

La libération du désir – dans une perspective marxiste – sera la réappropriation par le prolétariat de sa production. Alors le corps pourra être l’objet et la fin de la production.

Si la société de consommation venait à exister, ce serait alors le paradis communiste réalisé.


Pour pouvoir consulter ce texte en version audio, vous pouvez retrouver la vidéo originale pour laquelle il a été écrit :

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