Le philosophe Michel Clouscard contre le sophiste Séguéla

Dans cette vidéo nous retrouvons l’un des rares passages médiatiques où Michel Clouscard put s’exprimer. Alors que ce dernier s’était préparé minutieusement à la présentation de son dernier livre, Le capitalisme de la séduction, il dut faire face à Jacques Séguéla, adversaire bien plus redoutable que ce que laissaient supposer les apparences. Ce publicitaire médiatique se livrait pendant l'émission à un exercice démagogique et utilisait toutes les techniques d’argumentations fallacieuses propres à la rhétorique du sophiste.

Clouscard, bien qu’apparemment impuissant face à un tel discours, nous montre ce qu’est l’activité du philosophe.

Clouscard se voit dès le départ contraint de replacer le débat. Alors que Bernard Pivot présente Le capitalisme de la séduction comme une condamnation morale du nouveau capitalisme, Clouscard rappelle qu’il s’agit seulement de comprendre le monde tel qu’il est. Son analyse se veut rigoureusement scientifique car elle se base sur l’étude du monde réel. À partir de cette étude il peut montrer ce que signifient les pratiques quotidiennes indépendamment de ce que nous en pensons.

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Pivot croit alors identifier une contradiction chez Clouscard : sur le plateau, il porte un jean, alors même qu’il semble le condamner dans son ouvrage. Pourtant cela est bien plus révélateur de la pertinence de l’analyse de Clouscard. Le conditionnement qu’il critique est effectivement très puissant ; le philosophe lui-même ne peut y échapper car il vit dans son temps : le philosophe n’est pas un surhomme.

De même, lorsque Clouscard désigne la fonction de la publicité dans le capitalisme tel qu’il se développe dans les années 70-80, Séguéla feint d’entendre un jugement de valeur. Alors que Clouscard montre que la publicité sert à renforcer l’hégémonie culturelle du capital en invisibilisant le travail, Séguéla inverse l’accusation : Clouscard, en analysant la publicité, voudrait mettre les gens au chômage. Selon Séguéla, son discours serait même faux car « datant du 19ème siècle », si tant est qu'un tel argument, fût-il vrai, ait une quelconque valeur argumentative.

On pourrait alors s’attendre à ce que Clouscard cherche à argumenter pour répondre à Séguéla. Il fait au contraire un constat « d’impuissance radicale face à la toute-puissance du sophiste ». Ce dernier ne peut que triompher sur un plateau télé où il ne s’agit pas de convaincre mais de persuader par n’importe quel moyen. Le philosophe, qui ne fait appel qu'à la rationalité de celui qui l’écoute, ne peut l’emporter.

Le passage sur le rôle du rock et de la culture en général est également très intéressant pour analyser la stratégie du capitalisme. Celui-ci utilise la culture en même temps que l’impérialisme pour dresser les populations et leur faire désirer ce qui sert son fonctionnement. Le désir devient un nouveau marché qui permet au capitalisme d’étendre sa sphère de profit. Le travail d’investigation à produire est immense, trop grand pour que Clouscard puisse le faire tout seul. Il désigne ce qui devra faire l’objet d’un travail collectif.

La fin de la séquence est marquée par une nouvelle intervention sophistique de Séguéla. Selon lui, Clouscard veut « tuer le rêve ». Clouscard lui rétorque que le rêve qu'il prétend vendre est « de la pacotille ». Le rêve occidental est bien plus fondé sur le mythe de Tristan et Iseult. Notre sophiste, bien loin d'être désemparé, lui demande alors en quoi le mythe de Tristan et Iseult, mythe fondateur de la relation sentimentale, serait supérieur à un film de pub ? La publicité n’est-elle pas plus proche des gens que cette culture classique supposément réservée à une élite ? Bien entendu, Séguéla renverse le réel pour produire une apparence. La publicité ne sert qu’à conditionner ceux qui la regardent. Elle n’a rien de populaire car elle tombe d’en haut contrairement à la culture classique, expression des mœurs populaires.

Finalement, le discours de Séguéla illustre à merveille la formule célèbre de Clouscard : « Tout est permis mais rien n’est possible ». Nous pouvons tout obtenir, tous nos désirs sont légitimes. Mais dans le même temps nous sommes exploités et nous n’avons pas les moyens de réaliser ces désirs.

Clouscard agit en philosophe en venant dissiper une apparence au profit de la vérité.