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Immigration

Altérité raciale et immigration : comment perpétuer l’exploitation des travailleurs

Ce sont bien des intérêts de classe plutôt que des idées abstraites qui sous-tendent les discours disqualifiant toute opposition à l'immigration comme raciste. Il s'agit ici de réinscrire ce phénomène comme un élément central de l'idéologie, seul moyen de le comprendre réellement.

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Par Mehdi

Lecture 15 min

Cet article fait partie d'un dossier complet sur le sujet de l'immigration, dont voici le sommaire :


Les Dieux ont été offensés dans l’un des temples de la République française ce jeudi 3 novembre 2022. Suspension de séance ! Condamnations fermes ! Visages larmoyants et affligés, rassemblement de soutien et, enfin, sanction exemplaire rendue contre l’impudent. De Fabien Roussel à Olivier Véran, de la LICRA aux « Républicains », les trois-quarts du monde politique français crient « plus jamais ça ! » en fustigeant des propos « inhumains ».

Qu’est-ce à dire ? Dans un premier temps, l’accusation portée à l’égard du député Rassemblement National Grégoire de Fournas, viticulteur de Gironde, est celle d’avoir enjoint son collègue parlementaire NUPES Carlos Martens Bilongo à ce « qu’il retourne en Afrique ! ». Or, la discussion portait sur un navire de migrants en provenance d’Afrique ; mais, Monsieur Bilongo étant, pour citer la périphrase du journal Le Parisien, « de couleur de peau noire », l’accusation de racisme – terme qu’il conviendra de tenter de définir – a été immédiatement confirmée par la sphère politico-médiatique française.

« Halte-là ! s’exclament les parlementaires RN et les cadres du parti, notre collègue mentionnait le bateau de migrants, ou du moins ses passagers ! » C’est ici que les choses deviennent véritablement intéressantes, et que la tentation initiale d’ignorer ce qui pourrait être une énième scène de théâtre d’une chambre fantoche d’un pays qui, de toute manière, est de facto non souverain, doit être écartée. En effet, ces réactions, dont celle du principal intéressé, Monsieur Bilongo, illustrent avec brio ce que les Anglo-Saxons appellent le sophisme de la motte castrale. Une fois la première muraille franchie et la cour de ces fortifications médiévales envahie, il était toujours possible de se réfugier dans la motte elle-même, embryon de ce qui allait devenir les châteaux forts. Idem ici : une fois l’accusation de racisme individuel invalidée, l’accusation de racisme collectif tient toujours. Plus précisément, alors que l’accusation initiale était celle d’une insulte ad hominem à l’encontre de Monsieur Bilongo, la condamnation porte dans un second temps sur le fait de suggérer que des clandestins africains n’ayant pas encore mis les pieds en France doivent retourner en Afrique, suggestion considérée comme raciste.

Nous arrivons au cœur du sujet : la volonté commune de la « classe politique » et médiatique de sanctionner toute opposition à l’immigration, y compris clandestine, comme c’est ici le cas. En effet, s’il est interdit de prendre la décision politique d’empêcher des migrants africains de débarquer en France – sachant qu’il est extrêmement difficile de les expulser –, et que, comme nous le verrons, le gouvernement prépare un projet facilitant l’emploi des clandestins (1), toute souveraineté, notamment sur le travail, doit être définitivement considérée comme raciste et donc abandonnée. La question n’est pas de savoir si le député RN ou son parti méritent d’être défendus, mais de comprendre pourquoi s’opposer à l’immigration, même avec des réserves, vaut une telle condamnation, alors que soutenir des néo-nazis en Ukraine ne pose aucun problème. À cet égard, les attaques toujours portées à l’encontre de Georges Marchais, notamment en lien avec l’affaire du foyer de Vitry-sur-Seine, illustrent le fait que les accusations de racisme ne sont pas réservées à celles et ceux que l’on considère, légitimement ou non, comme d’extrême-droite, mais que ces accusations entretiennent un lien plus qu’étroit avec la question de l’immigration.

Bien sûr, ce magnifique tour de passe-passe idéologique repose sur l’équivalence entre opposition à l’immigration et racisme. Si, comme nos voisins britanniques actuellement, nous connaissions un afflux sans précédent de clandestins albanais (2), et qu’un parlementaire fictif avait lancé lors de l’allocution d’un parlementaire d’origine albanaise défendant l’accueil de navires de clandestins albanais, « qu’il(s) retourne(nt) en Albanie ! », la polémique aurait été bien moins forte.

Ce dernier point illustre la place centrale de la question du racisme (ou de l’antiracisme) dans l’idéologie dominante. Les réactions hystériques, parfois violentes, des classes twitterisantes – que nous définirons avec une plus grande rigueur sociologique comme classes sacerdotales – ont tout d’un comportement religieux, semblable à la réaction de bigots face à un blasphème. Il convient d’analyser les ressorts de cette idéologie, les forces qui la sous-tendent et les intérêts de classe qui la façonnent, quand bien même, hommes et femmes de notre temps, nous serions nous aussi intimidés par elle. De plus, les accusations d’inhumanité, de manque d’humanisme, doivent-elles nous amener à considérer que la libre circulation du facteur travail – aussi appelée immigration libre – est la seule politique compatible avec un souci moral ?

En analysant les ressorts des défenses parfois hystériques de la liberté inconditionnelle de circulation des migrants, nous serons amenés à traiter de la question cruciale du coût du travail et de la nécessité pour plusieurs couches sociales aux intérêts ici convergents de le diminuer. Alors, nous nous demanderons si un autre discours, quant à lui concrètement humaniste et politique, ne peut pas être porté sur l'immigration, comprise comme une question politique plutôt que naturalisée comme un impératif moral.

L’immigration peut être comprise comme un remède, une réponse aux contradictions morales de la bourgeoisie et des nouvelles couches moyennes (NCM). Ces contradictions ont été analysées notamment par Michel Clouscard, particulièrement dans Refondation Progressiste. Clouscard souligne que le rapport à la production et à la consommation est central dans les questions morales, notamment dans l’opposition entre morale du travail, portée par ce que l’on pourrait qualifier de « bourgeoisie de droite », et morale de la jouissance, plus axée sur une consommation déculpabilisée, portée par une bourgeoisie plus libertaire, « de gauche ».

Une autre dyade qui ne recouvre que partiellement la précédente est celle qui oppose morale de l’effort et morale de la charité. Comme l’a montré Karl Marx, la bourgeoisie n’existe que parce que le prolétariat existe ; ceux qui consomment plus qu’ils ne produisent ne peuvent le faire que parce que d’autres produisent plus qu’ils ne consomment. Comment, alors, légitimer cette exploitation ? C’est là la fonction de ces deux morales. Considérer que ceux qui ne peuvent consommer à la hauteur de ce qu’ils produisent n’avaient qu’à mieux travailler à l’école, ou n'avaient qu’à être plus méritants et ambitieux au travail, relève de la morale de l'effort ; agir en dame patronnesse moralisatrice relève de la morale de la charité.

D’une certaine manière – et c’est une lecture possible de Clouscard sur ce sujet – on peut être tenté de considérer que la bourgeoisie porte en son sein, à la fois dans la morale de l’effort et dans celle de la charité, les ferments de son propre dépassement. En effet, on a là la potentielle germination de la prise de conscience par la bourgeoisie de son statut parasitaire. La valorisation de l’effort entre en effet en contradiction avec les conditions objectives de nombre de travailleurs à qui on ne peut reprocher d’être paresseux, tandis que le souci de charité peut conduire à trouver insupportable la pauvreté, particulièrement de ces mêmes travailleurs. Or, même si l’on acceptait cette possibilité, l’immigration apparaît comme le moyen d’échapper à cette contradiction, voire de résoudre l’opposition entre morale de l’effort et morale de la charité.

Notons ici que nous parlons de l’immigration telle qu’elle se présente actuellement, du moins en « Occident », particulièrement en Europe de l’Ouest et en Amérique du nord, c’est-à-dire une immigration qui introduit une altérité physique et/ou culturelle significative ainsi qu’un différentiel de niveau de développement important entre le milieu d’émigration et celui d’immigration (3). En effet, l’ajout de cette dimension d’altérité « raciale » permet de légitimer l’exploitation, non seulement de la main d’œuvre immigrée mais aussi des prolétaires autochtones.

Arrêtons-nous d’abord sur le terme « racial », à la lecture duquel nombre de lecteurs ont probablement frissonné d’indignation. « Quel rapport avec la race ? » se demandent-ils, s'offusquent-ils même. C'est que la dimension raciale du tabou sur l’immigration est absolument centrale – d’où le scandale du 3 novembre. Mais qu’entend-on par race ? C’est là que repose le cœur du tabou idéologique sur la question. En effet, dans une conception abstraite historiquement et socialement, ce terme renvoie à la pure physicalité, c’est-à-dire à quelque chose d’individuel, d’accidentel, au sens philosophique du terme. Or, nous n’existons pas dans un vide social anhistorique. La physicalité est donc corrélée à une histoire, à des mœurs, des religions, des niveaux de développement des forces productives et des rapports sociaux qui vont avec. Nous entrons alors dans le domaine du social, terme qui n’occulte pas les infrastructures, et que nous préférons ici à « culturel ». C’est davantage en ce sens – plus concret, mais aux conséquences politiques bien plus effrayantes – que les Anglo-Saxons entendent la race : c’est pour eux l’alliance entre le culturel et le physique, auquel s’ajoute une dimension éternelle et inaliénable d’hérédité de l’identité raciale non blanche (4).

Si le différentiel de niveau de développement des forces productives permet de s’assurer une main d’œuvre corvéable à merci, pour laquelle un 10 m² dans le 93 pour 450 euros de loyer et un smic contre 50 heures de plonge dans un restaurant parisien sont toujours mieux que les conditions de vie initiales (5), l’altérité physique et culturelle légitime cette exploitation. En effet, la division raciale du travail, pleinement visible en Île-de-France (du moins dans Paris et en petite couronne), légitime l’exploitation des travailleurs étrangers à la fois du point de vue de la morale de la charité et de celui de la morale de l’effort. Ne sont-ils pas méritants ? Ne travaillent-ils pas plus que n’importe quel « gaulois », et sans broncher qui plus est ? Nul besoin d’être grand clerc pour comprendre que l’absence de culture de lutte des classes dans ces sociétés pré-capitalistes ainsi que la pauvreté qui y règne expliquent ce surcroît de « mérite », d’effort. N’est-il pas non plus charitable, humaniste, moral, que de fournir un travail, une chance à ces méritants ? Charité et effort, bourgeois de « gauche » et de « droite », les voilà tous réunis, réconciliés.

Mais la bonne affaire ne s’arrête pas là. En effet, l’immigration ne fait pas magiquement s’évaporer le prolétaire autochtone (descendant d’immigré ou non – nous y reviendrons), mais pire, elle légitime son exploitation, sa marginalisation spatiale, politique, culturelle, et la haine de classe crasse que les NCM de la charité et les bourgeois du mérite ont toujours voulu lui cracher à la face sans culpabilité. Désormais, par son refus de l’immigration qui nuit directement, et à bien des égards, à ses conditions objectives d’existence, celui-ci est un fasciste, un réactionnaire, un raciste sans cœur, un empêcheur de libéralisme qui s’attaque aux immigrés méritants, et, au fond, un ignare alcoolique sans qui tout irait mieux. Son statut de prolétaire, le fait qu’il permet lui aussi aux bourgeois de consommer plus que ce qu’ils produisent, est désormais totalement évincé.

Il convient ici de prévenir explicitement un écueil assez fréquent chez certaines personnes se réclamant du matérialisme dialectique, qui est de considérer que les prolétaires immigrés, particulièrement clandestins, doivent être considérés comme des camarades de lutte, voire comme une partie de l’avant-garde de la classe révolutionnaire de par leurs conditions particulièrement difficiles de travail, et ce au détriment d’autochtones précarisés exclus de l’accès au travail. Comme nous l’avons vu, ces travailleurs n’ont objectivement pas les mêmes intérêts que leurs équivalents autochtones, et c’est d’ailleurs parce qu’ils sont immigrés originaires de pays si peu développés qu’ils sont en emploi et/ou travailleurs.

Nous faisons ici cette distinction entre emploi et travail pour plusieurs raisons. La première, pour souligner que tous les emplois occupés par ces immigrés ne relèvent pas forcément d’une activité socialement utile. À titre d’exemple, les emplois de livreur de nourriture à vélo, qui n’ont pu se développer que grâce à la vague d’immigration de 2016, sont d’une utilité sociale plus que discutable. La deuxième, pour avancer l’idée que bien qu’ils soient des travailleurs, ils ne participent pas pour autant de la classe révolutionnaire. Au contraire, nombre d’autochtones (et par ce terme sont entendus aussi bien les descendants d’immigrés que ceux de lignée française immémoriale) sont exclus de l’accès à l’emploi et/ou au travail du fait de cette concurrence. Étant donné que c’est bien souvent l’accès à l’emploi qui conditionne l’accès au travail rémunéré ou non (difficile de fonder une famille sans revenus, par exemple), nombre d’entre eux se retrouvent alors en situation de consommateurs contraints. Par ce terme, nous nous référons aux franges de la population qui, ne possédant pas ou plus les avantages compétitifs des employés immigrés, n’ont pas accès à l’emploi et doivent donc consommer plus qu’ils ne produisent, notamment grâce aux minimas sociaux.

Faudrait-il alors, comme le pensent certains, considérer que ces consommateurs contraints sont des parasites ? Quid de la solution miracle de la régularisation des employés sans papiers, et même de la naturalisation des immigrés en emploi ? Terrasser ce serpent de mer a ici le mérite de nous amener à un autre point : l’immigration est l’héroïne du capital. Comme un toxicomane, celui-ci a besoin de doses régulières de travail à bas coût. En effet, dès la deuxième génération, voire au sein même de la première, l’avantage de servilité due aux conditions objectives d’existence dans le pays d’origine se perd. On comprend mieux ainsi que, bien que l’on dénombre en 2018 en France 30 909 chômeurs tunisiens, le patronat fasse campagne pour faire venir des serveurs de ce pays (6) !

La loi « métiers en tension » illustre assez bien les enjeux de la question migratoire ainsi que la convergence des intérêts de classe des thuriféraires de l’immigration. On peut encore y déceler, bien que dans un état de fusion avancée, d’un côté la morale de l’effort et de l’autre celle de la charité. Si les critiques « de gauche » de cette loi réclament un accueil et une régularisation inconditionnels des migrants – c’est-à-dire, par charité, par humanité prétendent-ils, une totale liberté de circulation du facteur travail –, la majorité LREM argue quant à elle du pragmatisme libéral, de l’adaptation aux conditions du marché, et de la paresse des Français non méritants face aux immigrés besogneux (7).

Cette convergence d’intérêts de classe mérite d’être analysée plus longuement. Les grands bourgeois, les petits bourgeois ainsi que les NCM en voie de déclassement ont en effet intérêt à la poursuite de cette immigration afin de diminuer le coût du travail. Remarquons tout d’abord que la justification idéologique de cette accélération migratoire repose sur un vieux mythe toujours bien vivace, celui du manque de main d’œuvre. Aussi bien à l’échelle nationale qu’à l’échelle locale, celui-ci ne tient évidemment pas face aux chiffres du chômage, aussi optimistes et optimisés soient-ils. Prenons pour exemple la petite ville bretonne de Callac, théâtre du projet Horizon où l’on prétend créer des emplois grâce à l’immigration. On y comptait déjà 117 chômeurs en 2019 d’après l’INSEE, soit un taux de chômage de 17.6% de la population active, contre 51 chômeurs et un taux de chômage de 7.6% en 2009. L’enjeu, semble-t-il, est de continuer à compresser le coût du travail et à ne pas donner plus de pouvoir aux travailleurs, qui, notamment dans un secteur comme la restauration, sont aujourd’hui dans un rapport de force plus favorable qu’avant l'épidémie de Covid-19, et peuvent donc exiger de meilleures rémunérations et conditions de travail.

Nous arrivons ici aux gagnants de l’immigration. En effet, si celle-ci a un coût, en termes de formation (notamment au français), de logement (avec la surreprésentation des immigrés dans les logements publics subventionnés (8)), de soins, d’allocations qui ne reposent pas sur les cotisations (9), et, enfin, en ce qui concerne la délinquance (10), certains en profitent largement. Il s’agit donc, une fois de plus, d’un cas de collectivisation des coûts et de privatisation des profits. La classe sociale à qui profite le plus l'immigration est évidemment la bourgeoisie et le grand patronat. Les multiples communications du MEDEF concernant l’emploi des migrants, ainsi que celles de grands groupes français, comme Bouygues, illustrent ce fait (11). La part des immigrés dans les secteurs de la sécurité et de la construction en Île-de-France en témoigne aussi. Non seulement cette immigration presse les salaires les plus faibles à la baisse, mais, qui plus est, elle brise la cohérence de la classe des travailleurs. Enfin – et il ne faut pas l’oublier –, les appartements plus ou moins miteux loués à des migrants ont des propriétaires.

Cependant, la grande bourgeoisie n’est pas, comme on l’entend souvent, la seule classe qui a intérêt à ce que la division raciale du travail s’étende à toute la France : la petite bourgeoisie, au sens ou Marx la définissait déjà dans Le Manifeste, y a elle aussi intérêt. Pour compenser leurs archaïsmes en termes de mode de production et de productivité, et ainsi survivre un peu plus longtemps face à la concentration du capital, nombre de petits patrons, comme par exemple des boulangers et des restaurateurs, doivent de plus en plus diminuer le coût du travail. Combien d’affaires de boulangers méritants, de plongeurs dévoués, de cuisiniers courageux qu’il faudrait, par humanité et par reconnaissance de l’effort fourni, importer puis régulariser ? Cette immigration permet de faire durer un peu plus longtemps des entreprises archaïques (quels gains de production dans la restauration hors des chaînes de restauration rapide depuis 60 ans ?) et au mode de domination paternaliste – paternalisme qui se voit relégitimé par la charité raciale envers les immigrés méritants, comme dans le cas du candidat NUPES et de son apprenti guinéen par exemple.

Passons désormais la porte battante de la cuisine, faufilons-nous entre le comptoir et la porte des toilettes des clients et regardons à la table : qui mange au restaurant ? Plus précisément, qui ne pourrait plus y manger si les prix venaient à y augmenter significativement ? En passant la porte qui sépare le producteur du consommateur, il devient facile de comprendre l’immigrationnisme des NCM en voie de déclassement, particulièrement dans les métropoles. Sans immigration, particulièrement – mais pas uniquement – clandestine, plus de « petit resto sympa » à 20 euros, c’est-à-dire plus de restaurant du tout, ou alors beaucoup moins souvent. Ce serait donc le MacDo ou le kebab, le déclassement symbolique et moral (quelle élégante distinction morale que de ne pas manger dans les si productives chaînes de restauration rapide ! (12)). Plus de nounous à 10 euros de l’heure non plus, d’ailleurs. Catastrophe ! Madame devrait travailler à mi-temps, ce qui non seulement rendrait difficile l’accès à un logement dans les métropoles mêmes, du fait de la hausse des loyers, mais condamnerait aussi définitivement l’éventualité d’accumuler assez de capital pour acheter un logement, et pourquoi pas le louer, à un migrant ou à un étudiant. Plus, enfin, de livraisons de nourriture à vélo. Quelle tristesse de ne plus bénéficier de la bonne conscience d’un service écologique et abordable (13), ou, peut-être pire, de devoir se déplacer à minuit, aviné, pour aller chercher à manger dans des villes devenues si dangereuses... En somme, pour pouvoir continuer à consommer plus qu’elles ne produisent, et pour ne pas (re)tomber dans le prolétariat, les NCM (les métropolitains en particulier) ont besoin que le coût du travail reste bas dans certains domaines : elles ont, donc, besoin que l'immigration perdure.

Tous ces gagnants de l’immigration ne craignent pas ou peu la concurrence de la main d’œuvre immigrée, puisqu’ils en sont, de fait, protégés (14). Pour les professeurs, par exemple, dont la fonction sacerdotale est de plus en plus large du fait de la nécessité d’intégrer un minimum les immigrés et leurs descendants, la barrière des exigences de nationalité française dans l’accès au concours assure la récompense morale de la charité sans avoir à craindre pour ses gages.

C’est particulièrement au sein de la classe sacerdotale que les cris les plus stridents se sont fait entendre après l’affaire du 3 novembre. Ces néo-clercs, qu’ils soient journalistes, hommes politiques, professeurs ou autres fonctions d’autorité morale, utilisent l’antiracisme – tel qu’ils le définissent dans l’intérêt de leur classe et de la classe qu’ils servent (certains d’entre eux, ne l’oublions pas, sont aussi objectivement des bourgeois du fait de leur possession des moyens de production) – comme une arme de castration du politique.

Cette classe produit un discours religieux, au sens où l’historien Gabriel Martinez-Gros l’entend dans La Traîne des empires : Impuissance et religion. En effet, l’antiracisme – et du même coup le racisme – n'est plus considéré comme un problème politique mais comme une lutte morale éternelle contre une bête au ventre éternellement fécond. Martinez-Gros considère que c’est le cas aux États-Unis, où l’on est passé d’un problème politique à résoudre en un temps donné, nommément l’amélioration des conditions objectives des noirs américains, à une vision religieuse où le racisme serait un mal à combattre éternellement. Avec de telles logiques, c’est donc la question sociale, celle des rapports de production, qui est évincée : ces logiques sont bel et bien déjà à l’œuvre en France.

Ainsi, la classe sacerdotale produit un discours qui a pour but de consacrer l’impuissance de politique, plus particulièrement l’impuissance des producteurs, dans ce qu’il définit comme une logique impériale, au sens d’Ibn-Khaldoun. Or, ce fonctionnement impérial tel que le pense Ibn-Khaldoun n’est peut-être pas uniquement un passé ou un ailleurs, mais, et c’est là encore une raison pour nous d’être concrètement communiste, un futur possible.

En effet, dans ce modèle khaldounien, l’État a pour but de créer artificiellement de la richesse en la concentrant et en la taxant le plus possible – puisque les gains de productivité et la croissance démographique sont très faibles avant la Révolution industrielle. Or, pour ce faire, la masse des producteurs doit être la plus désarmée possible, la plus docile possible. Il convient alors d’utiliser ce qu’Ibn Khaldoun appelle des Bédouins, au sens générique du terme : des populations racialement différentes de la masse productive, violentes, non pacifiées. Bien sûr, ces bédouins finissent souvent par prendre eux-mêmes le pouvoir… Le rôle de la classe sacerdotale (terme que n’utilise pas Martinez-Gros), les oulémas en terre islamique par exemple, sera de ne (se) poser que des problèmes insolubles, et ce de façon potentiellement vindicative, mais de manière à ce que l’action politique, la souveraineté, ne revienne pas au peuple des producteurs et demeure dans les mains des Bédouins (comme les Mamelouks en Égypte ou les Moghols en Inde en leur temps). Ce modèle impérial est en totale opposition avec le modèle du citoyen-soldat-producteur, celui d’un citoyen total.

N’est-il pas légitime de se demander si le caractère de moins en moins innovant, de plus en plus parasitaire de la bourgeoisie, et le basculement du rapport de force vers le capital ne risquent pas de déboucher sur une situation analogue et similaire ?

Face à cette menace, quelle autre solution qu’un souverainisme intégral, donc une souveraineté totale sur le travail ? Peut-on d’ailleurs, dans la situation actuelle, envisager une souveraineté nationale sans souveraineté sur le travail, et inversement ? L’exemple de l’immigration illustre le fait que la souveraineté totale, complète, et la souveraineté sur le travail, sont indissociables. En effet, le travail, la consommation et la production ne peuvent être écartés d’une sphère proprement politique et abstraite qui en serait séparée. Ainsi, la catégorie administrative d’immigration de main-d'œuvre est une catégorie abstraite et statique, qui occulte le fait que les étudiants, les réfugiés, et les immigrés au titre du regroupement familial consomment et produisent, ou du moins seront amenés à le faire. Être souverain en termes de circulation des personnes, en clair contrôler ses frontières, ne peut se faire sans une souveraineté des travailleurs sur le travail, sans quoi l’appel d’air perdurerait. Réciproquement, prétendre que les travailleurs pourraient être souverains sur leur travail sans que la circulation des personnes (donc des travailleurs et des consommateurs) soit sous leur contrôle est illusoire. Face à ces considérations abstraites qui séparent social et politique, c’est, il nous semble, une position concrètement humaniste, concrètement morale, que d’instaurer cette souveraineté intégrale et ainsi refuser le futur impérial auquel nous conduit la bourgeoisie et ses alliées.

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(1) La loi « métiers en tension ».
(2) Quoi qu’il en soit, dans les faits, le réservoir de main d’œuvre bon marché des anciens démocraties populaires d’Europe centrale et orientale se tarit inexorablement après plus de trente ans de pillage.
(3) Comme évoqué dans la note de bas de page précédente, le réservoir de main d’œuvre « blanche » à bas coût se tarit inexorablement. En revanche, l’Afrique, plus particulièrement subsaharienne, connaît une croissance démographique inédite dans l’histoire de l’humanité.
(4) C’est la « one-drop rule », règle informelle ou non selon laquelle quiconque possédant la moindre goutte de sang « non blanc » demeure « native » ou « black » voire « latino ». Un Pouchkine, aux Etats-Unis, serait considéré comme noir alors même que culturellement et physiquement celui-ci était indistinguable d’un autre Russe du même milieu, et ce en vertu du fait que l’un de ses aïeux était noir. Voir cet article du Guardian à propos de son « origine noire » (black ancestry).
(5) À titre d’exemple paroxystique, presque caricatural, voir cet article.
(6) Pour le chiffre à propos du chômage par nationalité, voir ici.
(7) Ainsi, un ministre en exercice, Olivier Véran, s’est permis de faire l’apologie de son ami restaurateur qui emploie des clandestins en cuisine.
(8) En 2017, d’après l’INSEE, 31% des ménages immigrés vivaient en HLM contre 13% des ménages non-immigrés. Cette part atteignait 48% pour les ménages immigrés d’Afrique hors Maghreb et entre 38 et 50% pour les trois pays du Maghreb.
(9) En France, en 2018, d’après l’INSEE, 4.1% des Français de naissance âgés de plus de 15 ans appartenaient à la catégorie “autres inactifs”, contre 8.8 à 13.7% des nationaux de pays hors Union-Européenne.
(10) La surreprésentation des immigrés dans la délinquance en France est largement documentée. Leur surreprésentation dans la population carcérale l’illustre bien. En 2021, les étrangers représentaient 25% de la population carcérale.
(11) À titre d’exemple, voir cet article.
(12) Les gains de productivité réalisées dans ces restaurants peuvent d’ailleurs nourrir une réflexion sur un modèle communiste de restauration.
(13) La souffrance humaine n’est-elle pas la source d’énergie la plus écologique ?
(14) Se référer à l’article du Parisien à propos de la main d’œuvre immigrée en Île-de-France.
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