Loi immigration : créer une « armée de réserve » pour le patronat
Le nouveau projet de loi sur l'immigration répond à une commande du patronat qui préfère faire appel à une main-d’œuvre immigrée plutôt qu'augmenter les salaires.
Cet article fait partie d'un dossier complet sur le sujet de l'immigration, dont voici le sommaire :
2. Loi immigration : créer une « armée de réserve » pour le patronat
4. Altérité raciale et immigration : comment perpétuer l'exploitation des travailleurs
Un nouveau projet de loi sur l’immigration a été présenté mercredi 2 novembre par Olivier Dussopt, ministre du travail, et Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur. Il devrait être examiné au parlement début 2023. On peut d’ores et déjà prévoir que l’adoption d’un tel texte sera difficile vu la composition actuelle de l’Assemblée Nationale : la gauche le jugera trop dur, la droite trop laxiste. C’est pourquoi les ministres ont envoyé une lettre à tous les présidents de groupe de l’assemblée nationale et du Sénat, afin de détailler leurs propositions et de les inviter à « dialoguer ». C’est sans doute également pour cette raison que le projet est ambivalent. Il mélange en effet des mesures punitives qui visent à durcir la lutte contre l’immigration clandestine et des mesures incitatives pour l’immigration de travail légal. Dans l’interview au Monde qui accompagne la présentation du projet de loi, Gérald Darmanin a expliqué les grandes lignes de son projet de loi comme un enfant de quatre ans : « Je dirais qu’on doit désormais être méchants avec les méchants et gentils avec les gentils. »
Sans surprise, le ministre de l’Intérieur insiste avant tout sur la dimension répressive du projet de loi, qui comprend notamment un durcissement des procédures d’obligation de quitter le territoire français (OQTF). Actuellement, sur les 120 000 personnes qui font l’objet de cette procédure, la moitié fait un recours et jusqu’à l’examen de ce recours, les personnes ne sont pas expulsables. C’était le cas dans l’affaire Lola : la meurtrière présumée était sous le coup d’une OQTF mais n’était pas expulsable en raison d’un recours. Douze recours sont possibles, le projet de loi ramènera ce nombre à quatre. Il prévoit aussi le passage d’un examen de français pour obtenir un titre de séjour. On peut tout de même douter que ces mesures aient un réel impact migratoire, au-delà des effets d’annonce. Tant que la France reste membre de l’espace Schengen, elle n’est pas maîtresse de ses frontières.
La mesure qui fait le plus parler d’elle cependant est une mesure qui semble plutôt favorable à une certaine immigration : la création d’un titre de séjour « métiers en tension ». Sur ce point, l’interview donnée au journal Le Monde par les deux ministres fournit des renseignements très intéressants. En effet, ils ne cachent absolument pas que la mesure répond à une demande du patronat. Darmanin dit d’emblée : « C’est le patronat qui a demandé qu’il y ait plus de main-d’œuvre », et ajoute un peu plus loin : « Nous ne donnons peut-être pas assez de titres de séjour aux gens qui travaillent et qu’un certain patronat utilise comme une armée de réserve, pour parler comme Marx. » Il ne fait donc aucun doute que la mesure vise à utiliser l’immigration comme un moyen de pression sur les travailleurs français. La création d’un titre de séjour pour les métiers en tension permettra au patronat de faire appel à une main-d'œuvre étrangère moins qualifiée, donc moins bien rémunérée, non syndiquée, etc. plutôt que de revoir les salaires à la hausse et de proposer aux travailleurs français de meilleures conditions de travail. Il est à noter que cette mesure s’inscrit dans un contexte où le gouvernement cherche par tous les moyens à mettre la pression sur les chômeurs français, alors que la DARES (l'organisme qui sonde le monde du travail en France) dénombrait 362 000 emplois vacants au 2ème trimestre 2022, notamment dans l’hôtellerie et la restauration. Après les deux réformes de l’assurance chômage qui ont restreint l’accès aux allocations pour les demandeurs d’emploi, le gouvernement souhaite faire appel à l’immigration pour que tous les emplois à pourvoir le soient finalement.
Rappelons que le concept d’armée de réserve des travailleurs, forgé par Karl Marx dans le chapitre 25 du Capital, ne vise pas spécifiquement l’immigration mais désigne un phénomène qui se produit lors des périodes de chômage dans les sociétés capitalistes. La classe ouvrière est divisée entre une « armée active » et une « armée de réserve » dont les proportions varient en fonction de la conjoncture économique. Plus l’armée de réserve est nombreuse, plus les capitalistes peuvent faire pression sur les salaires, puisqu’une main-d'œuvre sans activité, donc susceptible d’accepter de moins bonnes conditions de travail, est prête à être employée. Dans un contexte de capitalisme mondialisé, les travailleurs immigrés issus de pays où les acquis sociaux sont moindres peuvent être employés comme armée de réserve. Ce n'est pas l'immigré qui vient voler le travail des Français, ni le grand complot patronal qui organise le grand remplacement, mais l'immigration qui, objectivement, est utilisée comme un levier de pression sur les travailleurs français. Ce n’est pas la première fois qu’il en est ainsi. Pour ne citer que cet exemple, la directive de l’Union européenne sur le travail détaché permet déjà de faire venir d’autres pays européens des travailleurs en France et de les employer dans les conditions sociales de leur pays d’origine. Avec ce projet de nouveau titre de séjour pour les métiers en tension, le message du gouvernement est très clair : si les travailleurs français refusent certains postes, il vaut mieux faire venir en France des travailleurs étrangers qui les accepteront qu’améliorer les conditions de travail pour les travailleurs français. En fin de compte, le gouvernement considère l’immigration comme une simple variable d’ajustement du profit : les immigrés qui ne mettent pas de capital en valeur doivent partir, mais dès lors qu’il y a du capital à mettre en valeur, les immigrés sont les bienvenus.
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