État ou racailles : qui fait la loi ?
Les émeutes actuelles ne sont en aucun cas la conséquence fortuite d’un incident isolé, mais l’expression d’un rapport de force.
Le 27 juin 2023, Nahel, un Nanterrien de 17 ans coutumier des délits routiers, mourrait lors d’un refus d’obtempérer après un long et dangereux rodéo urbain à bord d’une Mercedes de sport (1). Le jeune homme refusa de s’arrêter alors que deux motards de la police nationale étaient descendus de leur deux-roues et le menaçaient de leurs armes afin qu’il quitte le véhicule.
Les hommages affluèrent rapidement pour le jeune homme : un « petit ange parti trop tôt » pour Kylian Mbappé, un « frère » pour un autre international de football français (2), une minute de silence à l’Assemblée nationale (3), et un Mathieu Kassovitz en larmes contre trente ans de « bavures » (4). De LFI à Gérald Darmanin, les faits sont qualifiés d’inexcusables (5).
Les réactions, néanmoins, ne se limitent pas aux habituels hommages pacifiques, aux poupées ou aux boîtes à musique et autres bougies réservées aux victimes de « drames », d’attentats, de faits divers. En effet, le ton se fait martial, menaçant (6), et des émeutes éclatent dans de nombreuses villes de France, détruisant nombre de biens privés et de services publics. Les internationaux de foot, les acteurs, les hommes politiques appellent à l’action pour que plus jamais un tel drame ne se reproduise.
Comment expliquer ces réactions qui contrastent tant avec les hommages apportés aux victimes de l’attaque au couteau d’Annecy (7) ? Pourquoi, alors que les règlements de compte sanglants, les meurtres pour « un mauvais regard » ou un « refus de cigarette » sont légion (8), cet événement suscite-t-il une telle violence, une telle réprobation ?
Pourquoi, en somme, le même Mathieu Kassovitz expliquait-il doctement à la veuve d’un conducteur de bus tabassé à mort à Bayonne par des récidivistes (9) qu’ainsi allait la vie, et que les forces mystérieuses de « la société » faisaient que son mari était mort — de quelque chose d’incontrôlable et naturel — alors qu’il pleure maintenant sur les violences policières et le refus de certains d’« écouter » le message transmis par son film La Haine ?
Pourquoi certaines violences sont-elles rejetées dans l’impolitique et pas d’autres ? Comme ce fut le cas avec l’assassinat de la jeune Lola par une algérienne sous « Obligation de Quitter le Territoire Français » ; crime pour lequel on nous affirma qu’il n’y avait rien à y voir d'autre que la fatalité des agissements d’une déséquilibrée.
Répondre à ces questions nous amènera au cœur d’un contraste qui caractérise les sociétés occidentales : alors que la violence de la « racaille » est naturalisée, celle de l’État et de la majorité de sa population est de moins en moins tolérée, en particulier contre ces mêmes « racailles ». Il découle de cette logique que l’État doit être moins violent que ceux qui enfreignent la loi, puisque la violence ultime, celle de la mort, lui est de plus en plus proscrite.
Après avoir exposé cette tendance, nous l’analyserons à l’aune de la théorie du penseur arabe médiéval Ibn-Khaldoun et des travaux récents qui ont mis en lumière l’actualité de son œuvre. En effet, ce contraste participe de la logique de division entre les « bédouins » d’un côté — terme générique désignant les populations solidaires, violentes et pillardes qui est plus pertinent que celui de racaille — et les « sédentaires », de l’autre.
Cette dernière notion recouvre les populations majoritaires, désarmées, dépourvues de solidarité, astreintes à l’impôt et auxquelles la violence est proscrite par leurs élites intellectuelles cléricales (les oulémas en terre islamique). L’impuissance à laquelle est condamnée la majorité sédentaire par les oulémas et les bédouins repose sur le fait que les premiers sont condamnés à l’impuissance politique, impuissance intimement liée au refus de la violence. Les bédouins en ont donc le monopole.
Cette perspective nous permet d’envisager les conséquences lorsque l’on cède aux bédouins la primauté de la violence, c’est-à-dire, d’abord, une perte de souveraineté populaire et nationale. Affaibli de l’intérieur comme de l’extérieur, un tel État tend à déléguer de plus en plus de pouvoir aux bédouins tandis que l’identité même des sédentaires disparaît, phénomène dont nous aborderons la pertinence dans ce cadre.
Mais contrairement aux espoirs de certains, l’État ne s’efface pas pour autant. L’État-nation, ses services publics et son caractère égalitaire sont remplacés par un État archaïque, qui se contente d’expéditions pour mater de temps à autre des marges qu’il ne contrôle plus, tandis que son étau répressif et fiscal se resserre sur les populations sédentaires de plus en plus soumises par peur des bédouins. Les plus aisés, quant à eux, s’isolent dans des centres hyper surveillés ou des périphéries sécurisées. Le règne des bédouins, comme le montrent déjà les brimades et violences subies par les populations exclues des solidarités bédouines dans les lieux où les émeutes se sont déroulées, est incomparablement plus cruel et violent que celui de l’État-nation.
Enfin, nous verrons pourquoi les politiques qui pensent que soutenir les mouvements d’émeutes actuels est une stratégie utile s’illusionnent quant à la nature du phénomène en cours. Ces prêtres pensent pouvoir commander aux bédouins qui ont leur propre logique de domination, leurs propres objectifs, conscients ou non, et ne veulent pas le désordre mais imposer leur ordre, comme le dit régulièrement le criminologue Xavier Raufer. En effet, et ce sera là notre conclusion, ni ces néo-clercs ni même la majorité de nos concitoyens ne comprennent la nature et les enjeux des questions liées à la violence — compréhension impérative à une action politique concrètement fructueuse qui nécessite de penser une police démocratique.
Revenons tout d’abord sur la condamnation de l’acte du policier. Inutile de préciser que, si le gardien de la paix avait laissé faire Nahel, aucune émeute n’aurait eu lieu. Si un cycliste (10) ou une petite fille sur le chemin de l’école (les faits ont eu lieu aux alentours de 8 heures du matin) avaient été fauchés par la Mercedes à 70 000 €, il n’y aurait eu ni hommages de footballeur, ni menaces d’hommes politiques, ni émeutes urbaines. Ce n’est pas là une pure spéculation, mais un constat qui doit étonner.
Qui s’est ému de la mort de la jeune Charlotte, interne en médecine tuée par Amar, récidiviste sans permis, en 2021 ? La condamnation d’Amar, 58 ans, à 6 ans de prison à l’occasion de cette affaire, fut sa 15ème. La « colère » des habitants du quartier du Mans où un enfant de 5 ans fut mortellement percuté en avril 2023 par un chauffard a-t-elle suscité une indignation nationale ou des nuits de violence (11) ?
Y a-t-il eu une telle couverture médiatique et une telle indignation chez les footballeurs, hommes politiques et journalistes quand une gendarme fut tuée en 2020 près d’Agen par un chauffard sans permis (12) ? Précisons que l’âge légal du permis de conduire étant fixé à 18 ans, Nahel n’en disposait logiquement pas.
Le contraste saisissant entre les réactions à la mort du jeune Nanterrois et celles des victimes de chauffards illustre bien que la violence de ceux qui enfreignent la loi de manière régulière — qu’on appelait jadis criminels d’habitude, et qui recouvrent en partie la catégorie de « racaille » — est naturalisée. On la déplore, certes, mais comme le montrent les réactions de nombreux passants interrogés par Vincent Lapierre après l’attaque d’Annecy (13) ou suite aux règlements de compte à Grenoble, une impression d’impuissance domine. « C’est comme tout », déclare un interviewé. Comme pour une catastrophe naturelle, la résignation face à la fatalité domine.
Les propos de Mathieu Kassovitz envers la veuve du chauffeur de bus de Biarritz sont un appel à se résigner à cet ordre des choses. Que voulez-vous y faire ? Comme si la violence était une caractéristique inexplicable, intrinsèque au bédouin et qu’on ne pourrait lui reprocher. Ainsi, elle en devient banale, presque pardonnable et compréhensible au fond, car déterminée par des facteurs si profonds que seule une action lente et bienveillante pourrait y mettre un terme. C’est ce que s’attèle à montrer, par exemple, ce géographe qui explique par d’abscons raisonnements les incendies de bibliothèques par les émeutiers (14) :
Laisser faire un chauffard n’est pas anodin ; il ne s’agit pas de fermer les yeux sur le vol de quelques billes par un bambin dans un supermarché, mais de prendre le risque de sacrifier une vie. La vie d’une grand-mère qui va faire ses courses, d’un cycliste qui se rend au travail ou d’une fillette qui va à l’école doit-elle être sacrifiée pour éviter des émeutes aux conséquences politiques désastreuses ou en vertu d’un principe qui condamne la violence des forces de l’ordre ?
En effet, la position morale abstraite selon laquelle aucun crime ou délit ne légitime l’usage de la force létale par la police — notamment avec l’argument selon lequel la peine de mort n’existe plus en France (15) — est loin d’être évidente. Est-il plus moralement condamnable d’abattre un chauffard qui met en danger la vie d’autrui ou de risquer qu’un innocent qui n’a en aucun cas menacé l’intégrité de quiconque meure tué par ce chauffard ?
Par ailleurs, si l’on interdit a priori tout usage de la force létale aux policiers, on en laisse le monopole aux bédouins. Leur violence étant naturalisée, cela n'apparaît alors pas comme une contradiction. Il en résulte que la « racaille » est plus forte que l’État et donc que le peuple. C’est d’ailleurs tout l’enjeu des rodéos : montrer qui maîtrise l’espace public, qui peut s’affranchir des règles qui valent amendes et condamnations au citoyen lambda. Les motards et conducteurs qui s’adonnent au rodéo envoient un signal clair à l’État et aux sédentaires : votre souveraineté ne nous concerne pas. Le rodéo installe d’emblée un rapport de force.
Les premiers rodéos, au sens où nous l’entendons ici, remontent au début des années 1970 dans la banlieue de Lyon (16). D’ailleurs, toutes les marques sordides des « zones perdues de la République » sont déjà visibles à la cité Simon de Villeurbanne dans les années 1970, zone à forte immigration algérienne : « saccage d’école », tapage nocturne, intimidations, harcèlement envers les femmes et même viol en réunion. Sans surprise, ces zones se sont embrasées ces derniers jours. Les bédouins de France réagissent avec une grande violence contre quiconque tente d’entraver cette pratique, y compris les représentants de l’État.
Par exemple, la maire des Ruissintes (28) a été agressée chez elle en avril 2023 pour avoir tenté de mettre fin à un rodéo. Rappelons que les maires sont des officiers de police directement élus par le peuple. Il s’agit peut-être de la forme la plus démocratique qui unit police et peuple en France actuellement. Comble de l’humiliation qui consacre l’impuissance de l’État et des sédentaires, son fils a été tabassé en tentant de la défendre. C’est ainsi que le bédouin affirme sa souveraineté au dépend de celle du peuple français. Pas même le domicile ou la famille n’échappe à sa violence, donc à son pouvoir. Ce sont là des enjeux sur lesquels nous reviendrons.
Remarquons que l’exemple des rodéos montre que les bandes de bédouins ne sont ni les défenseurs du peuple, ni de la classe des travailleurs, contrairement aux fantasmes gauchistes. Quand des bandes s’opposent à l’arrestation d’un rodeador ou vengent un des leurs qui a été dénoncé pour cette pratique, ils ne représentent pas la volonté de l’intégralité des habitants du quartier, mais seulement d’un réseau ethno-communautaire de solidarité tribale.
Cette discordance entre ces réseaux et le reste de la population de ces quartiers avait été magistralement analysée dans un livre désormais daté, Le Capital Guerrier (17), et il se peut que la part des « sédentaires » au sens khaldounien du terme ait depuis diminué dans nombres de ces zones. Ainsi, dans la « ZUP Argentine » à Amiens, il y a de cela quelques semaines, une horde de « 50 à 60 gamins » ont attaqué les pompiers qui venaient en secours au petit Léo, 8 ans. Léo avait été violemment percuté par un « jeune » qui fuyait la police. L’enfant écopa de 30 jours d’ITT (18).
Comme nous le verrons, pour des raisons ethno-sociales, ni Léo ni son père ne bénéficient des solidarités tribales de cette cité, et la vie d’un enfant de 8 ans importe moins que la solidarité entre bédouins communautarisés. Malgré la violence des faits et la rébellion du suspect lors de son arrestation, la décision fut prise de le libérer avant son jugement, chance que n’a pas eu le policier en cause dans l’affaire Nahel (19). Encore une fois, le sédentaire, le père de Léo dans ce cas, ne peut qu’éprouver « rage » et « détresse », ce qui montre l’impuissance des sédentaires face aux bédouins. Autre exemple de cette solidarité tribale : l’intervention d’une soixantaine de personnes à Strasbourg le 18 mai 2023 pour empêcher par la force l’arrestation d’un rodeador (20).
L’arrestation d’une femme de 44 ans parmi les agresseurs des policiers montre que, dans cette volonté de repousser le pouvoir de l’État français, hommes, femmes et « gamins » sont unis. Enfin, l’affaire des deux racailles de Grenoble qui s’amusaient à foncer à petite vitesse sur les passants près de la terrasse d’un café permet de compléter l’analyse du phénomène que sont les rodéos (21). Cette démarche s’inscrit dans un rapport de force visant à humilier le sédentaire, à lui signifier son impuissance, qui plus est sur son lieu de travail/loisir. Lorsque le gérant se révolta, il fut menacé d’un couteau. Fait intéressant : malgré l’infériorité numérique des bédouins, ceux-ci ne furent pas lynchés ou même repoussés franchement. Sans surprise, le porteur du couteau, âgé de 16 ans, est « défavorablement connu des services de police ».
Concluons cette première partie en soulignant que la question du refus d’obtempérer et du rodéo — à deux ou quatre roues — ne semble pas apparaître comme l’expression de la volonté de l’État français de brimer voire de tuer ses populations non-blanches (ce que laisse penser Juan Branco, parmi d’autres (22)) ni comme une banale question de limitation de vitesse ou de priorité à droite non respectée. Le rodéo incarne le refus par la racaille communautarisée de la souveraineté de l’État. Il incarne aussi la volonté d’humilier, de rabaisser, voire de tuer les sédentaires. Les quelques exemples cités ici ne reflètent pas le nombre immense d’affaires de rodéos recensées en France, ne serait-ce que dans les mois qui précèdent les émeutes que nous connaissons aujourd’hui. En les replaçant ainsi dans leur contexte, nous pouvons désormais les comprendre comme la manifestation des velléités de sécession des bédouins de France et de destruction de la souveraineté nationale.
L’affaire Nahel n’est pas une aberration due à la gâchette facile d’un policier, mais le dénouement difficilement évitable d’un conflit politique fondamental. Pour comprendre comment la racaille, minoritaire, peut arriver à faire trembler les sédentaires et l’État français entier, il nous faut plonger dans la pensée d’Ibn Khaldoun telle qu’elle a été analysée ces dernières années par l’historien Gabriel Martinez-Gros.
Il peut apparaître incompréhensible que l’une des dix premières puissances mondiales peine autant à contrôler les bandes. Pour comprendre comment est organisée cette impuissance, la théorie d’Ibn Khaldoun est la plus pertinente, ce qu’indiquent les trois ouvrages de Gabriel Martinez-Gros qui nourrissent ici notre réflexion (23). L’analyse d’Ibn Khaldoun porte sur des sociétés qui ne connaissent que très peu de gains de productivité, des sociétés pré-révolution industrielle. Alors, la seule manière de générer de la richesse est de la concentrer dans des centres, ce qui permet le développement de nouveaux besoins et de nouveaux produits. Ce développement économique est inséparable de l’impôt que prélève l’État.
Or, pour prélever efficacement l’impôt, il faut que les producteurs, les habitants de ce qui devient un Empire (bien que Martinez-Gros donne une définition plus précise à ce terme) doivent être désarmés. Ce désarmement consiste bien sûr à retirer les armes aux sédentaires, mais aussi à briser, consciemment ou non, leurs solidarités familiales, tribales, ethniques, qui permettent par exemple de se faire justice soi-même. Il y a donc un versant idéologique, psychologique pourrait-on dire, à ce phénomène.
Étant donné que ces empires, comme l’Empire romain, l’Empire chinois ou l’Empire Moghol, sont si puissants qu’ils n’ont pas ou très peu d’ennemis dignes de ce nom à l’extérieur, ils se considèrent comme le centre du monde et n’ont plus besoin des armées qui, dans certains cas comme celui de Rome, leur avaient permis des conquêtes avec une armée massive de citoyens. Une nouvelle classe sociale, les clercs, ou oulémas, naît de la division du travail qui permet à une minorité de se concentrer sur les affaires spéculatives.
Ceux-ci ont tendance à rejeter la violence, dans une logique universaliste, et à considérer qu’il faut à tout prix s’en garder tout en s’interrogeant sur des questions qui, par nature, ne peuvent pas être résolues, comme la lutte contre le mal par exemple. Héritiers de la toute-puissance de l’empire qui n’a, à son apogée, pas d’ennemis significatifs, les clercs écartent le politique et le rapport de force en les niant. L’une de leurs fonctions est de justifier et de proscrire l’utilisation de la violence par les sédentaires. Or, pour garder son troupeau de contribuables de plus en plus vulnérable aux attaques extérieures des quelques barbares qui entourent l’empire et empêcher toute révolte fiscale, l’État khaldounien fait appel à la violence extérieure.
En effet, la violence est de plus en plus difficile à trouver parmi les sédentaires, et les armer pourrait nuire à leur consentement à l’impôt. Celle-ci est fournie par les bédouins, d’abord sous forme de mercenaires. Ces populations sont restées à l’écart de la richesse, et donc de la docilité des sédentaires. Ils vivent en marge des empires et ont conservé leur solidarité guerrière, leur Assabiyya. Bien sûr, une fois invitées par les empires, elles se voient déléguer des fonctions de violence qui finissent par lui être réservées, puis par prendre le pouvoir.
Les similarités entre la situation de la plupart des pays occidentaux et ce schéma khaldounien sont frappantes. La croissance économique s’est en effet tassée depuis plusieurs décennies, et la métropolisation évoque celle des empires. La masse des sédentaires n’a jamais été aussi atomisée, du fait d’un confort croissant, du développement de la propriété individuelle, de l’automobile individuelle et du versant idéologique de cette atomisation : le libéralisme.
La majorité des sédentaires est étrangère à la violence, dépourvue de toute Assabiyya et entièrement dépendante de la police, et donc de l’État, en cas de menace physique. Par exemple, un couple de Lyonnais apeurés par les groupes de pillards à leur fenêtre, groupes dont ils ne comprennent pas la logique, décida en dernier ressort d’appeler la police d’un ton déterminé (24). Or, la police ne répond plus.
La police française est impuissante face aux bédouins pour les raisons que nous avons déjà évoquées. Le refus des oulémas de laisser des sédentaires utiliser la violence les condamne à être plus faibles face aux bédouins que face aux Gilets jaunes sédentaires qui pestaient justement contre l’impôt. Cette résistance des oulémas est illustrée par les déclarations des députés NUPES ou par le refus des néo-clercs d’appliquer la circulaire de sévérité contre les émeutiers voulue par le ministre de la Justice, une avocate la qualifiant de « circulaire de la honte » (25).
Aux yeux des néo-clercs français, c’est l’État qui est responsable de la violence des bédouins, de la logique de rapport de force comme l’exprimait un universitaire dans Le Monde ou un journaliste du Média victime d’une agression lors de ces émeutes, ce qui illustre très bien la négation du politique propre à cette démarche religieuse (26).
De plus, les effectifs constabulaires sont limités car il est difficile de recruter dans de telles circonstances. La violence est rare chez les sédentaires et ceux qui seraient prêts à l’utiliser ne veulent pas prendre le risque de finir au pilori pour « bavure » (27). Comme les enseignants, les policiers sont sommés d’atteindre un but dont les moyens sont interdits. Les moyens sont la violence pour les policiers et la discipline pour les enseignants.
Enfin, équiper une police professionnelle à plein temps pour garder autant de sédentaires auxquels il est interdit de se défendre — et qui pour beaucoup en seraient incapables — coûte cher. De même, les légions romaines coûtaient cher à l’Empire une fois le modèle du citoyen soldat abandonné.
Remarquons que le cœur du discours des néo-clercs repose sur l’antiracisme. Celui-ci, en effet, est la nouvelle religion qui légitime l’impuissance du politique. Les bédouins, pour pleinement remplir leur rôle, doivent être ethniquement et même racialement distincts des sédentaires. Comme le souligne Martinez-Gros pour l’Inde des Moghols, les soldats de l’Empire sont des Pachtounes, des Turcs ou d’autres groupes ethniques, ils ont la peau plus blanche que les sédentaires autochtones et sont musulmans, contrairement à la majorité hindoue.
Les sédentaires sont sommés de tolérer la violence des bédouins et de ne pas y répondre sous peine d’être accusés de racisme. L’accusation de racisme permet alors de détruire la souveraineté nationale et populaire. Les bédouins, eux, ont réagi par solidarité ethno-raciale. La mort, il y a quelques jours, d’un Français blanc dans un refus d’obtempérer n’a pas conduit à de telles réactions. Puisque que le Français blanc est accusé de racisme, qu’il est un sédentaire dépourvu de Assabiyya et un contribuable, il constitue une cible privilégiée pour les émeutiers.
Sur une vidéo montrant deux policiers hors service tabassés à Marseille, un passant explicite la dimension ethnique du mouvement devant le policier gisant inconscient : « les Arabes ils vous enculent » (28). Autre exemple, ce blanc agressé par un groupe de bédouins à Bordeaux pour avoir défendu une grand-mère qui serait actuellement dans le coma (29). Les propos de l’homme dans une autre vidéo illustrent la résignation des sédentaires français face à la clémence des oulémas envers les bédouins, tandis que le fait qu’il fut seul contre dix montre le différentiel d’Assabiyya avec les bédouins (30). Dernière illustration de cette dimension raciale : un tweet jubilant de l’agression d’un blanc par une bande de racailles avec cette légende sans équivoque : « hahah tout les blancs msakin c’estdbdes policiers en civils, ils sfont tous arrachés #emeutes ». Le tweet a depuis été supprimé mais une recherche Google permet d’en retrouver les traces.
Les émeutes actuelles sont, de par leur caractère ethnique/racial, fortement similaires aux émeutes qui ont suivi la mort de George Floyd ou à celles de 1992 à Los Angeles. Comme nous l’expliquions dans un précédent article, les « noirs et les arabes » en France ont pris modèle sur les Afro-Américains, et la destruction des bâtiments Angela Davis et Rosa Parks (31) sont ici une cruelle ironie. Comme les liberals aux États-Unis, des blancs intramuros récitent les théories religieuses antiracistes pour justifier les émeutes en plein Paris (32).
Dans ce cadre idéologique, sacrifier judiciairement un blanc ou assimilé — les Américains diraient « white adjacent », qui aide les Blancs — pour apaiser les tensions raciales, est une stratégie possible. D’où la mise en détention du policier mis en cause et l’absence de solidarité de la part de sa hiérarchie, malgré son passif exemplaire. La mise en examen de l’ancien entraîneur de l’OGC Nice, Christophe Galtier, pour discrimination envers les personnes « noires » et « les musulmans », est assez révélatrice des priorités de la justice dans le contexte qui est le nôtre (33).
Comme aux États-Unis, l’antiracisme est l’arme idéologique qui doit neutraliser les sédentaires et les pousser à la soumission, notamment en payant tribut aux bédouins. Elle accompagne et facilite le désarmement des Français au sens littéral du terme. Ce désarmement est visible dans les mesures d’interdiction de transporter des armes, qui ne visent évidemment pas la racaille fort peu susceptible d’enregistrer ses kalachnikovs à la préfecture (34). Une campagne d’abandon des armes en préfecture avait été menée il y a quelques mois, et la docilité des sédentaires soulagés de se débarrasser du fardeau de la violence y était remarquable (35).
L’annonce faite par Valérie Pécresse d’une subvention de 20 millions d’euros aux banlieues et plus généralement les sommes colossales déversées dans le tonneau des Danaïdes de la politique de la ville sont une forme de tribut qui affaiblit l’État et pèse sur les sédentaires qui en sont les contribuables. Au lieu de payer un tribut aux bédouins, démarche qui semble désormais insuffisante pour apaiser leur courroux, on pourrait imaginer qu’à l’instar du roi Charles III avec les Vikings, l’État français délègue sa souveraineté sur certains territoires.
Cette perspective nous amène à la troisième partie de notre propos, où nous aborderons des pistes d’évolution probables. Pour résumer la seconde partie de notre propos, l’impuissance de l’État face à la racaille s’explique par le désarmement et l’atomisation des sédentaires ainsi que par la castration politique de l’État par les oulémas. Cette impuissance est idéologiquement justifiée par l’antiracisme, et les émeutes actuelles ont une composante ethnique indéniable qui motive les bédouins et affaiblit les sédentaires.
Intéressons-nous désormais au devenir d’un État qui a consacré son impuissance politique, notamment face aux bédouins. Celui-ci n’est bien sûr plus souverain, comme nous l’avons vu. D’un État-nation présent sur tout son territoire, on passe à un État plus archaïque qui se contente d’expéditions, de temps à autre, pour rappeler sa souveraineté théorique. Cela permet d’analyser le passage d’une police de proximité à une stratégie qui s’appuie de plus en plus sur les CRS et même, actuellement, des forces d’intervention comme le RAID, que ce soit dans les banlieues ou dans des zones centrales mais dominée par les bédouins, comme la place de la Guillotière à Lyon ou Barbès à Paris.
Les émeutes actuelles risquent de fortement accentuer cette tendance. Comme le Bey d’Alger avant la colonisation française, l’État néo-khaldounien envoie des expéditions punitives quelques fois par an, afin de montrer qu’il peut tout de même, parfois, en imposer aux bédouins. Les services publics et les commerces, comme aux États-Unis, se font et se feront rares dans les zones d’émeutes tandis que les plus aisés quitteront sûrement les zones centrales ou quasi-centrales de type faubourg, par exemple celles où la racaille a pillé des magasins à Lyon.
L’État risque, pour compenser cette perte de souveraineté, d’accroître sa pression sur les sédentaires, notamment sa pression fiscale. Il se peut même que la situation sécuritaire soit mise à profit pour accroître cette pression. Les sédentaires subissent alors de plein fouet la domination de l’État et des bédouins, ainsi que le montre par exemple la scène où un chauffeur routier se fait voler son camion, son outil de travail, devant des racailles hilares qui jouissent de leur pouvoir (36).
Remarquons que la carte des émeutes en Île-de-France montre une ceinture qui entoure le centre de richesse qu’est Paris comme les tribus makhzen dépêchées par le Sultan du Maroc entouraient Fez. La périurbanisation éloigne donc une partie grandissante des sédentaires des lieux de pouvoir. Cet ֤État néo-khaldounien concentre ses efforts sur la protection des centres de richesse qui lui assurent ses rentrées fiscales et sur les liaisons entre ces centres. Il est fréquent de constater la présence de marginaux ou de racailles dans les RER, transiliens et même TER, tandis que le moindre alcoolique qui réussit à pénétrer dans un TGV est interpellé le plus souvent à l’arrêt le plus proche par une équipe conséquente de policiers. La souveraineté sur l’ensemble du territoire cède donc la place à une souveraineté en archipels.
Ce phénomène s’accompagne d’une perte de souveraineté face aux acteurs extérieurs. Loin d’être en ordre à l'intérieur, l’État français n’est pas non plus respecté à l’extérieur. Ainsi l’Algérie se permet de réprimander la France pour le traitement de son ressortissant, le double national Nahel (37). Des drapeaux de l’Algérie étaient visibles à la manifestation à sa mémoire (38) ainsi qu’à d’autres événements. L’ONU en profitait aussi pour réitérer ses injonctions à ce que la France réforme sa police « raciste ». L’impérialisme états-unien s’exprime aussi par ce biais, et la transformation en une société multiculturelle est une des revendications de cet impérialisme, pour lequel l’antiracisme constitue une part importante de sa religion, religion qu’il s’agit d’imposer.
Quid de l’identité des sédentaires ? A l’image de celle des habitants de l’Égypte sous domination étrangère ou d’autres vieilles terres d’Empire, elle disparaît, s’émiette. Ainsi, le lumpen-prolétariat français adopte de plus en plus les marques distinctives des bédouins allochtones, allant même jusqu’à s’inventer des origines étrangères. Le fait même que le Français soit défini négativement comme n’ « ayant pas d’origines » illustre cet écrasement, cette disparition.
Les attaques des émeutiers contre les symboles de l’État français participent de cette logique, tout comme le lynchage d’un prêtre à Saint-Étienne (39) ou la dégradation du mémorial de la déportation à Nanterre. Lors de ce dernier évènement, un homme a d’ailleurs décroché le drapeau français. Les martyrs de la France n’ont aucune valeur aux yeux des bédouins, qui imposent leur victime à honorer comme George Floyd fut imposé aux États-Unis et les héros de l’histoire Américaine, des jésuites espagnols aux généraux de la Guerre Civil, déboulonnés. Effacer l’identité des sédentaires permet bien sûr de mieux les soumettre et de s’assurer qu’ils ne reconstituent pas leurs solidarités.
Face au désordre actuel, l’État peut être tenté de négocier avec des caïds existants voire de constituer des bédouins en caïds afin qu’ils règnent à sa place sur ces zones. En effet, dans les quartiers dominés par des caïds « sérieux », les troubles sont toujours beaucoup plus rares. De même, les zones où prédominent la mafia dans le sud de l’Italie sont très calmes. La raison en est bien sûr que tout trouble serait sanctionné par la mort, sanction dissuasive s’il en est. Dans ce nouveau monde, plus de tribunaux, plus d’appels ni de contestations et le règne de la Mafia apparaît plus clément et plus ordonné que celui des bandes. Néanmoins, il signifie bien sûr la perte de la souveraineté populaire.
Une fois compris que les bédouins ne cherchent pas le désordre mais à imposer leur propre ordre, nous pouvons analyser de manière plus pertinent les réactions des hommes politiques, particulièrement ceux de la NUPES qui apparaissent comme les représentants de l’union entre les néo-clercs et les bédouins.
Les figures de la NUPES ont jusqu’à aujourd’hui (2 juillet) apporté leur soutien aux émeutiers en légitimant leurs actions par l’injustice et le racisme de l’État français. Contentons-nous de citer les réactions de Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci a d’emblée qualifié le policier « d’assassin » et condamné « l’escalade sécuritaire » (40). Conformément à son rôle de néo-clerc, Mélenchon milite pour l’impuissance de l’État. Comme le remarque Houria Bouteldja, alors qu’en 2005 « seule une poignée de gauchistes » avait soutenu les émeutes, LFI a soutenu à l’unisson les bédouins (41). Cela témoigne de la convergence entre les nouvelles couches moyennes (NCM) néo- clercs et les bédouins, dont la NUPES est l’expression politique.
Or, ces clercs s’illusionnent quant aux intentions et à la nature des bédouins, qu’ils considèrent comme une force populaire et révolutionnaire et qu’ils comparent volontiers aux Gilets jaunes. Comme nous l’avons vu, il s’agit bien plutôt de pillards qui terrorisent, violentent et humilient les travailleurs français, soit l’inverse des Gilets jaunes qui, eux, représentaient les sédentaires ployant sous le poids de l’État néo-khaldounien.
Les néo-clercs appellent piteusement les émeutiers à ne pas s’attaquer aux services publics, alors que ces attaques sont au cœur de la logique des bédouins (42). De même les plaidoyers pathétiques à ne pas s’attaquer aux voitures des « pauvres » montrent quel rapport de force se dessine dans l’alliance entre les bédouins et les néo-clercs. Puisque les bédouins ont la force, les néo-clercs leur seront soumis. Ainsi, Carlos Martens Bilongo fut virilement sommé de quitter un rassemblement à Nanterre sous peine de violences physiques (43). Notons ici que les néo-clercs sont disposés à accepter ces humiliations de la part des bédouins qu’ils idéalisent et espèrent utiliser comme force politique.
Les espoirs de convergence des luttes, par exemple avec les lubies écologiques des NCM (cf. capture d’écran), se heurtent à la réalité de la violence et de l’intolérance des bédouins qui, par exemple, envisageaient une descente dans un bar gay de Brest pour y aller « brûler les PD » (44).
Face au recul de l’État, les bédouins accentuent leur pression jusqu’à tenter d’immoler la famille du maire d’Hay-les-Roses à son domicile (45), de suivre les policiers de Vénissieux jusqu’à leur domicile et d’attaquer une résidence où vivent des gardiens de prison en banlieue parisienne (46). Nulle surprise que l’appel aux services de sécurité privée explose, ce qui témoigne de la perte du monopole de la violence légitime par l’État. Comme l’Empire romain faisait appel à des tribus germaniques plus ou moins romanisées pour lutter contre d’autres bédouins, nombre de ces agents de sécurité sont « issus des quartiers populaires », c’est-à-dire aux bédouins (47) ou à des populations proches des bédouins. En effet, la racaille respecte davantage les personnes proches de leurs tribus que les « purs » sédentaires.
Dans plusieurs villes de France, des personnes s’organisent pour protéger leur intégrité, leurs biens et leurs demeures contre les pillards. En effet, la racaille, dont le raisonnement repose sur de purs rapports de force, est désormais assez enhardie pour attaquer les logements privés, la dernière sphère de protection de l’individu atomisé. Les habitants de la résidence où logent les gardiens de prison ont dû repousser les assaillants par eux-même en s’armant de barres de fer en absence de réponse de la police. Des sédentaires de Metz ont été filmés patrouillant dans leurs rues armés de bâtons tandis qu’à Lorient, une « brigade anti-casseurs » s’est constituée à la grande surprise des journalistes qui, étant eux-mêmes des néo-clercs, trouvent toujours suspect que les sédentaires s’organisent pour se défendre (48).
La lâcheté des autorités françaises qui tentent désespérément d’appliquer la stratégie de l’autruche a conduit à cette situation. La résoudre implique de clairement définir les limites de la communauté nationale et de restaurer et même étendre la souveraineté nationale et populaire.
En effet, l’amalgame entre les racailles et « les classes populaires » illustrée par les comparaisons entre les Gilets jaunes et les émeutes actuelles pourrait justifier une délégation de souveraineté aux bédouins sous prétexte d’une réforme « populaire » du maintien de l’ordre. On peut penser par exemple à l’intégration de « grands frères » et autres bédouins au sein-même de la police ou à des quotas ethniques dans le recrutement des forces de l’ordre, ce qui reviendrait à une hybridation entre l’État et les bédouins, pire scénario possible pour les sédentaires.
Ces bédouins, bien que Français de jure, n’appartiennent pas de facto à la communauté nationale ni à la classe des travailleurs, mais en sont les ennemis. Le seul moyen d’éviter ce devenir khaldounien est de démocratiser le maintien de l’ordre, non en abolissant la police professionnelle, mais en s’inspirant du modèle du citoyen-soldat, avec par exemple des réserves de citoyens mobilisables.
Définir les limites de la communauté nationale est nécessaire pour de tels projets. Comme le montrent les travaux de Gabriel Martinez-Gros, le modèle du citoyen soldat — et l’on pourrait même dire citoyen soldat producteur — est l’antithèse du schéma khaldounien. L’on ne peut se contenter de vouloir revenir à ce modèle tel qu’il existait jusqu’à peu. Afin de lutter contre les bédouins et leurs alliés néo-clercs, seul un modèle de souveraineté nationale et populaire étendue peut fonctionner, évitant ainsi l’hybridation bédouins-État ou même le développement d’un État policier.