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Mexique

Ces mains qui arrachent les femmes

Au Mexique, les femmes sont considérées comme des marchandises. Leur faut-il chercher la protection dans le statut de victime ou leur faut-il se libérer de la main qui les arrache ?

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Par Tania Rogissart Flores

Lecture 4 min

Tous les pays du monde n’incluent pas – encore – le féminicide dans leur code pénal. Le droit français, par exemple, ne le reconnaît pas. Au Mexique, le crime du féminicide a été ajouté dans la loi en 2012, deux ans avant que la Real Academia Española, la plus haute autorité en langue espagnole, ait inclus le terme dans son dictionnaire. Pour beaucoup de gens, le féminicide n’existe pas : puisque la racine du mot « homicide » vient du latin hominis (humain), la femme, disent-ils, est de facto incluse. C’est confondre homicide et assassinat. Le code pénal français, en son article 221-3, stipule que le « meurtre commis avec préméditation ou guet-apens constitue un assassinat ». Le code pénal fédéral mexicain distingue aussi l’homicide intentionnel de l’homicide non intentionnel en son article 307. L’intention coupable à l’origine du meurtre, dans le cadre du féminicide, a un lien avec le genre de la personne. Tuer une femme, ce n’est donc pas nécessairement commettre un féminicide. Qu’est-ce qui rend ce genre d’assassinat si spécifique et qui justifie sa distinction du reste des assassinats, dont les motifs sont si nombreux ? De nombreuses raisons poussent un assassin à attenter à la vie d’une femme : une enfance frustrée, l’image capitaliste de la femme comme produit de consommation, etc. Le féminicide prend aussi des formes spécifiques.

Dans les années 1990, Ciudad Juárez, une ville du nord du Mexique, inspirait la peur. Les femmes y disparaissaient sans cesse et personne ne trouvait d’explication. Parfois, les cadavres étaient découverts, mais la plupart d’entre eux n’étaient jamais reconnus par leur famille. Deux décennies plus tard, en 2016, il y eu une vague effrayante de disparitions de femmes. Sur le chemin du travail ou de l’école, ou en allant chez des amis, c'était comme si ces dernières s’évaporaient. « L’avez-vous vue ? » Sur les réseaux sociaux, les proches des victimes lancent encore des bouteilles à la mer. Le plus incroyable était que cela se passait devant les yeux de tout le monde. Dans les centres commerciaux, les hommes qui voulaient kidnapper des filles se faisaient simplement passer pour leur copain ou leur père : « Elle est toujours comme ça. Allons-y, ma chérie ! », lançaient-ils aux gens qui regardaient, perplexes, sans rien faire. Et les femmes de crier, en vain, pendant qu'on les tirait par le bras : « Je ne le connais pas ! Je ne le connais pas ! » Pourquoi les ignorait-on ? Pourquoi accordait-on plus de crédit à la parole des hommes? N’étaient-ils pas clairement les agresseurs ?

Ce n’est un secret pour personne que les familles des victimes disparues font face à l’indifférence et aux remarques humiliantes des fonctionnaires : « Votre fille est sûrement allée à une fête ! », « Elle s’est enfuie avec son petit ami… » Qu’importe si la fille en question n’a jamais été en couple, est très jeune et ne sort jamais seule. Si une fille se fait violer, la police insinue que c’est parce qu’elle portait une jupe très courte, qu’elle était ivre ou qu’elle était sortie très tard, comme si toutes ces excuses étaient une invitation à se faire agresser. Aux yeux de l’administration, nous, femmes du Mexique, ne sommes que des chiffres, des dossiers empilés, classés, et puis oubliés. Disparues, nous n’avons plus de prénom, plus d’histoire, plus de visage. Du moins ne surgissons-nous qu’à l’occasion de rumeurs, de calomnies proférées par des gens qui prétendent avoir l’autorité morale de dire que c’est notre faute, notre faute de ne pas avoir choisi le bon copain, d’avoir pris quelques bières, de s'être habillées de manière indécente, de ne pas avoir serré les jambes quand on nous a violées.

On pourrait penser que le métro, malgré le harcèlement sexuel et les attouchements, est un endroit plutôt sécurisé. Personne n’oserait prendre quelqu’un de force devant tant de monde ! Pourtant, on ne compte plus le nombre d’histoires de femmes qui ont été vues pour la dernière fois dans le métro. En consultant les vidéos des caméras de surveillance de la dernière station empruntée par l'une des disparues, par exemple, on peut la voir en compagnie de plusieurs hommes, forcée de les accompagner et menacée avec un fusil. En 2000, le métro de Mexico mit en place des mesures de sécurité contre le harcèlement sexuel envers les femmes. Le dispositif était cependant très imparfait, ne fonctionnant que pendant certaines tranches horaires jusqu’en 2019. Puis les autorités décidèrent que deux wagons au moins par rame soient réservés aux femmes ; cela n’empêcha pas les hommes de s’y incruster. Il existe désormais aussi un levier d’urgence, mais il y a toujours des huées quand on l’actionne, car personne n’a envie de rester coincé dans un train et d’y mourir de chaud à cause d’une climatisation défectueuse…

Il existe au Mexique des lois et des mesures plus importantes pour protéger les femmes. En plus de la reconnaissance du féminicide, il y a la loi « Olimpia » qui punit la diffusion de vidéos à caractère sexuel sans le consentement de la personne filmée, ou encore la loi « Ingrid » qui interdit la diffusion des images des corps des victimes, jetées ainsi en pâture à la presse et au public. Toutes ces lois restent cependant lettre morte si les fonctionnaires ne font pas bien leur travail et si la corruption pèse plus lourd que la justice.

Une femme contre deux sacs de maïs

La violence endémique contre les femmes au Mexique n’est pas exclusive aux grandes villes comme Mexico, Guadalajara ou Monterrey, mais s’étend aussi à la campagne. Dans le petit village de Tenancingo dans l’État du Tlaxcala, par exemple, un enfant sur cinq a pour rêve de devenir proxénète quand il sera grand. Chaque année, les proxénètes, qui vivent aux États-Unis, retournent au village à une fête dédiée en leur honneur, comme s’ils étaient les saints patrons du village. En fait, le commerce des femmes est une chose courante et normale dans certains États du Mexique, comme le Chiapas, l’Oaxaca ou encore le Guerrero. Là-bas, elles sont des « monnaies d’échange » : deux sacs de maïs, un petit terrain et un âne pour une fille ; 150 000 pesos pour une autre. Ces marchandises ont comme propriété d’être des biens aliénables dépourvus de volonté propre. On donne une femme comme on donne un sac de maïs. Comment s’étonner, alors, que les femmes mexicaines soient considérées comme incapables de vivre comme elles l’entendent, qu'elles ne puissent agir sans devoir solliciter l’avis de la famille ou du mari ? Nadejda Kroupskaïa se lamentait il y a plus d’un siècle de la condition de servitude de la paysanne du temps de la Russie tsariste :

Dès son plus jeune âge, la paysanne travaille dans la famille de ses parents comme ouvrière. Elle est considérée comme la propriété de ses parents qui peuvent la faire travailler du matin au soir, l'envoyer au travail et lui prendre tout son salaire.

Pour les femmes, la famille est un lieu d’exploitation, et le mariage un simple transfert de propriété du père au mari. Kroupskaïa relève qu’il est impossible pour un père, tant qu’il n’a pas payé les arriérés de ses dettes, d’aliéner sa fille au bénéfice de son futur gendre. Quand elles peuvent être mises sur le marché matrimonial, les filles sont inspectées comme au marché aux esclaves : « lorsqu’une jeune fille est choisie, les principales qualités recherchées sont : être en bonne santé, travailler bien et être forte, agile et résistante. »

La participation des femmes à leur propre exploitation

Le sujet de la violence masculine contre les femmes est heureusement devenu moins tabou, même si les mesures prises pour lutter contre sont insuffisantes et même parfois tout à fait complaisantes. Un sujet moins abordé – peut-être plus risqué – est celui de la participation des femmes dans la violence machiste. Nous le disons ici sans ambages. Une façon pour les femmes de participer à la violence machiste est de se réfugier et de trouver un certain confort psychologique – voire tout à fait matériel – dans la position de victime. Pour Danièle Giglioli, dans Critique de la victime, la victime attire la sympathie obligatoire de tous et bénéficie d’une irresponsabilité qui est la condition de possibilité de la reconnaissance du tort qui lui a été fait. « Comment la victime pourrait-elle être coupable, ou même responsable de quelque chose ? Elle n’a rien fait, on lui a fait. Elle n’agit pas, elle subit. » La victime est animée par des passions contradictoires, « le manque et la revendication, la faiblesse et la prétention, le désir d’avoir et le désir d’être. » Critiquer la culture féminine, les pratiques féminines, revient à être un culpabilisateur au même titre que ceux qui blâment les victimes de violences en renversant la responsabilité. De surcroît, ces dernier(e)s sont parfois des femmes.

La plupart des personnes qui s’occupent de l’éducation des enfants au Mexique, comme à peu près partout ailleurs, sont des femmes. Ce sont ces mêmes femmes qui perpétuent, transmettent les préjugés qui nuisent aux autres femmes, qui dictent la manière de s’habiller, de vivre sa sexualité ou sa vie amoureuse et qui empêchent les femmes d’avoir leur propre vie tout en étant des mères.

Ce sont les mères qui fixent les différences entre l’éducation d’une fille et celle d’un garçon. Les hommes ne font rien à la maison ; ils ont le droit de faire leur vie comme bon leur semble sans rendre de comptes à qui que ce soit. En revanche, s’ils ont des sœurs, elles doivent apprendre à leur faire le ménage ou la cuisine, et même à les servir à table, comme une sorte d’obligation. Quand ces filles deviennent adultes, peu importe si elles ont un emploi, elles paient aussi les factures, s’occupent des enfants, prennent soin de leur partenaire, qui n’a qu’à mettre les pieds sous la table en rentrant à la maison. Petit à petit, les choses commencent à changer, notamment chez les nouvelles générations, mais peu nombreux sont les couples où le mari et l'épouse sont sur un pied d’égalité. Plutôt que de permettre aux femmes de prendre en main, en toute responsabilité, leur propre destin, certaines féministes préfèrent mener une guerre victimaire contre la gente masculine et ce qui s'y rapporte, et qualifient tous les hommes d’agresseurs potentiels, comme dans la chanson chilienne El violador eres tú (Le violeur, c’est toi). Ce n’est pas une guerre entre hommes et femmes, sinon le résultat de l’inégalité sociale.

Bien que les mouvements féministes ont aidé à la création de nouvelles lois qui protègent les femmes et punissent leurs agresseurs, nous ne considérons pas qu’ils soient la solution définitive au problème de violence machiste. Si l'on oublie la lutte de classes, on ne fait que soigner superficiellement une blessure qui a besoin d’être traitée en profondeur. La restructuration de la pensée collective sera possible quand les différences entre les uns et les autres disparaîtront, parce que le capitalisme traite les humains comme des marchandises. Comme Eduardo Galeano l'écrit dans Les veines ouvertes d’Amérique Latine : « Les enfants latino-américains continuent obstinément à naître et à revendiquer leur droit naturel à une place au soleil sur ces terres magnifiques qui pourraient offrir à tous ce qu’elles refusent à presque tous. » Le salut des femmes passera par la lutte contre le capitalisme.

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