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Misère du rap engagé

Le rap prétendument engagé est l’appendice artistique de la social-démocratie bourgeoise et du purulent microcosme associatif qui gigote dans son orbite.

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Par Gabriel R.

Lecture 10 min

Il est de bon ton de dire que le rap est misogyne, vulgaire, antisémite, antifrançais, homophobe, violent, capitaliste mais, qu’heureusement, il existe toujours (ouf!) un rap dit « contestataire », indocile, qui se préoccupe des inégalités et des problèmes sociaux et qui, lui, ne se serait pas perdu dans les sirènes de l'industrie et ne véhiculerait pas une éthique capitaliste. L'auteur de ces lignes n'est pas allergique au rap. Il en a écouté, il en écoute toujours, il n'écoute quasiment que ça, mais il a cessé depuis longtemps d'y voir autre chose que ce que c'est . Mais ne nous égarons pas et faisons un sort à l'insupportable rap « contestataire », qui pour bon nombre de militantes de gauche constitue une forme d'art « engagé » .

Il y a quelques mois, le rappeur Médine, qui a déjà défrayé la chronique de nombreuses fois, sortait son album « Médine France » dont le contenu semble symptomatique du caractère lénifiant de cette musique fondamentalement conformiste. Dans sa critique littéraire, Marx préférait le monarchiste et réactionnaire Balzac au populisme larmoyant de Jules Vallès qui, selon lui, prétendait à quelque chose de profond alors qu’il ne s’agissait là que d’'une façon de se répandre en constat misérabiliste . Il en va de même avec le rap engagé qui nous fait revivre éternellement tout le folklore politiquement impuissant du spectacle antifasciste. Lancez un son de Kery James, Médine ou Youssoupha et respirez les ignobles remugles des « No pasaran ! » « La jeunesse emmerde le F-Haine » , répétés à l'infini, les dénonciations liturgiques et obligatoires de la colonisation et de l'esclavage (dont le devoir de mémoire est devenu religion civile) au milieu de messages politiques sentant bon le cosmopolitisme bourgeois, mollement social-démocrate, tièdement keynésien, tristement « de gôche » de la gau-gauche co-conne, celle qui « boxe avec les mots » à un meeting de Yannick Jadot en mars 2022 ambiançant un parterre d’européistes germanophiles affublés de torchons bleus étoiles jaunâtres (1).

Et puis, il y a Médine, le cas d’école sur lequel il faut revenir. C'est du sous-Paul Bourget mâtiné d’Eugène Sue. Paul Bourget (1852-1935) , ponte du roman à thèse, a disparu des radars précisément parce que ses œuvres étaient lourdement politiques, artificiellement engagées dans un sens, ce qui a eu tendance à atrophier l'expérience esthétique. Dans le cas du dernier album de Médine - mais nous aurions pu prendre n'importe lequel de Kery James - c'est exactement la même chose. On peut entendre qu'il n’« aime pas les drapeaux, les képis » , qu'il ne sait pas chanter la marseillaise, on y apprend également qu'il est fier de ses origines et que ce sont « les mêmes que le fer de la tour Eiffel », contre-vérité historique colportée par des journalistes algériens (les minerais extraits pour la construction de la dame de fer proviennent du nord-est de la France). Après un hommage à Franz Fanon et Jacques Vergès il nous fait savoir qu'il « pisse sur les souverainistes » (pour une fois qu’on a droit à une dédicace on ne va pas s’en priver), cités en même temps que la fleur de Lys et les « fafs » . Voilà toute la pompe impolitique et muséographique des marches contre le racisme, des boomers désabusés de la Ligue des droits de l'homme et autres « comités » contre les discriminations qui remontent à la surface dans ces rythmes binaires. Imaginaire sublimé et vécu lors de la traditionnelle fête de l'Huma, (où beaucoup de rappeurs se rendent pour chanter « nique la police » entre deux apéros-débats avec Valérie Pécresse, Eric Piolle, et Carole Delga) devenue une sorte de Woodstock pour bobos staliniens où se mélangent dans une fange arrosée de bière et d'ecstasy, les effluves de sueur et de cannabis bon marché, un large éventail de sociologies diverses et variées allant de la petite bourgeoise de centre-gauche jusqu'à l'étudiant dépolitisé vaguement « opposé à la haine » qui ignore que le vocable « Huma » vient du journal l'Humanité, à l’origine l’organe central du Parti communiste français.

Bref, le rap engagé n'est capable que d'épanchements poitrinaires et de slogans éculés ; il ne dérange personne, ne bouscule personne, ne dénonce rien du tout, il ne crée du conflit qu'avec les abrutis de la droite identitaire qui font de la cancel culture réactionnaire en voulant interdire des concerts ; tandem qui arrange bien les tenants de ce rap-là qui peuvent s'acheter à peu de frais une aura de résistant. Du reste, il n'y a pas plus conservateur et inintéressant. Il vaut mieux faire l’éloge d’un rap de rue franchement débile et crûment réaliste qui convoque des imaginaires déjantés et hyperboliques tels que ceux de Niro, Kaaris ou Alkpote plutôt que de se farcir les lieux communs et les enfonçages de portes ouvertes de Kery James : « Pauvres dignes contre bourgeois malhonnêtes(2) ». En effet, les rappeurs qui parlent de rue ont au moins le mérite de révéler fût-ce vulgairement et à travers moult chicanes idéologiques parfois teintées d’antisémitisme ou d’intolérance à l’égard de certains groupes, une réalité sociale violente et impitoyable. Ce sont des ethos directement prélevés dans le caniveau où les rappeurs sortis du coma ( car conscients ) s’enkystent dans une réclame répétitive.

Tout le monde n'est pas Aragon ou Barrès et l'art politique vire très souvent au fiasco et à la diatribe grossière. Quand il se rationalise lui-même et que l'intention qui préside à sa création a vocation à nous vendre un programme politique, l'expérience esthétique recule devant la gesticulation, surtout quand elle est formulée par des jeunes hommes d'une trentaine d'années qui n'ont aucune culture politique et historique et donc en proie à faire des contresens. De fait, rendre hommage à Jacques Vergès et « pisser sur les souverainistes » est profondément contradictoire dans la mesure où l’avocat est tout à fait intégrable à cette famille politique. Ou alors des banalités qui font froid dans le dos : « c'est la finance qui tire les ficelles de la démocratie, et moi je suis blanc donc je profite de leur système raciste » nous apprend Ken Samaras, allias Nekfeu… Alors comme ça la bourgeoisie manipulerait nos institutions ? C’est une piste intéressante qu’il faut creuser.

Tous ces albums finiront-ils dans les poubelles de l'Histoire ? Oubliés comme les mauvais romans soviétiques jdanovistes des années 50(1)? Leur survie sera sûrement proportionnelle au niveau d’engagement qu’ils contiennent. On peut penser que malgré ses avis politiques proches de ceux d’un gamin de 13 ans, Nekfeu survivra un peu plus longtemps que Kery James, parce que son fond de commerce n’est pas politique. Il sert d’abord à émoustiller la post-pubère de seize ans et trois mois, ce qui, il faut bien le reconnaître, réhabilite historiquement les rappeurs à tote bag (Lomepal et autres Georgio) parce que beaucoup de gens auront pleuré et se seront fait dépuceler sur ces paroles larmoyantes. Mais les auteurs qui collent trop à l’actualité vieillissent mal, c’est bien connu, et le clip de Kery James « Marianne » sorti en 2022, rejoint déjà la très éculée nouvelle Matin Brun publiée en 1998 par Franck Pavloff, censée tirer la sonnette d’alarme si le Front national parvenait au pouvoir.

C’est donc pour la plupart d’entre eux, la bonne vieille rente poussiéreuse sur la colonisation, la laïcité, l’esclavage, toujours prise en tenaille entre deux critiques du taux d’imposition à la française. Critique de l’État au nom de quoi ? Réhabilitation du marché, puis philantrocapitalisme dans le tiers-monde. Acheter une maison ici et simultanément faire construire une madrassa au Sénégal. Quémander, geindre, chouiner, babiller entre deux forages de puits au bled puis revenir en France, dans les studios feutrés du Mouv’ et de France Inter et se prendre pour Che Guevara, voilà l’horizon indépassable du rappeur engagé. Oui, nous l’affirmons, l’anarcho-capitalisme déraciné d’un Booba, grossièrement libertarien, bodybuildé et lesté de chaînes serties de pierres fraîchement pillées en Afrique centrale a beaucoup plus de choses à nous dire sur nous, notre société, notre américanisation que toute la brochette assommante des MC « engagés » de la « subversion subventionnée » comme le disait Clouscard, qui nous apprennent que le capitalisme et le racisme c’est mal.

→ À lire aussi : Etat ou racailles: qui fait la loi ?


(1) Le groupe de rap Arsenik a accepté de se produire à un meeting de Yannick Jadot, lors de la campagne présidentielle, en mars 2022.

(2) Kery James, Mouhammad Alix, 2016

(3) art officiel “réaliste socialiste” aux intrigues ouvriéristes et répétitives.
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