Marxisme et impolitique
Beaucoup de penseurs ont souligné la pente post-politique du marxisme. Peut-on faire dialoguer le réalisme et le marxisme ? Retour sur une controverse philosophique.
C'est un lieu commun de la critique philosophique du marxisme d'affirmer qu'il n'y a pas de théorie marxiste de l'État ni même du politique. C'en est un autre, dans les milieux de la marxologie scribouilleuse, de répliquer que Marx, au-delà d'une lecture superficiellement économiciste, a été et reste un penseur éminemment politique en cela qu'il ne réifie pas la politique en sphère autonome faite de nœuds et de relations de pouvoir, d'intrigues de cour, mais qu’il la voit comme un jeu de représentation des forces économiques et sociales se mouvant dans un contexte donné.
De fait, Marx ne fait pas de la politique un simple reflet illusoire et idéologique des forces économiques et des rapports sociaux, comme l'attestent ses essais Le 18 brumaire de Louis Bonaparte, La lutte des classes en France et La guerre civile en France. Il y montre de façon convaincante, ainsi que dans ses multiples articles commentant l'actualité géopolitique internationale, que le politique est un espace du possible où la lutte des classes, particulièrement en période de révolution, libère des processus d'institutionnalisation qui s'inscrivent dans une temporalité nouvelle, où les rapports sociaux sont eux-mêmes révolutionnés ainsi que, parfois, les mentalités.
Dans la théorie marxiste classique, la superstructure politique n'est donc pas au-dessus, elle est autour, voire dedans, et il est assez évident que Marx n'a pas négligé les aspects politiques, esthétiques et moraux de l'être social, comme en attestent ses lectures et ses propres projets d'écriture qui auraient suivi Le Capital si la mort ne les avait pas interrompus. Cette clarification que l'on peut et que l'on doit agrémenter des apports théoriques de Lefebvre, Gramsci, Lukacs et Clouscard, ne répond néanmoins pas totalement à la question du fait politique au-delà du moment révolutionnaire. Si la critique marxiste de l'État comme entité abstraite, aliénante, cristallisant dans un léviathan centralisé des rapports de force socio-économiques entre les classes en lutte ne se confond pas avec une critique du politique en soi, c'est au prix d’un tour de passe-passe théorique peu convaincant.
Daniel Bensaïd, Enzo Traverso, Statis Kouvélakis et avant eux Jean-Paul Sartre ont traité avec une acuité philosophique certaine le statut du politique et sa nécessaire conservation au-delà des cadres étroits de l'État bourgeois dont l'image hégélienne est l'étalon, avec son droit « rationnel » conservateur, statique et séparé du corps politique par l'intermédiaire de ses représentants et des institutions. Cette nécessité de réaffirmer l'autonomie du politique dans le marxisme réagit à une tendance cyberanthropique du socialisme, qui court de Engels (du gouvernement des hommes à l’administration des choses) à Lénine, qui rêvait d'un socialisme comme d'un immense « bureau » où les processus d'auto-administration auraient liquidé les conflits sociaux et politiques une fois que le rationnel aurait pénétré la sphère de la reproduction économique de l'existence sociale (1).
Cette folie saint-simonienne de la neutralisation du politique dans le technique, pente nécessaire d'une vision du monde où le politique est, selon le mot de Lénine, de l' « économie concentrée (2) », s’est parfois exprimée de façon caricaturale dans la pensée de certains marxistes, dont le bolchévique Gastev, qui décrivait l’homme de la société socialiste en ces termes cauchemardesques : « Les êtres humains seront dépourvus d’âme et dénués de personnalité, d’émotions et de tout lyrisme. (3) » On voit bien comment le marxisme, ancré dans son époque, comporte une pente positiviste et technicienne, cherchant à « gérer rationnellement le social » et qui s’est incarnée politiquement au long du XXème siècle, que Lukacs n’avait pas manqué de déceler dans la pratique de l’État soviétique (4) et que Gorz a nommée « socialisme compensatoire ». Certains commentateurs actuels de Marx, pour ne parler que de la scène intellectuelle francophone, ont insisté par conséquent sur le caractère profondément politique du marxisme, en particulier de Marx, et sur la non dissolution du politique dans le social. Certes, le citoyen est aussi un producteur, mais « entre le politique et le social il y a du jeu où le symbolique et l’imaginaire ont leur place (5) », comme le souligne très honnêtement Bensaïd. C’est donc admettre que le sacré, le symbolique et les multiples représentations qui hantent les collectifs humains se meuvent dans l’ensemble historique sans être nécessairement des problèmes socio-économiques traduits dans la sphère aliénée de la religion ou de l’idéologie.
Dans cette perspective, Bensaïd mais également Stathis Kouvélakis prennent les textes de Marx sur la Commune de Paris pour dégager les bases d’une philosophie marxiste du politique. C’est à dessein, et Bensaïd ne manque pas de le rappeler avec justesse, que Marx ne décrit aucune institution politique idéale conformément au communisme non pas comme cahier des charges à remplir mais comme « mouvement réel d’abolition de l’état actuel des choses. » Ainsi la Commune de Paris apparaît comme la « forme trouvée de l’émancipation collective » dans sa capacité à s’auto-gérer. Kouvélakis souligne que dans la trajectoire de cette émancipation politique communiste, la Constitution, le plus haut texte dans la hiérarchie des normes juridiques, est une « forme ouverte à sa propre transformation, dépouillée de toute transcendance (6) », immanente, par conséquent, au corps politique dont la praxis redéfinit continuellement les contours. Cette « débureaucratisation radicale » des institutions par la délibération permanente de la chose publique de la plèbe constituée en assemblée qui « institue en permanence le social et le politique » n’abolit a priori pas le politique, il est vrai, mais le dilue dans un éthos de l’indétermination dangereusement impolitique qui aboutit aux mêmes apories que le socialisme compensatoire qu’il est censé éviter. Explication.
Cette auto-institution permanente du politique et du social « dont le principe serait le mouvement » se brise sur la réalité nationale dont l’existence force le marxisme à se ré-articuler rationnellement à un réalisme bien compris. La théorie très libertaire et même sartrienne (7) d’un socialisme post-politique, où la possibilité même du pouvoir s’abolit dans sa parfaite répartition au sein du corps social, est bien en germe dans la « révolution démocratique », telle que conçue par le marxisme classique, et ses limites demeurent bien au-delà des arguments d’autorité des marxistes actuels qui assurent que le politique ne disparaîtra pas mais qu’il se déploiera d’une façon radicalement nouvelle dans une immanence synchronisée où le droit ne serait qu’une forme de conscience collective intériorisée du demos. Pudeur de gazelle que le grand Henri Lefebvre ne prenait pas lorsqu’il déclarait dans son autobiographie que le marxiste s’engage bel et bien en politique pour « mettre fin à la politique (8) ».
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De fait, cette conception du politique est impropre dans un premier temps à penser l’altérité radicale du fait politique, c’est-à-dire sa nécessaire compréhension par rapport à un Autre qui est, aussi, un ennemi (9). En effet, on rentre dans un rapport politique avec l’autre quand le niveau de conflictualité entre les deux entités atteint un certain degré d’intensité. Si auto-fondation du social il y avait dans une unité politique donnée (nation, Commune), ça ne serait que dans un espace politique et donc géographique situé, donné. La praxis politique qui présiderait à ce nouvel état des choses, à la transformation radicale des conditions régnantes, ne se déploierait pas immédiatement sur la totalité de l’Humanité. Par conséquent, elle se clôturerait et elle poserait les cadres qui définiraient la possibilité de son agir. Par-delà cette limite, ces frontières, il existe une autre normativité politique avec laquelle il faut dialoguer et établir des relations d’État à État. La simple persistance de relations internationales – qui priment sur les problèmes de politique intérieure, comme l’avait bien vu Hegel (10) – entre des unités politiques souveraines, architecturées différemment sur le plan moral, religieux et culturel, aux réalités géographiques et démographiques plurielles, liquide d’emblée une « auto-institution permanente du social et du politique » ailleurs que dans des zones marginales en périphérie des nations et des grandes villes où s’expérimentent des formes de vie précaires et en retrait de l’Histoire (Chiapas, Notre Dame des Landes). De facto, on ne voit pas comment un soviet, une assemblée générale et autres comités populaires pourraient décider de la dissuasion nucléaire, d’une frappe aérienne ou de la relation diplomatique France-Paraguay. Ainsi, la théorie marxiste de la « démocratie véritable » apparaît comme un réaménagement philosophant du phalanstère fouriériste. Cette théorie du phalanstère est une modalité dix-neuvièmiste de la pensée utopique qui traverse la pensée occidentale depuis Thomas More. C’est moins une vision politique du monde qu’une forme, une passion qui transfère dans l’ici-bas, sous les coups de boutoir du désenchantement du monde, la plénitude de la vie éternelle telle que conçue par le christianisme (11). La démocratie « véritable » du peuple légiférant sur son sort sans intermédiaire, sans État séparé, n’est qu’une idée régulatrice.
La diplomatie, la compréhension des enjeux stratégiques, nécessite de se prémunir par le moyen d’une force armée des périls extérieurs tout comme le régalien assure la concorde intérieure. La simple nécessité historique de conservation, pendant une période révolutionnaire, d’une armée, d’une police, d’une diplomatie et de services de renseignement aux intrigues, par définition secrètes, dont les réalisations sont souvent illégales, annihile à la seconde même de la prise de pouvoir, toute disparition de l’État comme corps séparé. Car s’il est envisageable, dans une perspective socialiste, de penser, à la limite, une « police démocratique », une armée (qui plus est armée du feu atomique) démocratique renvoie déjà un parfum de rêve (12) – ne parlons pas d’une diplomatie démocratique et encore moins de services de renseignement démocratiques dont les objectifs et les conclusions seraient clamés sur la place publique (13). Oxymore achevé. La persistance de l’État étant souhaitable et les vaticinations sur son « dépérissement » (fût-il renvoyé dans un futur lointain, la prise en compte de cette possibilité anhistorique grippe l’action dans le présent et a une influence sur notre conception de l’action politique que nous menons actuellement. C’est pourquoi il apparaît nécessaire de purger notre tradition politique, le socialisme, de tout ce qu’elle a d’impolitique, y compris et surtout dans le cas ici étudié dans le marxisme) inconcevable, à moins d’acter que cette unité politique post-étatique sera une cible pour une autre unité politique ayant gardé les attributs de l’État léviathan, il convient d’expliciter les raisons profondes de la nécessité anthropologique de l’État (14).
Ainsi, au-delà de la bonne intuition de Clouscard qui voyait dans l’État, en ce début de XXIème siècle, un instrument de résistance au capitalisme mondialisé, l’État relève du transhistorique, et même lorsqu’il était instrument de domination directe des classes dirigeantes, le mouvement révolutionnaire n’aurait pu s’en passer. Il ne s’en est d’ailleurs jamais passé et dans les faits les états socialistes ont été et sont des modèles de souveraineté et de force. Pour comprendre cette nécessité, il faut revenir encore une fois au marxisme classique et remonter à une tendance, que certains marxistes ont décelé ou voulu corriger sans jamais parvenir à examiner le problème dans toute sa mesure, probablement parce qu’il aurait été le début d’une révolution théorique extrêmement violente pour la psyché de ces intellectuels. Cette tendance, que l’on pourrait qualifier de monisme dégénéré, tend à confondre en une seule sphère ce que Julien Freund appelle les essences (le politique, l’économique, le religieux, le droit, etc.).
Si, selon Lénine, le politique est de « l’économie concentrée », des marxistes ont eu tendance à confondre économie et politique dans un socialisme termitière que nous avons explicité plus haut et que bien des marxistes ont critiqué. Mais la confusion entre les sphères ne s’arrête pas là. L’aboutissement de la philosophie et de la religion par leur réalisation positive et concrète dans l’état réel des choses est une autre confusion des sphères qui aboutit aux mêmes effets pervers que la fusion du social et du politique citée ci-dessus. Lefebvre lui-même considérait avec lucidité que la réalisation positive de la philosophie posait un certain nombre de problèmes et ne saurait être le contre-coup heureux d’une socialisation intégrale des moyens de production. Il voyait et posait le problème de cet immanentisme mal placé qui vise à façonner un homme dont les pensées se confondent avec l’agir. En outre, la séparation de l’homme avec lui-même n’est pas nécessairement aliénation. Ou alors l’aliénation est intrinsèque à la condition humaine, ou alors elle se confond avec son histoire et son abolition correspondrait à la fin de l’homme social. Pour combattre l’aliénation, il faut la remettre à sa place, au risque de la voir partout et nulle part à la fois.
La religion, selon la conception classique du marxisme, est un appauvrissement de l’homme, de même que l’État en tant qu’entité séparée est une aliénation politique aux relents religieux (le droit tenant lieu de théologie sécularisée pour Marx) (15). La religion est un manque, un moyen terme qui sépare l’homme réel de son essence et la réalisation de l’homme dans le communisme est censée boucler la boucle : l’homme se réapproprie sa pratique réelle, alors désaliénée, et se soigne de la superstition. Le communisme tel que conçu de la sorte c’est donc, comme le souligne Régis Debray, la « suppression du moyen terme », la dissolution du politique et du religieux dans une auto-fondation du corps social par rapport à lui-même. Or, l’homme se distingue tout d’abord par sa capacité à se séparer de lui-même via son organisation en tant que groupe. Régis Debray souligne que l’étymologie de la plupart des mots du vocabulaire politico-religieux, si l’on remonte aux langues indo-européennes, relève du champ lexical de la séparation (tracer, découper). L’humain, c’est d’abord celui qui discrimine, qui trace avec un bâton un trait sur le sable, un espace pour désigner l’« ici » et se distinguer de l’« ailleurs », un « nous » qui se réfléchira dans un « eux ». Parce que le groupe n’est pas une collection d’individus mais une totalité, une pluralité ramenée à l’unité, le nom, le concept, l’idée qui préside à sa constitution en tant que communauté distincte des « autres » est d’origine religieuse, mythologique, invisible. Elle ne trouve pas son fondement dans le groupe lui-même mais dans une fiction dans laquelle tout le monde peut se projeter.
Cette fiction s’incarne dans des chants (prière, hymne national), dans des symboles (croix, coq, croissant, étoile, aigle, marteau, faucille), dans des gestes (la main sur le cœur, l’index en haut, le poing levé, le bras tendu) qui s’exécutent collectivement, ensemble. Le collectif ne parle pas la langue des livres, il n’est pas de la graphosphère, la foule n’est pas une scribouilleuse, elle ne réagit qu’aux symboles et aux discours, c’est-à-dire à la « magie », selon le mot de Debray. Si un livre pénètre un phénomène de masse, ce n’est que pour être transsubstantié dans le métaphysique (de l’imprimerie protestante du XVIème siècle, jusqu’aux immenses « processions » séculières maoïstes, où des foules brandissaient le petit livre rouge devant le grand timonier). Le groupe est superstitieux, l’individu est rationnel ; c’est d’ailleurs pour cette raison que le développement de la graphosphère, c’est-à-dire l’hégémonie du livre, donc des deux activités qui lui sont corollaires, la lecture et l’écriture, a littéralement produit l’individu, le sujet moderne, autonome et de plus en plus séparé de la communauté substantielle à l’intérieur de laquelle il n’existait qu’à travers des rapports organiques et personnels. « Toute opération de pensée renvoie à un dispositif de transmission qui la structure de l’intérieur et dont elle ne peut être dissociée. (16) »
Le groupe social, le rapport social lui-même à l’intérieur duquel l’homme acquiert son humanité, est donc l’infrastructure réelle du sentiment religieux. Même si à certains moments de l’histoire ce sentiment peut se télescoper avec la misère sociale et l’impuissance politique – et Marx conserve l’immense mérite d’avoir transformé les « questions théologiques en questions profanes » –, la résolution des problèmes profanes n’épuise pas la nécessité anthropologique pour l’homme social concret de se doter d’une métaphysique pour se projeter dans l’Histoire. Ainsi, comme l’écrivait José Carlos Mariatégui, auteur de La défense du marxisme : « L’homme comme le définit la philosophie est un animal métaphysique. On ne vit pas de façon féconde sans une conception métaphysique. Le mythe pousse l’homme dans l’histoire. Sans mythe, l’existence de l’homme n’a aucun sens historique. L’histoire est faite par les hommes possédés et éclairés par une croyance supérieure ; par un espoir surhumain. Le reste forme le cœur anonyme du drame. (17) » Rien à ajouter après ces lignes du feu camarade péruvien éteint en 1930, qui pressentait avec une finesse théorique alors introuvable sur le vieux continent dans la galaxie marxiste-léniniste, que le sacré n’est pas qu’un invariant historique avec lequel il va falloir s’accommoder, mais une nécessité que l’Histoire n’a pas pour fonction de réaliser positivement (comme le pensait Marx) mais qui au contraire pousse l’homme dans l’Histoire. Les sociétés post-religieuses sont-elles vouées à sortir de l’histoire ? C’est la glaçante question que nous pose cet extrait du marxiste latino-américain.
La critique de la religion et de l’État politique dans le marxisme part donc d’une même bévue : la croyance en une humanité dénuée de médiations, alors que la médiation est le secret de l’Homme concret. S'il y a homme il y a projection, il y a objectivation, et, comme l’a bien vu Jean Lacroix, « il y a moins à réfuter le marxisme qu’à lui demander de reconnaître ce sans quoi son intention profonde ne saurait se réaliser (18) ». Si le sacré et le phénomène de séparation sont donc des dimensions anthropologiques essentielles du processus historique, c’est-à-dire de toute la praxis humaine déployée dans l’espace, ce même processus ne nous mène pas vers la fin du sacré ni de toutes les séparations de l’homme avec lui-même, mais vers leur perpétuelle métamorphose. Si la métaphysique pousse l’Homme dans l’Histoire, c’est que l’Histoire ne peut objectivement pas réaliser la métaphysique sans mettre fin à l’Homme. Si la religion est le reflet idéel d’une pratique sociale, toute pratique sociale est le reflet concret d’une objectivation sacrale du collectif par rapport à lui-même.
La réalisation de la religion (mais aussi de la philosophie) par la réalisation en dernière instance d’une problématique historique d’exploitation, calque sur la production de l’homme un processus de fabrication fonctionnant sur le principe de la cause et de l’effet aux relents positivistes. La religion n’est l’effet de rien, elle est cause et conséquence dans le même mouvement ; la captation de ce mouvement est une véritable objectivité. La séparation originale du groupe d’avec les autres qui recoupe la distinction nous/eux, ami/ennemi lui intime de se séparer d’avec lui-même via des institutions : « institution et substitution sont bien synonymes (19) ».
S’ensuivent donc des conséquences politiques, fondamentales. Tout d'abord, le socialisme devient à l’aune de ce constat historique d’abord un principe de conservation d’une unité politique. C’est-à-dire, dans un premier temps, la restauration de la souveraineté. L’autonomie d’une nation sans laquelle le peuple est une foule dispersée et l’émancipation du peuple sans lequel la nation n’est qu’une pure structure juridique. Dans un territoire archipélagique tel que la France dominée, paupérisée, appauvrie, en pleine crise culturelle et politique, le socialisme français du XXIème siècle est avant tout la régénération de la communauté, la refondation de la nation, du lien organique entre les citoyens. Le sacré national, le mythe de la nation n’est par conséquent pour nous ni le patriotisme libéral constitutionnaliste, qui ne reconnaît que « l’amour des lois », ni le patriotisme utilitariste d’un certain communisme stalinien, qui n’attend que le prolétariat fasse nation que pour dissoudre celle-ci dans une entité politique plus grande, à savoir le monde. Ou pire : parlons du nationalisme mécaniste bas de plafond des marxistes sclérosés qui considèrent le nationalisme légitime « seulement quand la dite nation est sous domination impérialiste ». À minuit votre patrie s’est libérée de toute domination extérieure, à minuit et une minute votre amour pour votre terre bascule du mauvais côté de la barricade, rangez les drapeaux et les cocardes, vous êtes devenus fascistes jusqu’à nouvel ordre. Évidemment c’est risible et impolitique. Cela fait hélas partie de la soupe aigre d’un certain nombre de petits clercs communisants.
Cette mise en exergue du sacré comme liant fondamental des sociétés humaines qui s’agrègent dans la sacralisation d’un objet, d’un mythe extrinsèque qui assure la clôture informationnelle d’une unité à l’aide d’une chose qui la dépasse (20) nous fait poser un regard désormais contrasté sur les interminables « débunkages » et autre « liquidation » de mythe du « roman national » entrepris depuis les années 1970, 1980, 1990 dans le domaine de l’éducation nationale (21). Cette offensive apparaît moins comme un progrès que comme une guerre d’usure impitoyable de la bourgeoisie déracinée souhaitant liquider le mythe national pour bel et bien détruire la nation (22). On ne détruit que ce qu’on remplace et la mort de l’un a vu l’arrivée du mythe européen et de l’occident collectif, des droits de l’homme et du pacifisme abâtardissant. Ce mythe n’est pas un choix, c’est un impératif historique de survie collective pour la refondation d’un État fort délesté de la classe oligarchique parasitaire qui le fait fonctionner pour ses intérêts propres.