Pour une renaissance conservatrice
Après l'échec du socialisme et à l'heure de l’avènement de l'écologisme comme nouvelle religion, l'humanisme peut-il encore être sauvé ? Oui, à condition de devenir conservateur.
Cet article fait partie d’un dossier qui vise, dans son ensemble, à identifier et exprimer la ligne esthétique de l’Institut Humanisme Total.
La question esthétique est au cœur du travail métapolitique. Depuis 2018, l’IHT s’est longtemps cherché une identité en accord avec ses idées, avec beaucoup d’hésitations et de revirements. Mais depuis le saut qualitatif théorique opéré par la conceptualisation de l’humanisme total, les choses commencent à s’éclaircir, les lignes s’affinent et les représentations se concrétisent. On pense par exemple au Banquet Républicain de janvier 2023 où l’IHT semble avoir atteint quelque chose « qui lui ressemble ».
On définit l’esthétique comme la voie d’accès au concept par le sensible. Autrement dit, c'est tous les moyens extra-théoriques qui permettent d’accéder à la théorie, tous les moyens « concrets », capables de se faire « sentir », qui permettent d’atteindre le fond philosophique abstrait. Comme le répète souvent Loïc Chaigneau : « L’esthétique n’est pas l’art, en revanche l’art fait partie de l’esthétique. » C’est un moyen qui sollicite les sens davantage que l’entendement pour transmettre un contenu. Mais l’esthétique c’est aussi les pratiques interpersonnelles, les mœurs, l’art de vivre, etc.
Chercher à définir une esthétique par les mots n’est pas une chose facile car c’est déjà sortir de l’esthétique pour aller vers le concept. Expliquer l’esthétique de l’IHT c’est, très vite, expliquer la ligne théorique de l’IHT, ce qui nous fait tomber dans les abstractions. Comme dit le dicton : « Une image vaut mille mots ». Néanmoins, rien n’interdit d’essayer d’expliquer ; seulement, il faut avoir en tête que ces explications ne seront pas « théoriques ». Elles doivent plus être prises comme des séries de descriptions, d'impressions, d’imaginaires qui n’ont pas à toutes se tenir ensemble sans contradictions, de façon systématique. Ces descriptions seront accompagnées d’exemples.
De prime abord, il peut sembler étonnant de parler d’exemples alors que l’on parle d’une esthétique taillée autour d’un concept aussi récent. Comment pourrait-il déjà exister des représentations de ce qu’est l’humanisme total alors que le concept est très jeune ? Penser comme cela, c’est faire preuve d’idéalisme. C’est croire que le concept d’humanisme total a été formulé sans prendre en considération la réalité, pour le plaisir. C’est aussi tomber dans l’écueil de la « table rase » très présent dans l’histoire du socialisme, qui confond nouveauté et révolution.
Notre rôle en tant qu’avant-garde, c’est de récupérer le mouvement réel. Ce sont les masses qui font l’histoire, ce sont donc elles qui produisent l’esthétique de la révolution. Gramsci disait que les masses correspondaient au « sentir » et que les intellectuels correspondaient au « réfléchir ». Ce qui suppose que les masses sont les plus à même de produire ce qui correspond à la sensibilité. Les intellectuels qui essaient d’inventer une esthétique de toute pièce se perdent dans des lubies sans fondements. Il faut se saisir d’un « déjà-là esthétique ».
Depuis l’élection d'Emmanuel Macron en 2017, beaucoup de choses ont changé dans le paysage politique et culturel français. Les nombreuses crises successives (économique, sanitaire, militaire, politique, migratoire, intellectuelle, morale, identitaire, démographique) qui ont éclaté en seulement six ans ont fait prendre conscience à beaucoup de Français que maintes choses n’allaient pas. Le voile de l’idéologie qui recouvrait beaucoup de mensonges est tombé. L’Union européenne, ce n’est plus la paix ; l’euro, ce n’est plus la prospérité ; l’État de droit, ce n’est plus le progrès ; la classe ouvrière n’est plus une vieillerie ; le drapeau français n’est plus un drapeau d’extrême-droite ; l’immigration, ce n’est plus l’enrichissement culturel, etc.
La séquence historique dans laquelle nous vivons a commencé à se totaliser et avec elle a émergé tout un tas de pratiques et de discours dont il nous faut faire la synthèse. Le fait est que, pour un tas de raisons déjà expliquées mille fois, la « réaction » au techno-féodalisme écolo-réac s’est avant tout incarnée à droite. La gauche semble totalement dépassée par les événements. Tout au plus arrive-t-elle à maintenir un mythe ouvriériste inopérant. Notre devoir est de ne pas suivre le même chemin qu’elle. Sans craindre les anathèmes, nous devons récupérer ce qui a été fait par tout un pan de la jeunesse nationale et des travailleurs au-delà des clivages et des discours politiques. Marx écrivait qu’« on ne juge pas un individu sur la conscience qu’il a de lui-même ». De la même manière, nous ne pouvons juger une esthétique par rapport aux discours que les individus qui la produisent ont sur eux-mêmes.
Le regain de patriotisme ne doit pas être analysé à l’aune de l'identitarisme, mais comme une aspiration réelle des masses qui dépasse la conscience qu’elles ont d'elles-mêmes. On pourrait dire la même chose d’une certaine écologie qui pose une esthétique intéressante, mais avec un discours tronqué. Notre rôle est de récupérer ces esthétiques qui traduisent des tendances de fond avec lesquelles on ne peut pas ne pas composer, et de les mettre au service d’une théorie juste.
Il ne faut donc pas prendre les exemples qui vont suivre comme des horizons indépassables. Ce sont des exemples, pas des modèles. Le but n’est pas de faire pareil. Nous devons simplement nous en inspirer.
L’histoire du mouvement ouvrier est marquée par le sceau de la révolution. Cette révolution, en dépit des avertissements des théoriciens du matérialisme historique, a toujours été vue comme un « grand soir », un saut dans l'inconnu, une table rase, bref, un millénarisme empreint de futurisme. Très influencé par l’idée de progrès en ligne droite hérité des Lumières et de l’idéologie du désenchantement du monde par les sciences censées libérer l’humanité, le mouvement ouvrier s’est lancé dans une course sans fin vers l’abolition de tout ce qui fait de l’homme un être situé, traversé par des rapports sociaux et des relations de culture. C’est l’idéologie de la fin des idéologies, d’un homme en immanence avec lui-même, du droit intériorisé en morale, de la fin du politique, de la destruction des identités nationales, des liens traditionnels. On pense à ces lignes terribles d’Engels qui appelle à passer « du gouvernement des hommes à l’administration des choses ».
Ce qu’on pourrait appeler le révolutionnarisme a fait son temps. Le socialisme a échoué et avec lui se sont envolées les dernières croyances des Lumières. Au siècle rouge, industriel, le XXème siècle, qui a connu tant de révolutions, succède, selon Régis Debray, le siècle vert, le siècle de l’écologie, du retour à la nature. On a déjà suffisamment répété que l’écologisme correspondait à un moment déterminé de l’histoire du capitalisme où celui-ci, n’arrivant plus à produire du fait de la baisse tendancielle du taux de profit, justifie l’arrêt de la production par un discours de sobriété anti-technique. On a également suffisamment montré le caractère réactionnaire de cette pensée pour ne pas avoir à en réitérer ici la critique. L’écologie est devenue hégémonique et nous devons en prendre acte. Nous ne reviendrons jamais en arrière. Le temps des cerises est derrière nous. Le socialisme est mort avec la disparition des infrastructures qui l’ont créé (graphosphère, capitalisme industriel). Néanmoins, l'idéal humaniste dont il est issu nous semble toujours non seulement souhaitable mais aussi valable. Problème : l'idéologie de la nature est un anti-humanisme radical. Il nous faut donc développer une stratégie révolutionnaire de subversion de l’écologie à même de faire renaitre l'idéal humaniste au cœur d'une civilisation nouvelle qui ne veut plus de lui.
Telle qu’elle se présente, l’écologie par le retour à la nature se veut être un retour au natal. Elle constitue dès lors un terreau fertile pour une poétique de l’enracinement. Mais, malheureusement, elle est souvent kidnappée par un discours anti-humaniste qui divise la nature contre le travail et l’histoire. C’est pourquoi il nous faut plus que jamais insister avec Marx sur le fait que la nature constitue « le corps inorganique de l’homme » pour réhumaniser l’écologie. Or, cette réhumanisation ne peut être celle de la vulgate gauchiste qui tente maladroitement de faire rentrer l’écologie dans le stalinisme. C’est un coup d’épée dans l’eau qui n’a pas de prise sur la réalité. En vérité, ce qu’il faut c’est raccrocher l’écologie avec une autre tendance : le retour à la nation.
Ceux qui seront amenés à lire ces lignes savent parfaitement que le mondialisme a engendré en réaction une rétractation vers la nation. Si à cela on ajoute le caractère xénocratique de la bourgeoisie française au pouvoir, soumise à l’Allemagne et aux États-Unis d’Amérique, on comprend aisément que ce retour à la nation est un retour populaire – on l’a vu avec les Gilets jaunes. Ce qui donne raison à Jaurès lorsqu’il disait « qu’à celui qui n’a rien, la patrie est son seul bien ». La nation apparaît alors comme un cadre à même de circonscrire l’écologie à l'intérieur d’un espace politique et homogène. C’est un cadre, mais aussi un contenu qui donne à la poétique de l’enracinement une dimension culturelle concrète. De cette jonction écologie/nationalisme émerge l’idée selon laquelle le bocage français constitue le corps inorganique du citoyen.
Le retour à la nation et le retour à la nature participent tous deux d’une tendance générale : le retour à l’authentique. L’industrialisation, qui fut nécessaire pour résoudre le problème de la survie, a pour corollaire l’arraisonnement du monde et son uniformisation. La conséquence de ce fait est la normalisation de l’espace social, son nivellement par le bas. Ici ressemble à partout, donc à nulle part. Tous les objets de la quotidienneté perdent la substance culturelle qu’ils revêtaient dans les sociétés traditionnelles. Il en va de même pour l’art et l’industrie visuelle en général, que la logique marchande a poussés à l’artificialisation. En réaction à tout cela s’est développé un désir d’authenticité, d’où le succès de l’artisanat, du retour au local, des matériaux « naturels », du fait-main. C’est ce qu'Henri Lefebvre appelait le « droit à l'œuvre », le droit de jouir de biens et d’espaces qui soient des produits d’art et non des produits d’industrie.
On touche ici à un enjeu de souveraineté sur le travail évident. Mais ici, contrairement au socialisme classique, nous ne sommes pas partis du travail pour arriver à la nation comme un moyen, comme un outil pour la révolution. Nous sommes partis de la nation pour aller vers le travail. Cette façon de concevoir ne doit pas être vue comme de l’idéalisme. En vérité, c’est l’inverse qui est idéaliste. Partir de la « classe ouvrière » sans spécifier de quelle classe ouvrière il s’agit, sans identifier l’espace qu’elle occupe, les rapports et relations qui la traversent, c’est faire du marxisme une scolastique vide. Une classe ouvrière est toujours une classe ouvrière de quelque part. Il faut intégrer que la nation n’est pas une superstructure et que son histoire ne peut pas se résumer à la dialectique des rapports de production et des forces productives. La nation est un tout complexe, à la fois super et infrastructure, c'est-à-dire un espace social. C’est pourquoi la lutte des classes ne saurait être une théorie matérialiste sans la notion d’enracinement.
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Marx considérait en son temps que le prolétariat n’avait pas de patrie et qu’il devait de ce fait conquérir le pouvoir national pour s'ériger en tant que classe dirigeante de la nation pour devenir la nation lui-même. C’est en partie vrai si l’on part du principe que le prolétariat au XIXème siècle était avant tout un prolétariat de déracinés, de paysans arrachés à leur terre, jetés dans les grandes cités ouvrières. Il ne faut pas pour autant absolutiser ces propos. Comme l'a montré Enzo Traverso, Marx est un cosmopolite européen. Il a vécu dans plusieurs pays, à cause de l’exil notamment. Il n’a donc jamais eu de réelle attache nationale, comparé à un Jaurès. La vérité réside surtout dans le fait qu’à l'époque, l'identité nationale allait de soi. On ne se demandait pas ce qu’était la France, ce que voulait dire être français. Il est donc normal que la question n’était pas sur toutes les lèvres dans le monde ouvrier, mais de là à dire que les ouvriers n’avaient aucun sentiment national, il y a un fossé. Aujourd’hui la donne n’est plus la même. Des historiens non susceptibles d’être communistes comme Georges Duby ont montré comment, au long du XXème siècle, la classe ouvrière française s’est enracinée, a produit sa propre culture et est devenue la seule légitime à gouverner la nation face à une bourgeoisie apatride.
La question de la souveraineté sur le travail et de la libération de l’aliénation par les travailleurs ne peut donc se poser en dehors d’un cadre national. C’est la nation qui donne un contenu concret au socialisme et non l’inverse. C’est pourquoi, si référence au socialisme nous devons faire, ce n’est jamais en référence à une organisation, à un parti, mais à un peuple. Le socialisme en France n’a de sens qu’en tant que moment de l’histoire de France. Si socialisme il doit y avoir pour le XXIème siècle, c’est en prolongation d’une histoire nationale, qui a d’autant plus de cohérence en France du fait de son histoire propre (cf. centralisation capétienne, monarchie absolue, République jacobine, Napoléon, 1848, Commune de Paris, Front populaire, France libre puis France gaullienne).
Mais surtout, ce socialisme doit faire profil bas. Il doit être perçu de l'extérieur comme une conséquence logique de la double tendance écologique et nationale, comme préalable nécessaire à la planification et à la souveraineté. C’est un socialisme qui doit avancer masqué. Il faut laisser la vieille taupe creuser sans se soucier d’être perçus comme des socialistes : elle arrivera à destination quoi qu’il arrive. Non pas par la magie de la dialectique historique ou d’un quelconque procès sans sujet, mais tout simplement parce qu’il est une condition nécessaire qui participe de fait au mouvement en cours. Le mouvement réel a simplement changé de nom ; il ne s’appelle plus communisme, mais écologie ou nationalisme. On peut expliquer très facilement ce changement : en se totalisant dans le techno-féodalisme, le capitalisme atteint son stade exterministe ; ce n’est plus la classe ouvrière contre la bourgeoisie mais la vie contre la mort ; la civilisation contre la barbarie.
La nature n’est pas seulement un principe ontologique aliénant. C’est aussi un universel concret. Désidéologisée, la nature est ce qui renvoie l’homme vers sa propre faiblesse, donc vers la nécessité du travail. La nature et l’écologie peuvent être une médiation vers l’humanisme à condition d’être prises, à l’instar de Rousseau, non comme un moyen de s’éloigner de l’homme, mais, au contraire, comme un refuge face à la barbarie. La forêt qui était objet d’effroi devient ce qui cache, ce qui protège, c’est un abri où l’homme retrouve suffisamment de liberté pour penser. Clouscard ne dit pas autre chose dans Critique du libéralisme libertaire lorsqu’il met en évidence que, chez Rousseau, la nature est l’endroit où l’on signe le contrat social :
« Cette nature est le produit de la praxis. C’est un lieu sans l’autre – celui de la négativité culturelle – qui est lieu d'accueil de l’autre, de son travail et de sa méditation. Préservée de la pollution mondaine, cette nature est structure d'accueil et d'expression de la bonne volonté de l’autre. Elle n’est pas nostalgie, “retour à la nature”, mais au contraire expression de la praxis, terre vierge où peut s’implanter la volonté générale pour réaliser son projet. »
La nature est le lieu du natal, disions-nous tout à l’heure. Du natal, donc du maternel, pourrions-nous rajouter. C’est l’espace du réconfort, de la sûreté, l’utopie ultime. Le fascisme a toujours très bien compris l’importance de cette symbolique dans la psychée humaine (cf. complexe d’Œdipe). A contrario, le socialisme, empêtré de modernisme à tout prix, s’est enfermé, comme on l’a dit, dans un révolutionnarisme aux antipodes des aspirations « naturelles » de l’homme. La révolution, en tant que saut dans l’inconnu, ne peut séduire que les désespérés, les déracinés et les ignorants – en d’autres termes : les adolescents.
Il faut être ignorant, naïf et n’avoir jamais rien acquis pour se jeter corps et âme dans l’aventure révolutionnaire. Les marxistes ont bon dos de dire que le communisme est un déjà-là et que par conséquent il n’est pas une projection vers l’arbitraire. Mais dans sa réalité, la révolution est bel et bien le règne de l'incertitude. Comment convaincre des mères et des pères de famille, le pays réel, de se jeter dans ce qui ne peut être perçu par eux que comme un danger encore plus grand ? Pour être mis en mouvement, un peuple doit se sentir en danger de perdre ce qu’il a déjà. La révolution, du point de vue des masses, n’est pas un mouvement offensif mais un mouvement défensif. En tant que tel, le peuple est un être docile, d’une souplesse extrême, prêt à subir les pires sévices. Jamais aucun peuple ne s’est révolté gratuitement. Il doit se sentir en danger extrême pour se lever comme un seul homme et, s’il le fait, c’est toujours pour rétablir un ordre, pour retrouver un sentiment de sécurité.
C’est pourquoi toute révolution réussie est avant tout : conservatrice. Disons-le d’emblée, nous rions au nez des gauchistes qui verront ici une référence à la théorie spenglerienne de la révolution conservatrice. Le conservatisme n’est pas une idéologie réactionnaire. Conserver, cela veut dire vouloir garder ce qui est acquis, ce qui n’a pas besoin d’être remis en cause. La lutte contre la réforme des retraites peut être en ce sens perçue comme une lutte conservatrice, dans la mesure où elle entend conserver une conquête sociale. C’est pourquoi, selon Régis Debray, tout bon révolutionnaire doit être pénétré de passé contre une dictature du présentisme. Dans son ouvrage Dégagements, il écrit :
« Si maintenant tout est maintenant, disons adieu aux rébellions de demain, que le jeunisme tuera dans l'œuf. Pas de révolution sans l’insistance, de l’assistance du révolu. Que peut-on attendre d’enfants du siècle aussi pleinement de leur siècle, libérés des “diktats de la tradition”, des “vérités imposées de l’extérieur” ? Une reddition au consensus. [...] Tous les révolutionnaires que j’ai rencontrés avaient un temps de retard sur le leur : le Che voulait refaire San Martin, Marcos, Zapata, Chavez, Bolivar. Comme nos jacobins en 1789, lecteurs de Plutarque et de Tite-Live, les Gracques ; et Lénine, la Commune de Paris. Les réfractaires ont la manie d’antidater, en faisant d’un anachronisme leur agenda. Une révolution, c’est un repêchage à l’automne, par des bons élèves convaincus d’avoir raté la session de printemps pour n’être pas arrivés à l’heure. Ce sont les décalés, les recalés de la grande histoire qui font bouger les lignes de la petite, parce qu’ils vivent un “non plus” comme un “pas encore.” [...] S’engager, c’est se souvenir. [...] Dans notre invincible propension à idéaliser une guerre, une Résistance compliquée et qu’on n’a pas vécue, n’y a-il pas une ruse de la raison lyrique, permettant de creuser l’écart entre ce qui est et ce qui devrait être, et dont on veut croire qu’il a déjà eu lieu, ailleurs ou autrefois ? Le “c’était l’âge d’or jadis”, cela sert, comme la Terre promise aux exilés, à rendre le bronze encore plus moche qu’il n’est. C’est l’utilité des légendes, ces contributions du passé au futur. »
La révolution, c’est la conservation des acquis qui ont permis le natal au nom de la perpétuation du natal. En ce sens, nous ne devrions pas parler de révolution, mais de renaissance. Une renaissance conservatrice. Mais attention, c’est une entreprise à double tranchant. Le retour au natal peut aussi être un poison, une morphine puissante qui détruit dans l'œuf toute perspective de libération concrète. C’est pourquoi le maternel ne peut exister sans le paternel. La sécurité, le réconfort, ne sont pas la défense : c’est l’objectif à défendre. La défense concrète, c’est le combat, le travail, le sacrifice, la mobilisation de l’honneur et la conquête de la liberté incarnée dans les lois et les institutions. On retrouve cette dialectique dans l’idée de « mère patrie » qui allie à la fois l’idée maternelle de réconfort et de terres construites et conquises par les pères.
Mais que doit-on chercher à conserver ? Tout. Comme on l’a indiqué plus haut, le capitalisme menace de tout éradiquer : les nations, les cultures, les langues, la raison, la famille et enfin la vie elle-même. C’est une lutte pour la conservation de la civilisation en général et de la France en particulier. Il serait trop laborieux de faire ici une liste précise de ce que nous devons protéger dans le détail. On peut dire néanmoins que nous souhaitons conserver une certaine idée de la liberté humaine, comme une certaine idée de la France ; un respect pour l’exercice de la raison ; un art de vivre national ; un amour pour la justice sociale ; l’idéal républicain ; un patrimoine naturel et culturel et enfin une tradition qui nous a été léguée en héritage.
Nombreux sont ceux qui s’y sont déjà mis : des comptes Instagram/Tiktok font la promotion du patrimoine français comme La garde du patrimoine ; la gastronomie populaire et l’art de ripailler à la française sont mis à l’honneur par des des associations qui organisent des festins enracinés à la manière du Canon français. La renaissance conservatrice se manifeste aussi dans la façon de se vêtir qu’on adoptée les patriotes soucieux de présenter en public une image d’eux-mêmes plus digne et respectable, à travers la mode du « sartorialisme ». Mode contre la mode qui cherche à renouer avec l’intemporel. Le représentant le plus connu de ce mouvement étant bien sûr Hugo Jacomet, suivi d’une miriade d’autres personnalités, peut-être moins caricaturales et radicales dans leur approche. Et bien d’autres encore… Rappelons encore une fois que ce ne sont là que des exemples, des témoins d’un mouvement historique de fond qu’il faut dépasser.
De manière plus générale, nous pensons que l'œuvre cinématographique de Hayao Miyazaki est un très bon exemple d’application concrète de l’esthétique conservatrice au service de l’écologie, de la patrie et de l’humanisme, appliquée au cadre particulier du Japon. Peu de gens le savent, mais, dans sa jeunesse, Miyazaki fut un fervent communiste et syndicaliste. Cet héritage se manifeste dans les nombreuses références au socialisme et au monde ouvrier. Pensons à l'insurrection de travailleurs dans la première partie du Château dans le ciel mais aussi à l’interprétation du Chant des cerises dans Porco Rosso. Ou encore à l’anti-impérialisme/militarisme du Château ambulant qui répond directement à la guerre d’Irak de 2003. Cependant, aujourd’hui, si le réalisateur se déclare toujours « influencé par l’idéal communiste formulé par Marx », il a aussi su prendre ses distances avec une conception trop dogmatique du marxisme.
Face à la lente décadence de l’Union soviétique, le communiste qu’il était s’est senti trahi : le marxisme n’était pas la réponse à tous les problèmes de l’homme et, surtout, il était faillible, puisque le plus grand pays se revendiquant du socialisme réel avait échoué. De cet échec du socialisme, Miyazaki en est sorti avec une dépression très lourde dont il sortira par la découverte de l’écologie. La protection et la préservation de la nature face à la folie du capitalisme mondialisé lui permet de saisir un nouvel idéal. Sa conception de la nature n’est pas celle des écologistes béats. Il ne voit pas en elle une entité lavée de tout péché. Il sait la représenter dans ce qu’elle a de menaçante et de dangereuse pour l’homme qui doit apprendre à la maîtriser (cf. Princesse Mononoke). Maîtrise qui ne peut avoir lieu que par un usage bien compris de la technologie. Étant un grand amateur d'aviation, Miyazaki n'hésite pas à montrer dans ses films la liberté offerte par l’avion à condition que celui-ci ne soit pas employé pour larguer des bombes. Mais, par-dessus tout, la nature est un moyen de pacification pour l’homme, elle est la condition de réalisation d’un universalisme concret (cf. l’intervention quasi-christique de Nausicaä dans son film éponyme, qui rétablit la paix entre les hommes et la nature). Enfin, l’écologie est également un prétexte pour représenter sa vision d’une société idéale, plus authentique, communautaire, où le travail serait désaliéné, enraciné dans un paysage national comme dans Mon voisin Totoro. Tout cela fait de Miyazaki un parfait représentant de la renaissance conservatrice.
« Je suis une sorte de conservateur, oui, de naissance peut-être. Ou plutôt, je suis resté classique. »
Hayao Miyazaki
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