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Esthétique

« Il faut être absolument moderne » : dépasser l’opposition classicisme romantisme

La modernité esthétique peut se résumer dans l'opposition entre le classicisme et le romantisme. À l'origine féconde, cette contradiction est devenue mortifère. Pour en sortir, suivons Rimbaud et soyons « absolument modernes ».

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Par Aurélien

Lecture 30 min
Avant-propos :

Cet article fait partie d’un dossier qui vise dans son ensemble à identifier et exprimer la ligne esthétique de l’Institut Humanisme Total.


Pour un marxiste, penser une esthétique nouvelle capable d’exprimer au mieux les aspirations de son temps n’est pas une mince affaire. Celle-ci ne peut se penser là comme ça, en dehors de toute histoire et de tout rapport aux esthétiques précédentes. Réfléchir en matérialiste, c’est concevoir les esthétiques passées comme reflet des moments qui les ont produits. Ces moments sont eux-mêmes des phases à l'intérieur d’un processus de totalisation humaine. Notre esthétique doit donc s'inscrire en prolongation d’un développement antérieur pour conserver ses acquis et le dépasser. Ce processus sera l’histoire de l’art occidental depuis la Révolution.

Du classicisme au romantisme

L’histoire de la modernité esthétique occidentale jusqu’à ce jour peut se résumer par l’opposition quasi constante entre un pôle classique et un pôle romantique. S’il fallait caricaturer à l’extrême ce que représentent ces pôles, nous dirions que le classicisme incarne une certaine idée de l’ordre, de l’institution, qu’il privilégie la forme sur le contenu. À l’inverse, le romantisme incarne la possibilité d’une subversion de l’ordre classique, il est tourné vers l'intériorité et privilégie le contenu sur la forme.

On peut dire, là encore en embrassant la caricature, que le classicisme représente certaines valeurs publiques ayant trait à l’honneur, à la magnificence de l’État, à la retenue et à la rationalité cartésienne triomphante. Le romantisme, lui, s’articule en deux moments : 1) la nostalgie d’un paradis perdu, la sublimation de la nature, la réaction à une espérance trahie – celle du classicisme –, les tourments de l’âme ; 2) la célébration du désir et de l’individu, la protestation contre tout ce qui est établi par l’ordre bourgeois, la mise en valeur des marges, l’ambition de révolutionner les formes esthétiques.

Cette opposition est la transposition esthétique de l’opposition philosophique entre le positivisme scientiste et le romantisme philosophique, le subjectivisme pourrait-on dire. Cette contradiction est l'expression théorique d’une scission à l'intérieur de la conscience bourgeoise qui n’arrive pas à réconcilier raison et émotion, technique et nature, masculinité et féminité, morale et désir, société et individu, ordre et progrès, collectif et marginalité. On trouve les premières manifestations de ce dualisme dès le XVIIIème siècle avec l’opposition du classicisme à proprement parler, du point de vue de l’histoire de l’art, et du baroque, mais aussi celle du jansénisme contre les libertins. À la différence près que le baroque est encore une esthétique de classe, celle de la noblesse d’épée décadente et de la noblesse d’argent bloquée politiquement. La Révolution, suivie de l’Empire, s'opposent à cette esthétique de la jouissance en se légitimant par un retour à l'idéal gréco-romain de mesure et d’ordre qui, d’idéologie de la petite noblesse de robe, des industriels, devient idéologie d’État.

Le classicisme comme état d’esprit – qu’on appellera plutôt néo-classicisme dans le monde de l’art – s'institutionnalise ; il est désormais l’esthétique des bons pères de famille bourgeoise, de l’État. En transférant l'Académie française à la Villa Médicis à Rome, Napoléon va assurer la pérennisation de ce style qui devient le seul à être enseigné et accepté aux grands concours artistiques. Tout bon artiste est alors un académicien. Mais alors d’où vient le romantisme ? Clouscard a montré que celui-ci nourrissait ses aspirations d’une faille insoupçonnée à l'intérieur de la famille bourgeoise. En tant que père et chef d’entreprise, le souci principal du bourgeois c’est la succession de son œuvre civilisatrice, la perpétuation de son héritage. Selon les droits de succession en vigueur, ce sera son fils aîné à qui il léguera la propriété de ses moyens de production.

Ses filles seront des moyens d’échange pour obtenir le soutien ou des contrats avec ses homologues pères de jeunes hommes à marier, quand elles ne sont pas envoyées au couvent pour s’attirer les faveurs de l’Église ou parce qu’elles sont trop laides. Les autres fils feront, lorsqu’ils le peuvent, leurs classes à l’armée pour devenir officiers, des études de droit pour devenir avocats ou rentrer en politique, parfois de sciences pour devenir ingénieurs ou occuper les bancs de l’académie, ou bien encore intégreront-ils le clergé.

À ce stade, il ne nous reste plus que la mère et son « petit dernier », le fils cadet, pourri gâté, exclu de l’héritage, qui ne prendra ni l’uniforme, ni la soutane, laissé à son triste sort d’enfant chéri, qui se destinera à la vie d’artiste. Ce sont eux, la femme, et par extension les filles, ainsi que le fils cadet, qui écouleront le part du capital que le mari voudra bien leur allouer pour leurs menus plaisirs. La situation sociale de la mère, des filles et du cadet à l’intérieur de la famille bourgeoise les pousse dans un état d’inactivité objectif auquel le positivisme est étranger. Au mieux le père de famille paye-t-il à ses enfants des cours de piano pour leur propre agrément ou de maintien pour augmenter leur valeur en vue d’un futur mariage ; éventuellement, il encourage sa femme à s’investir dans les œuvres de charité de leur paroisse, mais guère plus. Tout ce qu’il fait doit être rentable, alors tout élément autre que son précieux aîné est traité comme une dépense : ce sont des surplus. Et puisqu’ils ne font rien, ils s’ennuient.

L’ennui est une forme de fatigue de l’âme (en contraste avec la fatigue du corps de l’ouvrier) subie par les inactifs de la bourgeoisie et qui fournira le terreau favorable à la propagation du romantisme dans les masses bourgeoises. Le romantisme fait figure d’antipositivisme en développant les thématiques plus « féminines » et adolescentes du sentiment, de la mélancolie, du nihilisme et du ressentiment contre les promesses des Lumières. Par extension, il est aussi rébellion contre le père qui incarne lesdites promesses tout gonflé de son orgueil de « bienfaiteur », c’est-à-dire de patron, de génie civil et de médaillé. C’est le grand renfermement sur soi du poète maudit contre le volontarisme abstrait et individuel du magistrat libéral.

Le romantisme ici compris comme tendance de fond de l’esprit bourgeois occidental va donc se réaliser en dehors des cadres institutionnels de l’art. Il sera révolutionnaire, subversif, non conventionnel. Les artistes romantiques vont constituer des cercles alternatifs pour faire circuler leurs œuvres et leurs idées. C’est la naissance, encore timide, de la notion d’avant-garde. L’artiste n’est plus un académicien au service du Beau – de l’État –, mais un auteur, une individualité qui proteste, qui revendique, qui s’exprime, qui se pense au-dessus de tout, incompris, en avance sur son temps. Ces artistes vont se constituer en cercles parallèles, développant leur propres réseaux, leur propres moyens de promotion. On pense par exemple au Salon des refusés du Louvre qui offrira aux artistes dissidents de Courbet aux impressionnistes un espace d’exposition pour leurs œuvres dont le scandale tiendra lieu de succès.

Naissance de l’artiste

L’artiste est désormais au cœur des polémiques. Ce n’est plus un simple exécutant qui s’efface derrière son œuvre. La société se déchire autour de ses productions. L’art devient un moyen de polariser l’opinion, ce qui arrange l’artiste car il a désormais des choses à revendiquer. Qu’il soit révolté, désabusé, porte-parole des espérances révolutionnaires ou porte-étendard des partisans de l’Ancien Régime, c’est un acteur politique qui proteste contre l’ordre bourgeois. Son art s’identifie à sa praxis politique, que ce soit par le choix des sujets représentés, le message adressé au public, ou par sa forme. Les romantiques, puis les réalistes, vont envoyer bouler les codes bourgeois : l’art ne sera plus le beau géométrique de la Renaissance, l’ordre mesuré de Rome ; mais le tumulte des passions, l’infinité de l’âme, le chaos de la nature, dans un premier temps ; puis la réalité dans sa nudité la plus crue, glaçante… Bien sûr, cela ne se fera pas sans résistance de la part de la bourgeoisie instituée. Mais c’est cette réticence qui justifiera aux yeux des artistes la justesse de leur démarche. Ce qu’ils veulent c’est bousculer les carcans dans lesquels on les a mis. S’ils ne choquaient point, ce serait le signe d'un échec.

Va alors apparaître, encore insidieusement, de façon inconsciente, une dynamique désormais bien connue de tous : l’artiste sera celui qui choque. L’enjeu de toute œuvre sera de repousser un peu plus les limites de ce qu’on peut représenter. C’est ainsi que vont rentrer dans l’art un tas de figures jusqu’alors peu ou pas représentées, si ce n’est sous des traits idéalistes. Avec les romantiques, c’est le peuple tout entier qui occupe les toiles et les pages des romans. Les romantiques y voient la vitalité qui leur manque. Le peuple est pour eux une force naturelle primitive, pure. Il devient objet de fantasme : c’est chez lui qu’ils chercheront, en partie, la passion qui triomphera de leur ennui. Progressivement, ce fétichisme du peuple va se déporter des travailleurs aux marginaux, ce lumpen prolétariat qui peuple déjà les villes du XIXème siècle. Les artistes y voient leur reflet fantasmé : ces gens sont affranchis des codes de la bourgeoisie, vivent en dilettante sans se soucier des apparences, ils méprisent la société qui les a abandonnés. On y retrouve des vagabonds, des prostituées, mais aussi des fils déshérités de la bourgeoisie, des homosexuels, des musiciens et des poètes. Tout ce petit monde anime les cours de miracles du Paris de l’époque, Montmartre, Pigalle, etc.

À leur contact, les artistes se rêvent parmi eux, vivant au jour le jour une vie telle qu’ils se l’imaginent, dans l’innocence naturelle des premiers matins du monde. C’est l’apparition de la bohème, ce peuple fantôme des grandes villes, constitué de marginaux, d’étudiants et d’enfants chéris en déréliction. Nombreux seront les postimpressionnistes à se fondre dans cet univers souterrain où les passions sont reines – pensons à Toulouse-Lautrec, Jarry, etc. Dans les cabarets de la butte, en particulier celui du Chat Noir, ils apprennent à vivre. La génération des romantiques était celle du mal du siècle, la nouvelle ne souffrira point de ce mal. Nés de la frustration découlant des illusions perdues, les romantiques étaient encore tiraillés par la perte du sens. La nouvelle génération, elle, a pris acte du nihilisme. Si elle reste intérieurement torturée, elle va jouer de cette tempête crânienne par le dédain ou l'exagération pour se faire une image. L’artiste devient exubérant, c’est un dandy. Il vit comme un marginal mais se présente comme un aristocrate. Il méprise le travail, ce qui achève de l’éloigner des travailleurs auxquels il s’était joint un temps, et valorise la flânerie. À la fois mélancolique et aigri, il développe le spleen au gré de ses promenades parisiennes, à la recherche d’un absolu qu’il sait inexistant. L’ivresse procurée par les drogues, le sexe, l’alcool, la violence, la poésie, viendront pallier cette quête de l’ineffable. L’important, c’est qu’il soit vu comme étant au-dessus de la société. C’est un albatros sublime mais incompris.

L’avant-gardisme

Au tournant du siècle, l’artiste classique, travailleur, formé après de longues années d’étude, est devenu non pertinent, irrationnel du point de vue de l’histoire. Son savoir pratique dans la représentation des formes est devenu stérile face au foisonnement de styles qui se sont enchaînés depuis les impressionnistes et au développement de la photographie. La recherche formelle va dès lors être le pré carré de ce qu’on appelle désormais l’avant-garde, cette cohorte d'artistes précieusement élus chargés de savoir mieux que tout le monde, avant tout le monde, ce que sera l’art de demain. Pointillisme, fauvisme, cubisme, futurisme : tous ces mouvements de l’art dit moderne vont s’enchâsser les uns les autres en quelques années à peine, jusqu’au constructivisme qui achève l’idée de figuration au profit d’une reconstruction de l’image à l’aide de formes géométriques simples. Au même moment, en littérature, au contraire de la forme, c’est la subjectivité qui prime. Proust construit avec La Recherche une littérature de l'intériorité sous forme de monologues dissolus à la manière des méandres du souvenir.

C’est ainsi que réapparaît la scission entre la forme et le contenu, l'extérieur et l'intérieur, le rationnel et l'émotionnel. D’un côté, les arts plastiques se sont dirigés vers une abstraction toujours plus formelle et, de l’autre, la littérature a abandonné les fresques sociales à la Balzac, Zola, Martin du Gard, pour se tourner vers ce qu’il y a de plus individuel. Cette scission marque l’échec de l’avant-garde à dépasser les contradictions de l’art bourgeois. Bien sûr, la bipartition littérature/art plastique n’est pas absolue : on retrouve du figuratif à l'intérieur de l’art contemporain et la littérature, à partir de l’OULIPO et du nouveau roman, pourra s’essayer à des démonstrations de littérature purement formelle. Elle reste néanmoins très prégnante dans toute la première moitié du XXème siècle. Quoi qu’il en soit, l'avant-garde fait bien face à un constat d’impuissance. De cette incapacité à réconcilier la forme et le fond va naître Dada. Qu’est-ce que Dada ? C’est une forme de terrorisme à l’encontre du sens. Puisque ni la forme ni le fond ne sont satisfaisants, l’avant-garde veut abolir la dernière chose qui permettait à l’art d’être universel. L’art devient chose. Il y a quelque chose devant moi et si je le veux, c’est de l’art. Ainsi le ready-made de Marcel Duchamp. L’artiste se décharge de ce que les romantiques avaient voulu conquérir. Le tableau ? Ce n’est plus son problème, c’est celui du public, du regardeur.

Nous voici dans les années folles. Entrent en scène les surréalistes. Ils se passionnent pour les théories psychanalytiques en vogue, mais aussi pour le socialisme, qui fait beaucoup parler de lui depuis la révolution d’Octobre. Ce sont à la fois des subjectivistes et des révoltés. La psychanalyse vient réhabiliter le sens que Dada avait interdit. Mais c’est une façon nouvelle d'appréhender le sens. Il n’est plus conscient, interpersonnel ; c’est un magma de symboles à puiser au fin fond de l’inconscient parmi les fixations et autres névroses. Le sens devient personnel, on écrit pour soi, pour se soigner. La peinture est le reflet des névroses du peintre. Parfois – heureusement pour la postérité – le public se reconnaît dans cet épandage du moi, mais c’est bien malgré eux que les artistes touchent autrui. L’écriture automatique n’a pas de destinataire, c’est un monologue de l’auteur avec lui-même qui se masturbe intellectuellement face à son égo-portrait. Surtout que, depuis l’affaire de l’urinoir, l’art ne se limite plus à ses supports traditionnels. C’est une conduite, un acte jeté au monde. Pour André Breton, « l’acte surréaliste le plus simple consiste, revolvers aux poings, à descendre dans la rue et à tirer au hasard, tant qu'on peut, dans la foule ». L'œuvre et l’homme se confondent dans l’acte dont l’absurde devient le maître étalon.

Le socialisme des surréalistes est à comprendre dans cette perspective. En fait, le sort des ouvriers, exception faite pour Aragon, ne préoccupe pas vraiment les surréalistes. Le socialisme, ou plutôt la révolution, est une posture qui fait chic dans le tout-Paris et qui a le don d’ulcérer papa. Contrairement aux générations d’avant-guerre, les surréalistes sont installés. Ce sont des petits bourgeois confortablement établis à Paris sans pour autant vivre dans le luxe des grandes familles. En quelque sorte, la bohème s’est émancipée, elle est devenue snob. Ce sont toujours des révoltés contre l’ordre bourgeois, des trublions qui ne jurent que par le désir et ses vertus créatrices. Mais ils n’ont plus rien de marginal. Ce ne sont plus les parias du siècle précédent. Ils jouissent d’une forme de reconnaissance mondaine certaine dans les cercles à la mode. Et pourtant, par glissement, ils sont toujours perçus comme ces êtres si particuliers, au-dessus de la société. Cette représentation devient l’image de marque de l’artiste. C’est un savoir-vivre qui leur sert de passe-droit. L’artiste est un excentrique en avance sur son temps qui peut tout se permettre – c’est même son rôle. L’avant-garde s’intègre à l’ordre bourgeois : du point de vue artistique, elle a tout obtenu, la provocation est désormais encouragée. C’est à son tour de devenir irrationnelle.

Décadence de l’art occidental

Les lecteurs de Michel Clouscard y verront à raison les prémices de ce qui deviendra le libéralisme-libertaire des années 60. Seulement voilà, dans les années trente le fascisme fait irruption en Europe, ce qui retardera un peu les choses. Il faudra attendre le plan Marshall et l’établissement d’un capitalisme monopoliste d’État pour que la révolution du désir souhaitée par les surréalistes advienne. Il n’en reste pas moins vrai que dès l’entre-deux-guerre, tout est là. L’art est l’une des premières victimes du néo-kantisme, divisé entre un formalisme du signifiant qui évacue le sens et ce à quoi il se réfère et un subjectivisme qui va chercher son sens dans l’anté-prédicatif. Toutes les formes d’art qui succéderont à la Seconde Guerre mondiale ne seront que répétition et réactualisation de cette dualité. D’un côté l’art contemporain se propose comme une expérience, donc quelque chose de purement subjectif, propre au public, de l’autre un télescopage, qui va de la photographie à la peinture hyperréaliste, manifeste une nouvelle forme de représentation objectivante. Le cinéma répétera dans sa courte existence le même schéma en opposant un cinéma de divertissement très formaliste, rigide, et un cinéma d’auteur se voulant plus profond et souple dans sa manière de montrer à l’écran.

Ce cours vise à expliciter les quatre axiomes du néokantisme énoncés par Clouscard. Cela nous permet de poser les fondements d’une critique du structuralisme de l’ethnologue Lévi-Strauss dont bien des éléments sont encore d’actualité. Au-delà de l’histoire de la philosophie, il s’agit de s’intéresser à des auteurs contemporains qui s’inscrivent dans le sillage de l’ethnologue : de Lordon à Mouffe, en passant par d’autres…
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La suite ne vaut pas d’être contée tellement nous en avons déjà parlé dans nos colonnes et sur nos ondes. C’est la terrible histoire de l’imaginaire au pouvoir, de la contre-révolution du Mai 68 qui a instauré un libéralisme du désir afin d’ouvrir de nouveaux marchés, dont le pop art sera l’expression. Du point de vue de l’art et des artistes, Mai 68 n'a pas changé grand chose. C’était avant tout un coup des intellectuels jaloux de la stature de l’artiste convoité, désiré. La « provoc’ » devient la norme. L’art contemporain accumule coup sur coup les scandales gratuits au profit d'œuvres toujours plus chères. Les classes populaires, plus réticentes au progrès, deviennent de plus en plus étrangères à l’art bourgeois. On invente alors pour elles la pop culture importée des États-Unis avec les comics, les westerns, le rock’n’roll. Cette nouvelle culture est destinée principalement aux jeunes, elle est par essence éphémère et a besoin de se renouveler sans cesse. C’est par-dessus tout un marché colossal. Chaque génération, puis même chaque micro-sociologie, aura donc ses références, son genre de musique, ses idoles, ce qui aura pour effet de briser totalement l’unité culturelle entre les différentes classes d’âge à l'intérieur des couches populaires. Sécession de la bourgeoisie face au peuple et fragmentation du peuple lui-même par cultures d’importation.

Que faire ?

Aujourd’hui, quelle est la situation ? La fable de la provocation contre un ordre moral bourgeois qui n’existe plus est rejouée sans cesse par des pseudo-artistes qui veulent vivre leur petit Mai 68 familial, plongeant dans une dégénérescence extrême. Le pire étant que ces mêmes dégénérés, pétris de puritanisme à l’américaine, sont souvent les mêmes qui n'hésitent pas à « cancel » sur les réseaux sociaux les œuvres des siècles passés jugées offensantes. Par ailleurs, les mangas, les films de super-héros et le rap ont remplacé la pop culture des boomers, pour le meilleur – il faut le noter – mais le plus souvent pour le pire. L’art occidental véritable, celui qui commence avec le gothique, qui s’impose à la Renaissance, qui rayonne du baroque au réalisme puis qui s’explore à partir de l'impressionnisme semble être mort dans les derniers sursauts du surréalisme. Quelque chose s’est brisé, tout le monde le sent. Après Dali, il s'est passé quelque chose. C’est la bourgeoisie qui est rentrée, avec le capitalisme monopoliste d’État (CME), dans sa phase de déclin. L’art occidental était son art, sa conquête. Avec son déclin économique a suivi son déclin artistique. Elle a progressivement perdu les techniques que les maîtres avaient mis des siècles à mettre en place, mais aussi le code à même de comprendre ses œuvres passées. À la place, elle s’enfonce dans une médiocrité toujours plus grande, entre d’un côté une crasse libidineuse sous-romantique et, de l’autre, un goût prononcé pour le vide. D’un côté les plugs anals géants en place publique et, de l’autre des intérieurs minimalistes d’un blanc immaculé. À la marge, au cinéma notamment, des chefs-d’œuvre voient toujours le jour – et heureusement – mais, de manière générale, on sent qu’on est en fin de course.

Ce bilan de faillite a de quoi désespérer. Pourtant, sur les internets, une lueur d’espoir se laisse entrapercevoir. Depuis quelques années, nombreux sont les jeunes qui se saisissent de toute la culture classique qui les a précédée. Ils lui vouent un véritable culte. Dans une confusion touchante des genres et des styles, ils bricolent des Tiktoks qui rendent hommage aux plus grandes œuvres de l’occident. Ce sont des dégoûtés de l’art contemporain et de la pop culture, qu’ils renvoient dos à dos. Ils ont été saturés de médiocrité, de bassesse et d'indécence. Ils réclament le retour du beau, s'intéressent aux techniques anciennes dans une espèce d’élan qui embrasse toutes les formes d’arts précédentes. Pour eux, l'opposition entre le fond et la forme, le rationnel et l'émotionnel, n’a aucun sens. C’est que ces jeunes, souvent très conscients des enjeux du temps qui est le leur, ne s’identifient pas à la bourgeoisie déclinante. Ce sont souvent des patriotes qui ont décidé de relever la tête pour poursuivre un héritage civilisationnel qui leur a été légué. Ils n’ont que faire des pisse-froid qui voudraient censurer les chansons d’un Gainsbourg ou d’un Brassens parce qu’inappropriées à l’ordre nouveau de la moraline wokiste. La posture mondaine de l’artiste ne les intéresse pas, ce sont des bâtisseurs en mission pour perpétuer l'édifice culturel des générations qui ont fait la grandeur de l’humanité et de leur nation. On pense par exemple aux jeunes de l’Atelier Missor – que nous avions par ailleurs lourdement critiqués il y a quelques années. Mais force est de constater qu’ils se sont imposés dans le camp national ; or nous ne sommes pas dogmatiques. Si nous maintenons la critique, nous sommes à même de saisir les raisons de ce succès et de reconnaître la part de positivité dans leur démarche.

Il y a donc une appétence pour une nouvelle renaissance artistique. Là encore, cette renaissance n’a de sens que parce qu’elle est conservatrice, parce qu’elle est héritière d’un passé. Ce passé, c’est la culture bourgeoise débarrassée de ses contradictions qui n’ont pas lieu d’être. Le néo-puritanisme est le tremplin de cette prise de conscience. En voulant censurer la culture populaire qui subsistait, cette culture virile qui prend les traits de Lino Ventura ou de Jean-Paul Belmondo, que l’on chante après un match, que l’on apprécie lors d’un barbecue entre amis, le wokisme a fait prendre conscience aux classes populaires qu’ils étaient la nouvelle avant-garde culturelle. Leur patriotisme, leur envie d’un retour à une société traditionnelle, suscitée par leur aversion à l'encontre des reliquats de soixantes-huitardisme sénescents, leur a également fait prendre goût au classicisme. C’est ce savant mélange entre une bonhomie populaire et rabelaisienne de bons vivants mêlée au goût de l’ordre, de la verticalité et des vertus publiques, que nous devons capter. Elle est à la fois émotionnelle, vitale et formelle, ordonnée.

L’enjeu pour nous n’est pas d’opposer un retour au classicisme comme le font certaines personnes à droite, mais de le réconcilier avec le romantisme. Ce qu’il faut saisir, c’est que ces deux pôles correspondent à deux facettes de l’homme qu'autrefois Nietzsche avait appelé l'apollinien et le dionysiaque. Ces deux facettes, ce sont celles, d’une part, de l’ordre public, du sérieux et de la politique, et, d’autre part, du privé, du frivole et de la consommation. Leur opposition transposée dans la contradiction académisme/avant-garde n’a de sens qu’à l'intérieur de la bourgeoisie. Elle est le fruit de la relation névrotique du père et du fils, du patron et de l’artiste, qui conduit à une dédoublement de la conscience bourgeoise. En imposant un ordre académique formel, la bourgeoisie a elle-même créé les conditions d’émergence de l’avant-gardisme. En son temps, l’avant-gardisme bourgeois visant à libérer l’art de toutes les entraves qui lui avaient été imposées fut un réel progrès, et nous ne le rejetons absolument pas. Mais dès lors qu’il a obtenu satisfaction, il est devenu un instrument au service des pulsions auto-destructrices de la bourgeoisie en confondant le public et le privé. Cette névrose ne nous concerne pas. À nous maintenant de prendre acte et de proposer dès maintenant, par notre pratique, nos œuvres, nos choix, l’esthétique qui réconciliera l’homme avec lui-même, la subjectivité avec le politique.

« Faire monter le griffon de la mer et faire descendre la grue du ciel. »
Gérard de Nerval

→ À lire aussi : Quel roman national pour la France au XXIème siècle ?

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