Thème La stratégie politique communiste comme l’a théorisé Lénine.
Thèse La révolution est une guerre. Une révolution politique est aussi et surtout une révolution sociale. Elle est faite d’une série de batailles. Les grands problèmes de la vie des peuples ne sont jamais tranchés que par la force. Les révolutionnaires ne doivent ni ne peuvent renoncer à la lutte en faveur des réformes. À l’ère des masses, la politique commence là où se trouves des millions d’hommes.
Questions concrètes • Que faire ? • Comment faire la révolution ? • Quelle est la stratégie politique des communistes ? • Qu’est-ce que le léninisme ? • Quelle est la position de l’IHT face à l’expérience socialiste URSS ?
Résumé détaillé Que faire ? Quel révolutionnaire ne s’est jamais posé cette question de la stratégie à adopter pour mener une révolution ?
Si Jean Salem ne répond pas concrètement à cette question, car toute situation mérite une nouvelle analyse, il propose toutefois la plus remarquable synthèse des outils d’analyse développés par Lénine à même de poser les enjeux révolutionnaires de notre temps.
Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine est un révolutionnaire et homme d’État russe des plus important qu’ait connu l’histoire du mouvement ouvrier.
Souvent diffamé par l’idéologie dominante qui voudrait exclure Lénine du marxisme, la pensée du révolutionnaire soviétique s’inscrit dans la droite ligne des travaux de Marx et Engels en l’actualisant à l’époque de l’impérialisme.
Elle s’articule selon plusieurs aspects : scientifique, historique, esthétique, économique, philosophique mais surtout politique.
En tant que meneur et théoricien de la plus grande révolution socialiste à ce jour, Lénine a produit une oeuvre politique qui reste un exemple pour tous les communistes soucieux de mener à bien l’élaboration du communisme dans leur pays tout en tirant les leçons du passé des révolutions internationales.
Ainsi, Jean Salem articule les enseignements de Lénine en 6 grandes leçons.
1) La révolution comme guerre La révolution est une guerre, et la politique est, de manière générale, comparable à l’art militaire.
Le capitalisme induit nécessairement une contradiction irréconciliable entre deux classes qu’il crée et perpétue en tant que condition même de son développement : • la bourgeoisie qui possède les moyens de production et • le prolétariat dont le travail est accaparé par la bourgeoisie pour en faire du profit.
La conséquence inévitable de cette contradiction est une lutte acharnée pour la souveraineté sur l’appareil de production. Cette lutte est d’abord causée par les capitalistes dont l’existence est conditionnée par le fait même de l’exploitation du travail impayé d’autrui.
Le capitaliste, soumis à différents phénomènes économiques désavantageux pour lui, engage tous les moyens dont il dispose pour obtenir sa raison d’être qu’est le profit. Il en résulte une violence toujours plus exacerbée à l’encontre de la classe ouvrière.
Le mode d’existence même de la bourgeoisie est la guerre contre le prolétariat.
Pour se défendre, les travailleurs n’ont pas d’autre choix que de lutter à forces égales contre l’entreprise de destruction de masse opérée par la bourgeoisie.
Si les communistes sont des pacifistes, ils sont pourtant contraints de répondre aux attaques de la bourgeoisie qui n’a aucune honte à se targuer d’oeuvrer pour la paix et les « droits de l’homme ».
Ainsi, les communistes font la guerre contre la bourgeoisie pour que cesse les conflits à l’échelle planétaire.
La paix bourgeoise c’est la guerre. La guerre prolétarienne c’est la paix.
Le terme de guerre révolutionnaire est à double sens. D’abord, au figuré, il signifie l’état d’esprit que doivent adopter les communistes dans leur lutte contre la bourgeoisie pour comprendre comme disait Croizat que « la bourgeoisie ne désarme jamais ».
Ensuite, au sens propre et tactique qui s’est réalisé dans des élans de résistance héroïque telle la guérilla à Cuba sous le commandement de Castro et Che Guevara ; ou encore au Cap-Vert avec Amilcar Cabral dans des luttes de libération nationale contre le colonialisme impérialiste comme dans la Chine de Mao ou le Burkina Faso de Thomas Sankara.
Et enfin, contre le fascisme en France avec les grands révolutionnaires comme Politzer, Môquet, Thorez ou Duclos mais surtout l’Armée Rouge Soviétique qui a libéré l’Europe du nazisme.
2) La révolution comme mouvement social Une révolution politique est aussi et surtout une révolution sociale. C’est la transformation des divisions de la société en de nouvelles classes sociales dont les rapports sont modifiés.
Contrairement à ce que beaucoup pourraient penser, Lénine ne s’est jamais prononcé en faveur d’une prise abstraite du pouvoir en dehors des conditions matérielles préalables.
On ne trouverait nulle part chez lui des mots d’ordre tel que « Prenons L’Élysée ! » dont l’exécution - sans organisation et prise de pouvoir sur le travail au préalable - entrainerait de fortes désillusions quant à l’inefficacité d’une telle action.
Le pouvoir réel est avant tout le pouvoir économique, le pouvoir sur la production, ou dit autrement, sur le travail. Une révolution se développe toujours au sein des forces vives de l’économie, quand les travailleurs développent de nouvelles façons de produire.
C’est seulement en élaborant un nouveau mode de production à l’intérieur même du capitalisme que les travailleurs peuvent s’armer suffisamment pour affaiblir puis détrôner la classe dominante du pouvoir politique.
Ainsi, si la prise de pouvoir politique et institutionnelle est un objectif à atteindre pour tout révolutionnaire, il est très important de comprendre que ce n’est ni un point de départ, ni une fin en soi.
La prise de pouvoir politique arrive toujours en dernier, après que la classe révolutionnaire s’est fortifié et équipé d’une armature matérielle concrète en contrôlant collectivement les entreprises, le travail, la production.
C’est ensuite qu’elle est en mesure de réaliser en fait et en droit la prise de pouvoir politique et institutionnelle.
3) La révolution comme stratagème Une révolution est faite d’une série de batailles. C’est au parti d’avant-garde de fournir à chaque étape un mot d’ordre adapté à la situation concrète. C’est à lui de reconnaître le moment opportun pour l’insurrection.
Une classe révolutionnaire peut se diviser en deux parties.
La première, les masses qui sont « les véritables héros » de l’histoire comme l’écrivait Mao. C’est l’ensemble du prolétariat au sens étendu, c’est-à-dire ceux qui produisent plus qu’ils ne consomment. Les masses sont, par définition, la grande majorité de la classe révolutionnaire. Ce sont elles qui produisent le monde d’aujourd’hui et de demain dans la lutte objective pour le travail.
La deuxième partie est l’avant-garde révolutionnaire. Elle est la fraction la plus avancée théoriquement et pratiquement qui est élue pour guider la majorité. Son rôle est de produire les outils intellectuels qui analysent et reviennent sur les faits passés afin de mieux comprendre les faits à venir. Mais surtout, elle les synthétise pour produire une théorie révolutionnaire qui s’organise au sein du Parti Communiste. On dit que l’avant-garde fait « l’analyse concrète d’une situation concrète », elle part de faits déjà là pour produire sa théorie.
Aussi, l’avant-garde n’est pas supérieure aux masses, elle doit « se mettre à l’école de la classe ouvrière ». C’est-à-dire que ce sont les actions des masses qui instruisent l’avant-garde et qui lui permettent d’élaborer sa théorie, qu’elle vient ensuite proposer aux masses sous forme d’objectifs.
Ces objectifs doivent être à la hauteur du niveau de conscience de classe des masses et compréhensibles par elles. Mao écrivait que l’avant-garde devait être « un pas devant les masses, jamais deux », ce qu’il nommait la ligne de masse.
En définitive, la démarche de l’avant-garde doit être avant tout une démarche d’humilité à l’égard des travailleurs.
4) La révolution comme voix du peuple Les grands problèmes de la vie des peuples ne sont jamais tranchés que par la force.
Marx et Engels ont tous deux longuement théorisé sur la question de l’État. Selon eux, l’État, ou plutôt l’appareil d’État, est l’outil de légitimation et d'oppression d’une classe sur une autre.
La raison d’être de l’appareil d’État est la dictature de la classe dominante possédant les moyens de production sur la classe travailleuse qui en est dépossédée. Son mode d’existence ne peut être que la violence légale à l’encontre de ceux qui produisent.
Il légitime en droit un état de fait matériel et économique. Comme le montrait Rousseau dans le Contrat Social « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir. […] Car sitôt que c’est la force qui fait le droit, l’effet change avec la cause ; toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu’on peut désobéir impunément on le peut légitimement, et puisque le plus fort a toujours raison, il ne s’agit que de faire en sorte qu’on soit le plus fort. »
La force physique ne suffit pas à rester en position de maître car une autre force plus conséquente peut remettre cela en question. Avec le droit, la classe dominante institutionnalise sa domination.
Ainsi, seule une révolution permet de se libérer de cette domination.
Le prolétariat, pour faire face à la réaction bourgeoise pendant et après la révolution doit donc employer la violence à l’égard de la classe dominante. Il doit renverser la dictature bourgeoise pour devenir à son tour la classe dominante et institutionnaliser la domination de la majorité prolétarienne (99%) sur la minorité bourgeoise (1%).
Ce renversement est l’instauration de la dictature du prolétariat qui s’exerce par et pour le prolétariat dans son ensemble contre la bourgeoisie et réaliser par là les conditions favorables pour une démocratie réelle où le pouvoir politique appartient à la majorité.
5) La révolution contre le réformisme Les révolutionnaires ne doivent ni ne peuvent renoncer à la lutte en faveur des réformes.
On oppose la doctrine révolutionnaire au réformisme. La première est pour une prise du pouvoir violente et radicale, là où la deuxième se pose en faveur d’une lente transformation des institutions par réformes successives.
Le réformisme est une vision idéaliste de la réalité qui considère que la discussion raisonnée suffit à régler les problèmes de la société. Mais il ne comprend pas que les inégalités sont causées par des antagonismes matériels de classes.
Il considère que l’Assemblée Nationale ou autres parlements suffisent à la classe ouvrière pour faire passer par votes ses objectifs.
Cependant, c’est oublier que les institutions politiques sont faites par et pour la classe dominante. La bourgeoisie peut toujours s’arranger une majorité qui votera toujours en sa faveur. Elle a beaucoup plus de moyens pour promouvoir des candidats et financer des campagnes de telle sorte que les progressistes soient toujours minoritaires.
Mais surtout, elle peut à n’importe quel moment verser dans le fascisme et instaurer une dictature militaire si elle se sent menacée.
Ceci étant dit, les différentes élections dans les démocraties bourgeoises sont autant d’occasions et de moments d’éveil politique de la masse, dont les communistes doivent tirer profit, ne serait-ce que pour faire parler d’eux.
Si les communistes arrivent à former avec des groupes de gauche radicale à composer des blocs parlementaires suffisamment importants, ils peuvent même réussir à renforcer la classe ouvrière avec des réformes à son avantage et gagner la bataille de l’opinion.
Ainsi, les révolutionnaires ne doivent pas céder au réformisme, mais ils ne peuvent se priver d’aucune occasion de faire avancer la lutte sociale dans son ensemble.
6) La révolution comme effet de masse À l’ère des masses, la politique commence là où se trouvent des millions d’hommes, voire des dizaines de millions. Et les foyers de la révolution tendent à se déplacer vers les pays dominés.
Le capitalisme n’a pas de frontière, il s’étend sur toute la surface du globe de manière unilatérale.
Par conséquent, partout les travailleurs sont exploités de la même manière et forment une seule et même classe unie. Tous les travailleurs partagent les mêmes intérêts : l’abolition du capitalisme.
C’est pour cela que le communisme est un internationalisme. Attention, l’internationalisme n’est pas le mondialisme.
Le mondialisme est la destruction par le libéralisme des particularités nationales et de la souveraineté des peuples.
L’internationalisme est la coopération entre les peuples libres et souverains sur leur nation.
Toute révolution est d’abord nationale, un peuple se libère du capitalisme ; puis internationale, ces mêmes peuples libérés peuvent aider les autres s’ils le veulent à mener à bien leur révolution.
On observe à l’ère de l’impérialisme une tendance à un déplacement des foyers révolutionnaires vers les pays les plus dominés où les contradictions sont plus fortes et donc où la lutte des classes d’autant plus active.
En conclusion, apprendre la stratégie politique, élaborer une théorie révolutionnaire qui s’adapte au monde d’aujourd’hui, former, conscientiser et organiser les masses, sont les missions de l’avant-garde et du prolétariat révolutionnaires de notre époque pour mener à bien la révolution. Aurélien Bähler
Bibliographie • Lénine, Que faire ? • Lénine, L’État et la Révolution • Mao, Le Petit Livre Rouge • Thomas Sankara, La Liberté contre le destin • Rousseau, Du contrat social • Marx, La lutte des classes en France • Engels, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’État
Vidéographie Ces questions de stratégie politique, de révolution et d’organisation sont abordées plus amplement et pédagogiquement dans le pack Faucon de deuxième année vers lequel nous vous renvoyons page Institut. (Cf. Extraits ci-dessous)
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