Énergie gratuite : réconcilier les usagers et les travailleurs
En tant que travailleurs, il nous est nécessaire aujourd'hui de prendre du recul et de repenser nos moyens de lutte. Non pas bloquer la production, par exemple, mais la poursuivre à notre manière pour prouver que nous pouvons la gérer bien mieux que les tenants du capital.
Avez-vous vu les annonces de la CGT Marseille Énergie ?
Fournir de l'énergie gratuite ou à prix réduit pour nos boulangers croulant sous les factures excessives dues à l'inflation, trop nombreux à mettre la clé sous la porte ou à survivre sur une trésorerie précaire, obligés de licencier leurs salariés… Voilà un coup de pouce bienvenu et une idée assez originale. Une initiative suivie par l’ensemble de la CGT Mines Énergies pour des hôpitaux, cliniques, centres sportifs, associations, bibliothèques, établissement scolaires, HLM et l’éclairage public de petites et moyennes communes.
Cette décision n’est pas sans rappeler l’accès gratuit aux trains de la SNCF, envisagé par Sud Rail en 2018 : l’idée était de permettre aux usagers d’embarquer sans billet et de ne pas effectuer de contrôle. Revers de la médaille : sans tickets, les usagers ne sont pas couverts par les assurances en cas d’accident. De plus, les contrôleurs n’ont pas le droit d’être à bord et de ne pas effectuer leur mission de contrôle. Ce sont les arguments avancés par Sud Rail pour rétropédaler sur cette initiative d’alors, jugée illégale.
La fourniture gratuite ou à prix réduits de l’énergie mise en place par les grévistes d’aujourd’hui va se heurter à des problèmes similaires, mais c’est la chose à faire. Comme l’a annoncé la CGT Marseille Énergie : « C'est illégal, mais c'est moral. »
Arrêter la production revient souvent, aujourd’hui, à ennuyer l’usager plus que le patronat, ce qui n’embarque pas la population avec nous et maintient l’image de « syndicats emmerdeurs ». Les travailleurs ont besoin des transports, de l'essence, de l'énergie, de l'alimentation… Et arrêter de leur fournir les bloque, les empêche de vivre. Des blocages qui n’empêchent pas la classe dominante de dormir.
Arrêter la production était une manière de faire comprendre par les actes, au plus grand nombre, que le travail ne vient pas des patrons, mais des travailleurs, à une époque lointaine où cette idée n’était pas acquise dans les représentations collectives. C’est aujourd’hui une évidence. Ce qui ne l’est pas, c’est que le patronat non seulement ne produit pas, mais il n’organise pas non plus la production. Pire, il la désorganise. En effet, combien d'invendus en parfait état jetés tous les mois, combien de délocalisations, de concurrences stériles entre entreprises dont le partenariat serait bénéfique à la nation…
L’idée du patronat désorganisateur fait peu à peu son chemin, mais beaucoup de résistances existent encore. Il nous faut aujourd’hui montrer que nous, travailleurs et travailleuses, pouvons gérer la production sans le patronat et bien mieux que lui. Que nous sommes non seulement une alternative crédible, mais en fait la seule qui soit efficace pour que le travail productif réponde aux besoins du peuple. Que nous sommes prêts à être responsables de tout le processus de production répondant à nos besoins collectifs : infrastructures de transports, d’énergie, de santé, de communication, d’alimentation, de logement, etc.
Nous l’avons vu : ce genre d’action est accueillie favorablement par la population. Ce qui se comprend très bien : au lieu de s’accrocher à une certaine manière de faire, tel un rituel dépassé qui n’a plus de sens, ces initiatives répondent aux besoins des usagers et aux enjeux de l’époque.
La question est donc : quid des activités qui n’impactent qu’indirectement le quotidien des français, contrairement à la fourniture d’énergie, aux boulangers ou aux hôpitaux ?
Un travail d’identification de nos impacts dans chaque branche, chaque industrie, afin d'imaginer ensuite ces nouvelles formes de lutte, devient urgent. Personne mieux que vous ne connaît votre métier et ses incidences. Personne mieux que vous ne peut nourrir cette réflexion, au sein de vos syndicats, de vos groupements de travailleurs.
Alors allons-y. Et alors nos actions syndicales reprendront du sens. Nos manifestations retrouveront leur vocation : attirer l'attention sur nos actions, des actions qui pourront alors profiter au plus grand nombre, tout en cessant de faire grossir les poches des oisifs d'en haut.
Au travail ! Le vrai, le bon, celui qui est utile à tous, celui qui a du sens !