L'Antéprédicatif de Husserl à Clouscard
Hérité d'Husserl, le concept d'Antéprédicatif est nécessaire pour bien saisir la critique faite par Michel Clouscard de la pensée Néokantienne encore aujourd'hui omniprésente.
Michel Clouscard dans un premier moment critique le concept réactionnaire d'antéprédicatif issu de la philosophie Husserlienne. Puis vient, dans un second moment, le replacer au sein de son ontogénèse progressiste, dans "L'Être et le Code" et de sa phylogénèse, dans "L'Être, la Praxis, le Sujet"(1) .
Avant de s'attaquer au concept d'antéprédicatif, commençons par expliciter ce qu'est un prédicat.
Issu de la logique et de la linguistique, le prédicat est la partie niée ou affirmée par le sujet dans la phrase.
Exemple : Le cheval [sujet] galope [prédicat]
Edmund Husserl, en édifiant une nouvelle philosophie de la connaissance qui influencera tout le XXème siècle (la Phénoménologie), fera apparaitre la notion d’antéprédicatif. Dans ses méditations, Husserl cherche à identifier le sujet "pur", avant même que celui-ci s'affirme dans le monde ou en élabore des conceptualisations. Cet état précédant toute réflexion ou acte intentionnel sera considéré comme "antéprédicatif".
Littéralement : Anté [=qui vient avant] tout prédicat ou détermination concrète.
Aujourd'hui encore partout hégémonique, l'antéprédicatif est par exemple consubstantiel à la théorie libérale du sujet (l'Homo œconomicus). À un certain vitalisme hérité de Heidegger. Au structuralisme d'un Levi-Strauss. Ou bien encore à la philosophique analytique. En bref, il est au fondement tacite de toutes les pensées bourgeoises issues d'une réactualisation de Kant, et niant l'apport d'Hegel, que Michel Clouscard nommera néokantiennes.
L’antéprédicatif se donne, selon les philosophies, comme “structure” de la réalité — chez Levi-Strauss par exemple — , ou comme structure transcendantale de l’esprit humain organisant tout donné d’expérience dans des cadres a priori.
Michel Clouscard, Refondation Progressiste
Michel Clouscard montre que la subjectivité et les structures sociales sont des résultantes du développement de l'Histoire humaine. Que leur réalité est occultée, lorsqu'elles sont liées à la notion anhistorique d'antéprédicatif puisque l'on ne peut alors plus les penser en lien avec la Praxis et le temps.
Cependant, réintégré à une refondation progressiste, l'antéprédicatif pourra renvoyer à un moment originel du développement de l'Homme, où celui-ci, encore prisonnier des chaînes causales de la nature, progresse dans un quasi état d'animalité (préhistorique). Dans ce cadre, il n'y a pas de prédicat, parce qu'à ce moment du développement, il n'y a pas non plus de sujet.
Dans “L'Être et le Code”, au sein de la deuxième partie consacrée au développement de l'Homme du fœtus à l'adulte, les premiers moments du corps de l'enfant (qui débutent avant la naissance) sont antéprédicatifs. L'antéprédicatif, désigne alors la donnée biologique du corps du prématuré ("corps-substance"). Tout au long de son développement le "corps-substance" originel subira un processus dialectique d'appropriation et de négation vers le “corps-sujet”.
Dans “L'Être, la Praxis, le Sujet”, l'antéprédicatif est le premier moment de l'Histoire Anthropologique de l'humanité correspondant approximativement au moment entre Australopithèque et Homo erectus. Ce moment correspond à celui de l'ontologie temporelle ou de l'homme originel.
L'antéprédicatif rend compte de cette double transformation: de l'être au genre et du genre au genre, de l'humanisation de son héritage évolutionniste et de la création du genre par lui-même. Il est le lieu logique où l'être s'achève et le genre commence.
Michel Clouscard, L'Être, la Praxis, le Sujet (Livre 3, I, A)
Il y a donc deux usages possibles de l'antéprédicatif :
L'usage réactionnaire (néokantien) de la donation de sens par l'antéprédicatif, dans lequel l'antéprédicatif intervient comme un résidu d'idéalisme transcendantal.
Et l'usage progressiste qui fait de l'antéprédicatif un moment dans un parcours dialectique dans lequel le genre humain comme l'individu produisent les déterminations à partir de l'être reçu qu'ils façonnent.