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Crise politique

Le grand démembrement, cinq ans de macronisme 2017-2022

Genèse du macronisme et première mise en œuvre de sa (contre-) « révolution » néolibérale. En privatisant la nation et en la gérant comme une entreprise, il était inévitable qu'advienne une explosion sociale, poursuivie par un large mouvement de contestation populaire : les Gilets jaunes.

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Par Gabriel R.

Lecture 10 min

C'était il y a une demi-décennie. Un autre monde, une époque lointaine, un ailleurs « flou ». Il est vrai que l’on sortait d'un quinquennat franchement maussade, pour ne pas dire déprimant. Une social-démocratie accomplissait des réformes néolibérales en matant des manifestations. Le tout était ponctué de sanglants attentats et d'opérations extérieures. Ce n'était « que » ça... Pas de masques, pas de visages déformés par les coups, pas d'attestations, pas de couvre-feu, pas d'étudiants faisant la queue pour remplir leur frigo, pas de non-citoyens officiellement désignés comme tels par l'État. À vrai dire, le pays des Révolutions a connu une Révolution. Mais une révolution à l'envers, une contre-révolution, quoique celle-ci eût pour particularité de ne pas réagir à une Révolution mais d'achever une restauration débutée quarante ans plus tôt. Nous avions déjà souligné il y a quelque mois de cela que Macron exacerbait les tensions dans la nation en concentrant dans sa personne toutes les contradictions de la séquence historique (1). Mais éclaircissons ce personnage, insérons-le dans un cadre plus large.

Énarque passé par un savant mélange de haute fonction publique et d'emploi dans de grandes firmes privées, Emmanuel Macron incarne le néolibéral jusque dans sa biographie. Cette adéquation quasi-parfaite entre l'intime et l'impersonnel, entre sa façon proprement subjective d'être-au-monde et sa politique, pourrait nourrir chez nous autres vieux hégéliens des textes passionnés sur la figure d'Emmanuel Macron comme anti-Grand Homme, comme anti-héros intégral. Mais nous nous égarons trop loin dans ces projections poétiques, quoique son image de robot manipulateur, d'être « liquide » (2) et de néant absolu (3) confirme ces vues idéalistes.

Mais, reprenons. Nous disions que Macron, en tant qu'adepte du pantouflage (4) et créature des pantouflards, incarne le néolibéralisme jusqu'à la caricature. Revenons brièvement sur ce qu'est le néolibéralisme. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, sous l'effet de nombreux facteurs historiques, les différents États-nations se dotaient d'économies dans lesquelles l'État jouait un rôle central de redistribution sociale. Dans un premier temps, la victoire des Alliés – et notamment de l'Armée rouge – sur le fascisme, couplée à la vitalité politique des classes ouvrières organisées en partis et syndicats, permit au camp du travail d'imposer au capital des conquêtes sociales, rendant possible une démocratie aussi bien politique qu'économique. Pour le cas de la France, auquel nous nous bornerons ici, le prolétariat, appuyé par le Parti communiste français et gros d'une hégémonie culturelle largement installée dans les institutions, fut en mesure d'imposer des mécanismes de socialisation de la valeur (comme la Sécurité sociale et le statut de la fonction publique) instituant des formes d'îlots socialistes à l’intérieur d'une économie capitaliste, quoique largement planifiée et sous contrôle de l'État. En effet, au-delà des conquêtes démocratiques et sociales issues du camp ouvrier et de la Résistance, les économistes bourgeois et les gaullistes accordaient une place privilégiée à l'initiative de l'État pour assurer la croissance, l'emploi, la rénovation infra-structurelle et l'aménagement du territoire. Mais de l'autre côté, dans le camp authentiquement bourgeois, libéral et capitaliste, se nourrissait déjà depuis les années 1930 une réflexion approfondie sur les impasses du libéralisme classique.

La crise de 1929 avait largement décrédibilisé la main invisible et les invocations quasi-mystiques de la classe dirigeante dans sa foi en une autorégulation du marché. Forts de cet échec, les intellectuels libéraux, dont ceux d'un colloque ouvert par le journaliste Walter Lippman, en concluent que pour sortir de l'impasse du conflit entre étatisme (dont la social-démocratie, le nazisme et le stalinisme ne sont que des nuances dans leur volonté de contrôler l'économie par la force publique) et libéralisme classique, il est nécessaire de repenser le libéralisme ; de fonder, littéralement, un « néo-libéralisme ». L'idée centrale qui germine alors, et qui mutera sous des formes politiques très différentes jusqu'à aujourd'hui, est qu'à défaut de pouvoir faire confiance au marché seul ou à l'État seul, c'est l'État qui doit se mettre au service du marché, et a fortiori de la marchandisation, en traçant à sa place les sillons lui permettant de pénétrer plus aisément toutes les sphères de l'existence.

Le libéralisme et le néolibéralisme ne sont pas à confondre. Il ne faut pas non plus les confondre avec le capitalisme. Le libéralisme et le néolibéralisme sont des formes idéologiques qui ont permis le maintien du capitalisme. En revanche, le néolibéralisme s’inscrit en rupture avec le libéralisme pour pérenniser la domination de la classe dirigeante contre le communisme et le socialisme. Il s’agît ici d’éclaircir tout cela en montrant aussi la force de l’idéologie libérale, individualiste et égoïste.
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Le néolibéralisme s'est déployé dans toutes les strates de la société au moyen d'une véritable révolution culturelle dans laquelle les médias ont joué un rôle primordial (5). Nous ne reviendrons pas sur un travail déjà largement établi sur l’arasement de la pensée au tournant des années 90 consacrant la fin de l'Histoire sur fond d'effondrement du marxisme et d'anti-totalitarisme libéral. La réduction de la sphère politique procède d'une expulsion de la démocratie de la sphère économique. Littéralement, cette dernière est réifiée à l'état de sphère positive, et pure, régie par des lois économiques relevant de l'observation scientifique et de prévisions de la science économique sans interférence avec les « passions » et la « démagogie », mais ne relevant que du « réalisme » imposé par la « complexité » du monde contemporain. La démocratie et tout ce qui relève du commun, du public, se voit dans un premier temps réduit à son rôle purement juridique, d'encadrement du marché. Mais dans le même mouvement, le marché devient le principe à l'aune duquel la gestion, la « gouvernance » des sociétés se réalise, dans la mesure où il est le mieux qualifié pour produire de l'harmonie sociale. C'est ainsi que la gestion néolibérale des appareils de pouvoir et de l'État s'imprègne des « disciplines de marché ».

Avant même de songer à les privatiser brutalement comme dans les pays du sud-global, le néolibéralisme a soumis les entreprises publiques à des logiques de marché ; « le contrôle de l'État devient celui de n'importe quel actionnaire (6) » de même qu'en arraisonnant l'infrastructure, le réseau, à des formes concurrentielles, le néolibéralisme produit un effet doublement pervers. Non seulement les coûts augmentent et la qualité du service se dégrade, mais le rapport au bien commun est dépolitisé. « En convertissant les revendications politiques en demande marchande on espérait décharger non seulement budgétairement mais aussi politiquement l'État de la pression du public. […] Tandis que l'usager insatisfait se tournait vers la puissance publique et lui demandait des comptes, le client mécontent se borne à changer de crémerie. En privatisant l'offre, on cherche à dépolitiser la demande. (7) » C'est à la suite de ce continuum que Macron s'inscrit. Une hégémonie politique rassemblant droite et gauche dans un pivot central fictivement divisé sur des questions de surface, mais à la botte des grandes organisations transnationales (UE, OCDE, FMI, OMC) légiférant sur ce qui est bon pour tel ou tel peuple. Tandis que de nombreux pays, à la suite de crises politiques, ont connu les gouvernements de coalition alliant les droites et les gauches libérales, la France a fait mieux en accouchant d'une formation politique chimiquement pure dans sa teneur en néolibéralisme technocratique.

Les élites en rêvaient. Dans un ouvrage datant de mars 2016 (8), Daniel Cohn Bendit, représentant paroxystique de la bourgeoisie au pouvoir depuis 1968, autoproclamé « libéral-libertaire » et amateur d'activité en plein air (ndlr)..., appelait la France à entrer dans l'ère du « compromis » et des « gouvernements de coalition » concentrant en leur sein les anciens partis politiques traditionnels de droite, de gauche et du centre pour faire barrage aux populistes. Mais l'Histoire fit du zèle, et proposa mieux. À la « blitzkrieg sociale » et grossièrement thatchérienne d'un Fillon, proche de la manif pour tous et ex-sarkozyste, elle préféra un jeune cadre dynamique visqueux et arriviste maîtrisant parfaitement bien la coolitude de la bourgeoisie de gauche et le « dynamisme » des bourgeois de droite rompus à la « valeur du travail » et à l' « innovation ». Nous ne reviendrons pas sur les mécanisme simoniaques et les intrigues de cour liés à l’ascension fulgurante du macronisme élargi dont de nombreux travaux rendent déjà compte (9) (10) (11) (12) (13).

Macron et ses équipes, purs produits d'Alain Minc et de Jacques Attali (14), incarnent ainsi dans leur complétude la plus totale la mutation néolibérale qu'il convient d'administrer à la France et que le « modèle français », encore trop mixte, lourd et social, a empêché. Introduit dans l'administration Hollande dès 2012 puis nommé ministre de l'économie, Emmanuel Macron appuie les contre-réformes annonçant sa future élection. Il radicalise la logique néolibérale en rassemblant en un seul bloc social la « gestion du culturel par la gauche et de l'économie par la droite », la fausse alternance que Michel Clouscard décrivait déjà il y a 40 ans. Sous une façade décontractée, et résolument novatrice, Macron réussit le coup de force de proposer à la France un insipide programme néolibéral ressemblant au rapport que la commission Attali avait remis à Nicolas Sarkozy en 2007 (et dont Emmanuel Macron était l'un des co-rédacteurs). C'est du Fillon, mais avec le sourire et la flexibilité d'un social-démocrate. Deux boutons de chemise sont ouverts et le tour est joué. Il s'agit d'appliquer à la France des réformes de structure en allégeant les normes (droit du travail), les archaïsmes (sécurité sociale) et les privilèges (fonction publique). Pour déployer ce discours, il ira jusqu'à fustiger les dérives du capitalisme financiarisé tout en convoquant le Conseil National de la Résistance ! : « comme la France du CNR nous devons changer de logique profonde et refonder nos logiques de penser, d'agir et de progresser (15). » Une référence qu'il convoquera à nouveau pendant la pandémie de Covid-19 : « Nous retrouverons les jours heureux. » . À en croire Emmanuel Macron, le rôle de l'État est central dans la résorption des problèmes sociaux ; néanmoins, cela n'annule en rien le caractère libéral de sa démarche. Le néolibéralisme est un étatisme qui use de l'État pour remettre le marché au centre de l'existence (16) et créer les conditions d’épanouissement optimal des individus dans une juste jungle, une jungle bien ficelée. « J'ai la conviction que la politique doit déployer le cadre qui permettra à chacun de trouver sa voie. (17) » En somme, l'appareil d'État aménage un immense struggle for life entre homines economici. De ce point de vue-là, le quinquennat Macron est une flamboyante réussite.

Une fois élu, une première fois par l'alliance des bourgeoisies de gauche et de droite, une seconde fois par un barrage « anti-fasciste » aux accents mitterandien, Macron redéfinit le rapport même de son gouvernement à la politique. Ou du moins les logiques historiques profondes du néolibéralisme suppurent à chaque changement dans la « gouvernance » amorcée par le guide de la « start-up nation ». Macron a profondément renouvelé la sociologie de ses équipes en prenant du personnel jeune provenant du privé et de la société civile. On passe en quelques mois d'une gérontocratie de technocrates bedonnants à un régiment de jeunes sciencepistes obséquieux, incultes et corrompus, issus de l'oligarchie parisienne (18). En procédant de la sorte, Emmanuel Macron n'a pas humanisé la représentation nationale et le gouvernement, il a privatisé l'appareil d'État en injectant au cœur de sa pratique politique des logiques d'entreprise. En d'autres termes, la macronie gère la nation comme une entreprise. Et celle-ci fonctionne encore avec un haut niveau d'arbitraire compte tenu des rapports de production capitalistes qui les régissent. Totalement séparé du prolétariat, Macron réforme au pas de course. Suppression de l'ISF, baisse des APL, attaque contre le logement social, augmentation de la taxe carbone, privatisations. Accumuler en haut pour faire ruisseler vers le bas. Tel est le credo de la « nouvelle » politique d'Emmanuel Macron.

Fort d'une écrasante majorité à la chambre et adoptant un fonctionnement on ne peut plus vertical mais sans assise populaire, dans un pays historiquement traversé par un souci de souveraineté, le déracinement de la macronie, des managers en « marche », laisse sur le quai « ceux qui ne sont rien ». Mais cette autonomisation du « bloc bourgeois (19) », rassemblant les bourgeoisies et les couches moyennes supérieures de droite et de gauche, conduit à une contradiction fondamentale. Macron gouverne seul, retranché avec un îlot de privilégiés qui font leur marché au sein de cette hégémonie centriste. « Macron, délesté de toute base sociale, de tout lien organique avec son peuple, sidère ses bases pour tenir un pouvoir toujours plus rapiécé, les marquer au fer rouge pour les soumettre et les faire adhérer (20) ».

Cette sécession quasi intégrale de la superstructure politique vis-à-vis des classes exploitées engendre, un an et demi après l’élection d'Emmanuel Macron, une explosion sociale qui laissera dans l'histoire de la nation une marque indélébile. En novembre 2018, à l'appel de plusieurs citoyens, se déploie un large mouvement de contestation populaire ouvrant le plus violent épisode de lutte de ce début de siècle : les Gilets jaunes.

Partie 2 : Le grand démembrement, cinq ans de macronisme 2017-2022, partie 2

Partie 3 : Le grand démembrement, cinq ans de macronisme 2017-2022, partie 3


(1) « Emmanuel Macron apparaît ainsi, un an avant la présidentielle de 2017, comme la synthèse historique qui vient réconcilier en une personne et une seule formation politique (En Marche !) le capitalisme libéral-libertaire et la révolution néolibérale qu'il amène dans le cadre de l'euro-construction. Macron se trouve être la synthèse de tout ce qui s'est fait avant lui sous le masque du changement. » Gabriel R-M, « Leur clivage et le nôtre : au sujet de la gauche et de la droite »
(2) Edward Barillot, « Le président liquide, une genèse du macronisme », Perspectives libres, 2022
(3) Gérard Davet, Fabrice Lhomme, « Le traître et le néant », Fayard, 2021, 638 pages
(4) Désigne le fait, pour un haut fonctionnaire, de quitter le service de l’État et de rejoindre une entreprise privée.
(5) Serge Halimi, « Les nouveaux chiens de garde », Raison d'Agir, 2011, 155 pages
(6) Romaric Godin, « La guerre sociale en France », Paris, La découverte, 2021, page 32
(7) Grégoire Chamayou, « La société ingouvernable », Paris, La fabrique, 2018, page 253
(8) Daniel Cohn Bendit, « Et si on arrêtait les conneries », Paris, Fayard, 2016, 190 pages
(9) Juan Branco, « Crépuscule », Au diable vauvert, 2019, 312 pages
(10) Marc Endeweld, « Le grand manipulateur », Points, 2020, 336 pages
(11) Vincent Jauvert, « Les intouchables d'État, bienvenue en macronie », J'ai lu, 2019, 246 pages
(12) Vincent Jauvert, « Les voraces, les élites et l'argent sous Macron », J 'ai lu, 2020, 214 pages
(13) Laurent Mauduits, « La caste », Pocket, 2020, 252 pages
(14) Le premier, auteur de la mondialisation heureuse et le second, acteur majeur du tournant de la rigueur de 1983 sont deux figures de proue du néolibéralisme français.
(15) Emmanuel Macron, « Révolution », XO éditions, 2016, page 124
(16) "L’idéologie néolibérale est un étatisme d’un genre très spécial en ce qu’il se présente comme une idéologie anti-État alors que c’est l’État qui est mobilisé et transformé pour universaliser la raison économique. En réalité, le néolibéralisme est impensable en dehors de l’institution de l’État, qui en tant que détenteur du monopole de la violence symbolique est seul en mesure d’imposer la raison économique à tous les domaines de la société." Christian Laval, « Qu’est-ce que la "révolution néolibérale" ? », Foucault, Bourdieu et la question néolibérale, La Découverte, 2018, pp. 214-231
(17) Emmanuel Macron, op cit, page 218
(18) Juan Branco, op cit, pages 91-115
(19) Bruno Amable, Stefano Palombarini, « L'illusion du bloc bourgeois », Raison d'Agir, 2018, 246 pages
(20) Juan Branco, « Contre Macron », Paris, Divergence, 2018, page 19
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