picto facebook Institut Humanisme Total picto youtube affranchi IHT picto twitter Institut Humanisme Total picto instagram Institut Humanisme Total picto discord Institut Humanisme Total picto flux rss affranchi
Accueil  ⟩   Théorie  ⟩   Philosophie
Marxisme

Marx et la critique de l'économie politique (partie 3)

Nous tâchons de retracer l'itinéraire de Marx de la critique de la philosophie vers la critique de l’économie politique, et le rôle respectif de la philosophie et l’économie politique dans sa pensée. Nous traitons ici de sa critique de l'économie politique.

Partager
( / )
×
Par Gracchus

Lecture 25 min

Article en trois parties :


Si, dans un premier temps, l'économie politique (1) s'insère dans l’œuvre de Marx en ce qu'elle lui permet une nouvelle critique de la philosophie, une critique qui la ramène sur terre et l'affronte sur son propre terrain avec des armes venues d'ailleurs (de l'économie politique), ce geste s'inverse chez le Marx de la maturité.

L'économie politique étant devenue le terrain sur lequel Marx croise le fer, c'est désormais la philosophie qui en nourrira son approche spécifique, c'est elle qui le gardera d'élaborer une science économique positive et achevée, qui en fera une critique de l'économie politique, et ceci dans un double sens.

On sait que la théorie de l'idéologie critique la production philosophique en tant que telle, en tant qu'elle justifie un état des choses existant par un ensemble d'idées qui en voilent (pas nécessairement de façon consciente) la réalité. De la même façon, la critique de l'économie politique attaque une production intellectuelle, principalement l'économie politique anglaise, qui donne à voir une chose pour ce qu'elle n'est pas : le capitalisme comme mode de production naturel et anhistorique alors qu'il est historique et social.

Il s'agit donc bien de briser, de combattre sur le terrain des idées, une représentation aliénée du monde. C'est la première fonction de la critique de l'économie politique. La seconde est la critique de l'économie politique en tant que rapports sociaux structurant réellement le monde, comme déterminant l'agir humain. Cette critique passe par des catégories de l'économie politique qui ont une réalité effective : l'argent, le travail, la valeur, le capital. Marx se situe dès lors sur le terrain de l'économie politique qu'il tente de combattre en développant lui-même des concepts qui se situent sur le terrain de l'économie politique : le travail abstrait, la plus-value, le taux d'exploitation.

Il est alors bien possible d'y voir – et l'histoire en fournit un bon nombre d'exemples – l’élaboration d'une nouvelle économie politique. C'est oublier que la philosophie qui procure à Marx la « force d'abstraction » nécessaire à l'élaboration d'une catégorie aussi fondamentale que la « plus-value » lui procure aussi son interprétation de l'histoire, que l'on peut résumer sommairement comme celle de l'historicité absolue.

Cette historicité est incluse dans les catégories marxiennes dès leur élaboration, ainsi leur dépassement est nécessaire car le dépassement du capitalisme est nécessaire (2). Il y a donc un geste, un emploi critique des théories existantes (3), mais ce qui importe est que cet emploi lui-même soit critique.

La mise au jour des catégories comme le travail abstrait et l'argent comme équivalent général inclut la nécessité de leur dépassement. C'est ce dépassement réel des catégories économiques existantes qui fera disparaître en même temps la fausse conscience qui leur est associée et qui en est une production dérivée. L'articulation la plus connue de cette conception se trouve dans le fameux « avant-propos » à la Contribution ; c'est sur ce texte qu'il nous faudra donc revenir en premier afin de cerner l'analyse base/superstructure qui s'y dégage.

La comparaison entre le rôle du concept d'idéologie dans la critique de la philosophie et du rôle de superstructure dans la critique de l'économie politique sera essentiel pour cerner le noyau de la démarche marxienne en termes de critique de la production intellectuelle.

Néanmoins, le caractère double de la critique de l'économie politique, ainsi que son statut philosophique, transparaissent le plus clairement dans l'analyse du fétichisme de la marchandise. Celle-ci présente un double intérêt dans notre perspective d'étude. Il s'agit d'un exposé où l’économie politique est en même temps une critique de l'économie politique, des relations matérielles réelles et de leur nécessaire dépassement, et donc du dépassement des formes de conscience qui leur sont associées. On peut d'ailleurs se demander si le concept de fétichisme ne prend pas le relais de celui d'idéologie et permet de continuer la critique de la philosophie « bourgeoise » au sein même de la critique de l'économie politique.

La critique de l'économie politique telle qu'elle est résumée dans « l'avant-propos » de la Contribution nous offre d'importantes indications quant à sa raison d'être aux yeux de Marx. Ce dernier nous dit que « les rapports juridiques, pas plus que les formes étatiques » – des éléments de la superstructure donc – « ne doivent être saisis par eux-mêmes ». Ces rapports trouvent leur racines dans « les rapports matériels qui conditionnent la vie » que Hegel, à l'instar des Français et des Anglais du XVIIIᵉ siècle, résume sous l'appellation « société civile bourgeoise », et « l'anatomie de cette société civile bourgeoise doit être cherchée dans l'économie politique » (4).

Ainsi, des éléments idéels (les rapports juridiques dans ce cas) découlent de rapports matériels. Marx ne dit pas à ce stade que ces éléments idéels sont une fausse conscience, mais simplement que ce ne sont pas eux qui déterminent en dernière instance le mode de vie des hommes. Cette détermination en dernière instance se trouve dans la « société civile bourgeoise ». L'étude de cette société bourgeoise, et donc la détermination des fondements matériels des structures « supérieures », se fait à partir de l'économie politique. Transparaît dès lors le statut ambigu de l'économie politique bourgeoise qui, à la fois, en tant que production théorique idéaliste, est la conséquence nécessaire des rapports de production bourgeois, mais qui doit néanmoins servir à cerner ces mêmes rapports matériels avec précision. Suit alors le plus fameux exposé de ce qui deviendra le matérialisme historique :

« Dans la production sociale de leur vie, les hommes entrent dans des rapports déterminés, nécessaires et indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un stade de développement de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base réelle sur laquelle s'élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être mais inversement leur être social qui détermine la conscience. » (5)

On constate ici une similitude, même si le travail du concept est perpétuel chez Marx, entre rapports de production, structure économique et base réelle. Sur cette base s'élève une superstructure – juridique et politique – à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Même dans ce passage, un des plus schématiques que Marx ait produit, on voit qu'il n'est pas question de causalité, mais bien plutôt d'adéquation entre les formes de conscience sociale et la base matérielle. L'économie politique est alors nécessaire en ce qu'elle permet de discerner les formes que prennent ces bases matérielles, la vie matérielle, à laquelle correspondent ces formes de consciences sociales déterminées ainsi que le processus de vie intellectuelle en général. L'analyse de Marx se poursuit à propos des « bouleversements » et donne davantage d'indications :

« Avec la transformation de la base économique fondamentale se trouve bouleversée plus ou moins rapidement toute l'énorme superstructure. Quand on examine de tels bouleversements, il faut distinguer le bouleversement matériel des conditions de production économiques, que l'on peut constater aussi rigoureusement que dans les sciences de la nature, des formes juridiques, politiques, religieuses, artistiques ou philosophiques, bref des formes idéologiques sous lesquelles les hommes prennent conscience de ce conflit et le mènent à terme. » (6)

Marx estime que la distinction des conditions de production économiques (et de leur bouleversement) peut se faire d'une manière aussi rigoureuse que l'observation de la matière dans les sciences de la nature. La science à même d'accomplir cette tâche en ce qui concerne la société, nous l'avons vu, est l'économie politique. Celle-ci aurait donc un statut semblable aux sciences de la nature ? Il faut comprendre ici qu’il ne s’agit pas d’affirmer une similitude quant à la méthode entre la science naturelle et la science sociale, à la manière des positivistes. Il affirme simplement que la rigueur qui prévaut dans les sciences dites naturelles peut trouver un équivalent dans l’observation des bases matérielles de la société.

On peut aussi relever que parmi les formes idéologiques par lesquelles les hommes prennent conscience des contradictions de la base matérielle ne figurent pas ces mêmes sciences de la nature ; ces dernières semblent donc atteindre un degré de certitude différent des autres formes culturelles.

On peut enfin noter que Marx semble ici bien mettre en place une filiation entre la notion de superstructure et celle d'idéologie, et qu'il semble aussi inclure la philosophie dans les formes de conscience qui voilent le fondement réel des bouleversements de la société.

Cependant, si la philosophie est bien une des formes de conscience qui peut fausser les représentations du réel, elle se situe ici sur le même plan que d'autres formes de conscience (religieuse, artistique, etc.). On peut alors comprendre que la critique de la philosophie sur son propre terrain n'est plus nécessaire. Tout d'abord car il ne s'agit, comme nous l'avons vu, que d'une lutte d'importance locale et qu'elle est loin de détenir le monopole de la fausse conscience, d'autre part car elle a perdu, de par le développement historique de la domination croissante des intérêts matériels, la primauté en terme d'explication du réel. Elle n'a donc plus les catégories adéquates qui permettent de déterminer, de cerner les fondements de la vie – et par conséquent de la conscience – humaine.

Ce sont les catégories de l'économie politique qui structurent avant tout réellement la vie des hommes, et c'est donc à celle-là qu'il faut s'intéresser en premier ; la critique de la philosophie n'a plus besoin d'aller sur le terrain de celle-ci, parce que ce terrain n’existe plus en tant que terrain autonome.

Marx le confirme implicitement à la fin de l'avant-propos quand il évoque le refus de la publication de L'Idéologie allemande : « Nous abandonnâmes d'autant plus volontiers le manuscrit à la critique rongeuse des souris que nous avions atteint notre but principal, voir clair en nous mêmes » (7).

La critique de la philosophie est donc bien achevée, et elle l'est à double titre. Elle l'est aux yeux du développement historique où elle ne joue plus qu'un rôle mineur dans la formation de la fausse conscience (l'abandon « volontiers »), et elle l'est, ce qui est en partie pareil, aux yeux de Marx (et d'Engels) lui-même puisque le but principal est atteint : clarifier sa propre position critique vis-à-vis de la philosophie. Cette clarification est alors autant une critique de la philosophie existante qu'une intériorisation de ces acquis afin de les faire jouer sur le terrain désormais hégémonique : l'économie politique.

Ce terrain deviendra aussi le point focal du magnum opus de Marx. Nombreux sont ceux qui y ont vu une querelle entre économies politiques concurrentes basées sur la théorie de la valeur travail (Smith, Ricardo) et l'accomplissement de « l'économisme » de Marx (8). On se souviendra de Foucault désignant ce dernier comme un « poisson dans l'eau » au sein du XIXᵉ siècle sur la base d'un rapprochement avec les économistes antérieurs à lui.

Il nous faut pourtant considérer que la philosophie est toujours présente, à la fois en ce qu'elle permet le geste critique au sein même de l'économie politique et en ce que la nouvelle critique de l'économie politique permet en même temps une critique de la philosophie. Comme nous l'avions évoqué, on peut également se demander si le concept de fétichisme ne vient pas en partie prendre le relais du concept d'idéologie qui permettait déjà la critique de la philosophie chez le jeune Marx.

C'est à travers l'étude de la quatrième sous-section du premier chapitre du Capital que nous espérons clarifier ces points. Le fétichisme de la marchandise constitue une des parties les plus controversées du Capital, et son histoire est devenue inséparable des marxismes du XXᵉ et XXIᵉ siècles. Les prises de position oscillent entre celles d'auteurs comme Isaak Roubine jusqu'à la Wertkritik contemporaine, qui voient dans ce passage un des, sinon le moment décisif de la critique de l'économie politique, jusqu'à l'interdiction formelle par Louis Althusser de la lecture de cette sous-section au risque « d'obscurcir la compréhension de l'ensemble du Capital » (9).

Juste après trois sous-sections où Marx met en place les principales catégories qui vont fonder son analyse du mode de production capitaliste (10) (marchandise, travail abstrait, valeur d'usage, valeur d'échange, équivalent général, valeur) – avec une extrême rigueur et en se servant quasi exclusivement du vocabulaire de l'économie politique –, apparaît ce passage où l'on parle de secret, d'énigme, de reflet nébuleux, de « subtilités métaphysiques et de lubies théologiques » de la marchandise et de son fétichisme. On nous pardonnera de citer in extenso le passage central où Marx expose le mystère :

« Ce qu'il y a de mystérieux dans la forme-marchandise consiste donc simplement en ceci qu'elle renvoie aux hommes l'image des caractères sociaux de leur propre travail comme des caractères objectifs des produits du travail eux-mêmes, comme des qualités sociales que ces choses possèderaient par nature : elle leur renvoie ainsi l'image du rapport social des producteurs au travail global, comme un rapport social existant en dehors d'eux, entre des objets. C'est ce quiproquo qui fait que les produits du travail deviennent des marchandises, des choses sensibles suprasensibles, des choses sociales. De la même façon, l'impression lumineuse d'une chose sur le nerf optique ne se donne pas comme l'excitation du nerf optique proprement dit, mais comme forme objective d'une chose à l'extérieur de l'œil. Simplement, dans la vision il y a effectivement de la lumière qui est projetée d'une chose, l'objet extérieur, vers une autre, l'œil. C'est un rapport physique entre des choses physiques. Tandis que la forme-marchandise et le rapport de valeur des produits du travail dans lequel elle s'expose n'ont absolument rien à voir ni avec sa nature physique ni avec les relations matérielles qui en résultent. C'est seulement le rapport social déterminé des hommes eux-mêmes qui prend ici pour eux la forme fantasmagorique d'un rapport entre choses. Si bien que pour trouver une analogie, nous devons nous échapper vers les zones nébuleuses du monde religieux. Dans ce monde-là, les produits du cerveau humain semblent être des figures autonomes, douées d'une vie propre, entretenant des rapports les unes avec les autres et avec les humains. Ainsi en va-t-il dans le monde marchand des produits de la main humaine. J'appelle cela le fétichisme, fétichisme qui adhère aux produits du travail dès lors qu'ils sont produits comme marchandises, et qui, partant, est inséparable de la production marchande. »

Marx constate que la valeur, créée par le travail des hommes, le travail privé d'individus isolés qui dépendent pourtant objectivement les uns des autres (de par la division sociale du travail), connaît un mouvement autonome une fois la production marchande généralisée.

Ceci car la valeur d'une marchandise particulière, bien que déterminée par le travail des hommes, évolue de façon indépendante à leur contrôle et s’exprime comme « rapport social existant en dehors d'eux, entre objets ».

Comme Marx le souligne, ce n'est alors pas la marchandise en soi qui apparaît comme un mystère mais bien la forme-marchandise particulière qui est en question, celle de la production marchande généralisée au sein du capitalisme. Marx parle d'un quiproquo, d'une inversion : les relations sociales deviennent des qualités objectives. Sans justifier pour le moment ce quiproquo, Marx met en évidence sa spécificité. Il utilise pour cela une comparaison optique. Le quiproquo existe aussi au sein de la vue : la lumière renvoyée d'un objet touchant la rétine est prise pour l'objet visible. Le caractère particulier de la forme-marchandise n'est pas seulement ce quiproquo – le fait de prendre une chose pour ce qu'elle n'est pas – mais encore les circonstances particulières de ce quiproquo, qui n'est pas un « rapport physique entre choses physiques » mais un « rapport social déterminé des hommes eux-mêmes qui prend ici pour eux la forme d'un rapport fantasmagorique entre choses ».

C'est donc un rapport trompeur entre les choses qui caractérise la relation de valeur. La comparaison optique se trouve cependant insuffisante ; la seule analogie adéquate se trouve dans « les zones nébuleuses du monde religieux ». On retrouve ici la critique de la religion telle qu'elle s'exprime chez Feuerbach. Ce dernier savait déjà que les dieux des grandes religions sont des créations de l'esprit humain auxquels les hommes se soumettent par la suite. Marx montre qu’il en va de même pour les marchandises en tant que créations du travail. Il termine le passage en affirmant que le fétichisme est « inséparable de la production marchande » ; il affirme alors explicitement que le fétichisme n'est pas un simple phénomène de conscience qui pourrait être résolu par une clarification intellectuelle. Le fétichisme doit être compris comme une conséquence inévitable d'une pratique sociale déterminée, celle de la production des marchandises, qui se répercute aussi sur la conscience. Le fétichisme ne pourra disparaître qu'une fois que la pratique elle-même a disparu. Marx réaffirme cela un peu plus loin :

« C'est pourquoi les relations sociales qu'entretiennent leurs travaux privés apparaissent aux producteurs pour ce qu'elles sont, c'est-à-dire, non pas comme des rapports immédiatement sociaux entre les personnes dans leur travail même, mais au contraire comme rapports impersonnels entre des personnes et rapports sociaux entre des choses impersonnelles. »

Il est donc clair que Marx ne considère pas le fétichisme seulement comme un problème de fausse conscience. Lorsque les relations sociales entre les travaux privés apparaissent comme des rapports sociaux entre choses impersonnelles, elles apparaissent pour ce qu'elles sont. Le fétichisme est un phénomène réel au sein de la société productrice de marchandises. Les travaux des hommes deviennent égaux comme résultat objectif de la mise en rapports de leurs marchandises au sein de l'échange. Marx le décrit en faisant référence à l'évangile de Luc : « Ils ne le savent pas mais le font pratiquement ».

C'est à un niveau universel que Marx place le caractère inconscient de la socialisation. En effet, si les hommes savaient ce qu'ils faisaient, la science économique serait superflue et Marx n'aurait pas à éluder des secrets (11). Si ce caractère inconscient est prétendu universel, on peut se demander de quel point de vue Marx peut se permettre d'en faire la démonstration. Il nous donne alors une indication précieuse quant à la méthode qu'il emploie dans sa critique de l'économie politique :

« La réflexion sur les formes de l'existence humaine, et donc aussi l'analyse scientifique de ces formes, emprunte de toute façon une voie opposée à celle du développement réel. Elle commence post festum et, du coup, part des résultats achevés du processus de développement. Les formes qui impriment aux produits du travail le cachet de la marchandise, et que la circulation marchande présuppose donc, possèdent déjà la stabilité de formes naturelles de la vie sociale, avant même que les hommes cherchent à en rendre compte, non pas quant à leur caractère historique, puisque ces formes passent au contraire déjà pour immuables à leurs yeux, mais quant à leur contenu. »

Marx met ici en lien le développement historique du mode de production marchand et la saisie scientifique des « formes de l'existence humaine » par l'économie scientifique. Il a fallu attendre les débuts de la généralisation de l'échange marchand en Angleterre pour qu’apparaissent en même temps les premières recherches quant au contenu de ces formes (la valeur), chez Petty, Smith et Ricardo. Mais pour eux, la recherche se limite à ce contenu car la forme (la valeur capitaliste) passe déjà pour immuable à leurs yeux. Marx a des raisons de penser que lui-même échappe à cette naturalisation. Parmi les catégories dont Marx prétend cerner le contenu et la forme historique, ou plutôt le caractère historique de la forme, il cite la forme-marchandise et la forme-monnaie. Il précise par la suite que :

« C'est précisément ce genre de formes qui constituent les catégories de l'économie bourgeoise. Ce sont des formes de pensée qui ont une validité sociale, et donc une objectivité, pour les rapports de production de ce mode de production social historiquement déterminé qu'est la production marchande. »

On peut donc en déduire que Marx ne nie pas la validité sociale des catégories de l'économie bourgeoise puisque ces catégories structurent effectivement les rapports matériels, réels, du monde bourgeois. Ce qu'il reproche à l'économie politique bourgeoise, c'est d'en faire des catégories anhistoriques, naturelles, et donc indépassables, quand bien même ces catégories structurent le réel en tant que monde à l'envers où les rapports entre les choses déterminent les rapports entre les hommes. Bien loin de reconstruire une énième économie politique positive, on voit que Marx traite l’économie politique d’une façon critique – philosophique pourrait-on dire – en ce qu’il montre que les formes économiques bourgeoises n’ont rien d’éternel et qu’elles sont amenées à disparaître avec la classe même qui les a fait advenir.


(1) L’économie politique peut être comprise comme la discipline qui réfléchit sur la production matérielle, ses échanges ainsi que sur sa valeur. On démarre généralement l'histoire de l’économie politique moderne avec Quesnay et les physiocrates. C’est également ce que fera Marx dans ses Théories sur la plus-value, le tome IV du Capital. Vient alors l’économie politique classique avec Petty, Smith et Ricardo.

(2) Même si ce dépassement n’est pas inévitable, Marx a ainsi, dès le Manifeste, rappelons-le, évoqué la possibilité de l'anéantissement des deux classes en lutte. K. Marx, Manifeste du Parti communiste [1848], Le livre de poche, 1973 p.51

(3) Où Marx prend soin de distinguer entre la production économique vulgaire – si ouvertement apologétique et dénuée d'esprit qu'elle n'est même pas à prendre en compte – et l'économie classique, ayant cerné les catégories fondamentales et leurs interactions, mais incapable, de par leur point de vue bourgeois, d'entrevoir la totalité de leurs interactions et leur nécessaire dépassement.

(4) Contribution, op. Cit. p.62

(5) Ibid, p.63

(6) Ibid

(7) Ibid, p.64

(8) La réduction de tous les rapports humains à l’économie, doctrine strictement étrangère au marxisme. On ne citera jamais assez les propos d’Engels à ce sujet : « D'après la conception matérialiste de l'histoire, le facteur déterminant dans l'histoire est, en dernière instance, la production et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx, ni moi n'avons jamais affirmé davantage. Si, ensuite, quelqu'un torture cette proposition pour lui faire dire que le facteur économique est le seul déterminant, il la transforme en une phrase vide, abstraite, absurde. »

(9) Voir : Lire le Capital, Louis Althusser, PUF, 2008

(10) Marx, Le Capital [1890], Éditions sociales, 2016, p.73. À partir de maintenant, simplement Le Capital. Nous renvoyons à cette édition française puisqu'elle est constitue la traduction la plus fidèle de la 4è édition allemande.

(11) Marx se distingue alors définitivement de l'économie politique classique qui le précède ainsi que de l'économie néo-classique qui vient après lui. Les deux partent du présupposé que les individus savent ce qu'ils font dans l'échange, qu'ils ont une connaissance de la valeur des produits (Smith), voire même disposent de l'intégralité de l'information nécessaire pour décider sur un marché (la concurrence pure et parfaite dans le modèle néo-classique).
Partager
À la Une

Écologisme et sacré : le cas d'Extinction Rebellion

Barrès en héritage

Qui sommes-nous ?
L'Affranchi IHT est le média de
l'Institut Humanisme Total
En savoir plus
Soutiens-nous
Finance ton média
affranchi de l'idéologie dominante
Faire un don
picto facebook Institut Humanisme Total picto youtube affranchi IHT picto twitter Institut Humanisme Total picto instagram Institut Humanisme Total picto discord Institut Humanisme Total
cours et formations Institut Humanisme Total formations politiques et cours de philosophie marxiste loic chaigneau
Forme-toi
Pour transformer ta compréhension
de l'information
Institut
Rejoins-nous
Adhère à l'Institut Humanisme Total
à partir de 10€ par an
Adhérer
Philosophie

Aristote : faut-il condamner la monnaie ? Commentaire sur la chrématistique

Contre-critique des bêtises de François Bégaudeau sur Michel Clouscard

Plus d'articles
LES PLUS LUS
bibliographie conseils de lecture Institut Humanisme Total bibliothèque Voir la bibliothèque livres librairie Institut Humanisme Total bibliothèque Acheter les livres Marx FM Podcast marxiste marx communisme Institut Humanisme Total Écouter Marx FM
picto formation diplome picto vidéos picto i picto theorie picto actualites