Que nous lèguent Hegel et Marx pour penser et transformer le monde ?
Paru aux éditions Materia Scritta en août 2021, “Penser et transformer le moment présent” est un livre de Loïc Chaigneau sur le rapport Hegel - Marx et sur les moyens qu'ils nous offrent pour penser le monde et le transformer.
Lire la vidéo ci-dessous pour écouter le podcast de cet article.
Le matérialisme dialectique et historique est un outil de compréhension qui nous a été légué par Marx à la suite de Hegel, et qui est encore aujourd'hui efficient pour analyser et comprendre le monde, avant tout dans l'objectif de le transformer.
« Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde ; il faut désormais le transformer. »
Karl Marx, Thèses sur Feuerbach
Aujourd'hui, deux écueils sont à éviter : 1) soit tenter de transformer le monde par la pratique en se passant de la théorie 2) soit réhabiliter la théorie en se tenant à distance de la pratique.
Au contraire, l'apport décisif de Marx est de montrer l'intrication entre la théorie et la pratique, sous le concept de praxis.
Dans cet ouvrage destiné à ceux qui s'intéressent aux questions théoriques, et aux militants éclairés par la théorie qui souhaitent passer à la pratique, Loïc Chaigneau nous met dans les sillons de Hegel et de Marx.
De surcroît, l'auteur nous donne les moyens de saisir la pensée de ces philosophes et les liens qui les unissent.
Ainsi, à l'IHT nous nous revendiquons hégéliano-marxistes pour insister sur l'importance qu'il y a de lier les deux dans notre méthode de compréhension du réel.
Ce livre a initialement fait l'objet de deux travaux universitaires de master en philosophie réunis en un seul volume. Il est à noter que ces travaux ont été écrits durant la même période que Pourquoi je suis communiste, c'est-à-dire du printemps 2018 à l'été 2019.
L'objet de ce livre, en s'inscrivant dans l'histoire de la philosophie, n'est pas de rechercher un Hegel ou un Marx à la lettre comme cela a déjà été fait à plusieurs reprises mais plutôt de donner les moyens de découvrir ces auteurs et leurs relations.
Soit, de reconnaître comme Lénine l'avait fait, que « l'idéalisme intelligent est plus proche du matérialisme intelligent que du matérialisme vulgaire. » (1)
Autrement dit, Marx (matérialiste) est plus proche de Hegel (idéaliste) que du positiviste Auguste Comte parce qu'un idéalisme intelligent pose les bonnes questions alors qu'un scientisme ou un positivisme ne sont finalement qu'un matérialisme vulgaire qui s'éloigne des problématiques centrales.
Face aux crises systémiques actuelles du capitalisme, dont la pandémie de la covid-19 et les politiques de confinement qui l'accompagnent n'en sont que le symptôme et certainement pas la cause, ce livre a vocation à réhabiliter le rapport Hegel - Marx, si décrié depuis plusieurs décennies.
→ À lire aussi : Pourquoi la crise du covid-19 est en réalité une crise du capitalisme ?
L'articulation de ce rapport nous permet de penser le monde actuel mais aussi les moyens de sortir des crises qui le traversent.
C'est pourquoi l'auteur récuse la lecture althussérienne qui sépare Hegel de Marx. Au contraire, c'est le noyau rationnel, la méthode dialectique (présente chez Hegel et réutilisée par Marx) qui nous intéresse afin de faire usage de ces outils et d'affirmer un matérialisme dialectique et historique qui soit orthodoxe du point de vue de la méthode comme le soulignait Lukács.
De là, le livre s'adresse à trois publics qui peuvent parfois être le même mais avec trois visées différentes.
D'abord, il se présente comme un outil d'éducation populaire qui accompagne les séminaires de Loïc Chaigneau au sein de l'Institut Homme Total.
Ensuite, il a une visée philosophique s'adressant à un public familier des débats dont sont l'objet les textes de Hegel et de Marx. Cela se traduit notamment par la réaffirmation de la nécessité qu'il y a sur le plan politique et pour la pratique des sciences humaines et sociales à tenir Marx dans son rapport à Hegel.
A priori cela n'est pas très original, mais il faut défendre cet acquis théorique dans l'histoire de la philosophie qui n'a cessé d'être attaqué ces dernières années.
Une telle lecture conteste la lecture tant structuraliste que néo-naturaliste de Marx et de Hegel.
Par ailleurs, sans remettre entièrement en cause la distinction opérée entre le jeune et le vieux Marx, il s'agit du moins de ne pas les séparer.
Puisque s'agissant de l'articulation entre la pensée et la transformation politique, entre la théorie et la pratique qui est au cœur de l'ouvrage proposé, les liens avec Hegel qui s'inscrivent dans la continuité ou la discontinuité occupent toute la trajectoire intellectuelle de Marx.
À ce sujet, lire l'article suivant, extrait de l'ouvrage présenté.
→ À lire aussi : La méthode dialectique : continuité et discontinuité dans le rapport Hegel-Marx
Une trajectoire qui trouve son sens dans la méthode dialectique : le matérialisme historique comme science et le matérialisme dialectique comme philosophie, qu'il est indispensable d'associer.
Cet ouvrage veut réhabiliter la force de la dialectique et montrer que matérialisme historique, méthode non-figée, est un moyen non-positiviste de penser les sciences sociales et l'histoire et par là de penser la transformation politique.
C'est la force de la science historique inaugurée par Marx et Engels que de nous aider à voir la particularité de la matière historique pour l'appréhender sous un angle matérialiste mais qui ne soit pas objectiviste comme Loïc Chaigneau l'a fait remarquer dans Pourquoi je suis communiste.
L'ouvrage répond ainsi à un souci épistémologique, restituer la méthode dialectique contre les approches relativistes subjectivistes, et les approches dogmatiques objectivistes.
Du fait de son objet, le matérialisme historique, ce souci épistémologique est inséparable d'un souci politique.
Et c'est la troisième visée de cet ouvrage, qui intéressera donc un public militant. Il s'agit de conjuguer l'engagement communiste avec l'approche matérialiste pratique.
Un engagement qui s'appuie sur la compréhension et le prolongement en pratique du communisme comme mouvement réel d'abolition de l'état actuel des choses.
Éviter le risque d'historicisme que présenterait une science prédictive de l’histoire, nécessite de réinscrire l'histoire dans un processus téléologique mais non-causal, où la liberté collective seule, comprise dans ses déterminations, peut donner la forme à ce qui advient.
Une fin qui ne soit pas un but, un projet, mais l'expression immanente de la lutte des classes.
Dans la profonde crise militante des organisations de la classe ouvrière qui ont jusqu'ici porté cette lutte, dans la profusion des formes nouvelles de mobilisation, une telle réflexion représente une utile contribution puisque de fait, le bagage théorique vient à manquer aux différents mouvements politiques et organisations de classe.
Mais c'est pourtant avec eux qu'on doit renouer puisque comme le signalait Lénine, « Sans théorie révolutionnaire pas de mouvement révolutionnaire ».
Cet ouvrage va plus loin sur le rapport Hegel - Marx, en ce sens qu'il nous faut voir dans la méthode dialectique hégélienne un trait philosophique particulier, qui contrairement à l'idée qu'on peut s'en faire d'ordinaire, il n'y a pas une mainmise de la logique de l'Idée sur celle de la production.
C'est-à-dire que Hegel est déjà dans une position qu'on ne peut réduire à un simple idéalisme objectif, formulation qu'on retrouve assez peu chez Hegel lui-même. Sa position est déjà la logique de la production immanente.
L'Esprit d'un peuple s'inscrit déjà dans l'immanence historique.
Ainsi, Loïc Chaigneau rejoint ce que l'œuvre de Michel Clouscard laisse entendre en filigrane de ses travaux lorsqu'il déclarait qu'ils étaient « une contribution à la philosophie hégélienne ».
→ À lire aussi : Michel Clouscard, penser l'histoire et son actualité
Cela signifie que dans le rapport Hegel - Marx, la distinction entre idéalisme d'un côté et matérialisme de l'autre dans leurs deux acceptions vulgaires n'a ni sens, ni intérêt.
La dialectique est déjà réaliste chez Hegel et la méthode comme la démarche est poursuivie par Marx à l'identique.
À ce propos, l'absence de toute rédaction de Marx concernant la dialectique pourrait encore être interprétée comme une difficulté pour lui-même de désarticuler une méthode qu'il a pleinement su faire sienne.
Laisser Hegel de côté tout en continuant de mobiliser Marx c'est risquer de ne rien comprendre non seulement au monde social mais plus encore aux moyens qu'il nous faut développer pour le transformer.
Si ces questions vous intéressent, nous vous encourageons à découvrir nos cours de philosophie, et nous vous invitons à vous procurer le livre sur internet ou dans toutes vos librairies.
Vous pouvez poursuivre cet article en découvrant la conférence de Loïc Chaigneau présentant ce livre.