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Médecine

Darwin complotiste ? Le néo-kantisme contre Darwin

Théorisé par Michel Clouscard, le néo-kantisme est la méthode épistémologique bourgeoise par excellence, et il se pourrait qu'elle nous ait fait passer à côté de Darwin.

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Par Aurélien

Lecture 20 min

Cet article fait partie d'un dossier complet sur la médecine. Les arguments qui y sont développés s'inscrivent donc dans une totalité. CF : le sommaire.

Sommaire :
  1. Les paradigmes capitalistes de la médecine

  2. La crise du COVID-19 comme symptôme de la maladie capitaliste

  3. Qu'est-ce que le vivant ? Un bref horizon des réponses philosophiques et scientifiques

  4. Qu'est-ce que la santé ? De l'anormalité et l'anomalité

  5. Qu’est-ce que la médecine ? La leçon d'Hippocrate

  6. Approches et controverses : L'opposition médecine conventionnelle-non conventionnelle ou allopathique-holistique

  7. La médecine prise en otage : Entre scientisme et pseudo-science

  8. Des lobbys corrompus aux charlatans de province : Conséquences et dérives de la médecine bourgeoise

  9. Darwin complotiste ? Le néo-kantisme contre Darwin

  10. Refondation thérapeutique : Propositions pour une pratique communiste de la santé

Suite du dossier :

Au cours des deux parties précédentes, nous avons procédé à une critique méthodique des deux approches majoritaires en médecine à l’heure actuelle.

Tout d’abord, nous avons relevé le caractère profondément naturaliste de la médecine holistique appuyé sur des postulats infondés à propos de « forces vitales » qui introduisent des conceptions anti-rationnelles dans la science. Nous avons vu qu’il n’est pas raisonnable de fétichiser la nature pour s’opposer aux traitements de synthèse sous prétexte qu’ils seraient chimiques, car, par définition, la chimie est le propre de la matière, issue de la nature ou non.

Inversement, nous avons étudié la dérive méthodologiste du positivisme et sa tendance à isoler les faits et les réduire à des relations de cause à effet simples pour éradiquer des symptômes.

Nous avons vu que, malgré leurs divergences, ces deux approches convergent sur un point principal : l’oubli de la question sociale, dû au caractère profondément bourgeois de ces deux médecines.

Nous constatons en filigrane un retour de la contradiction mécanisme/vitalisme. Il n’est pas étonnant de voir les deux conceptions historiques du vivant resurgir dans ce débat au sein de la médecine bourgeoise. L’opposition entre mécanisme et vitalisme est consubstantielle au développement de la philosophie bourgeoise depuis le XVIIème siècle.

Nous avons, d’une part, un mécanisme, tout d’abord dualiste chez Descartes, puis qui va se rapprocher de plus en plus du monisme réductionniste chez La Mettrie et Diderot, avant de devenir le monisme positiviste que nous connaissons chez Comte puis Russel et les théoriciens des sciences dites « cognitives ». De l’autre côté, le vitalisme moniste (entendu dans une forme gnoséologique et épistémologique très élargie), qui s’étend de Spinoza jusqu’à Bergson avant de dégénérer dans le New-Age en passant par Bichat, Lamarck et Nietzsche.

Il serait impossible d’établir la différence et l’évolution du débat entre ces deux courants dans les détails de la conception personnelle de ces différents penseurs. Néanmoins, à partir de ce que nous avons posé plus haut, nous pouvons déjà nous étonner de constater que la contradiction n’ait pas été dépassée malgré les contributions de Kant et Darwin à la conception épistémologique du vivant. Ils sont en vérité passés tout à fait à côté de Darwin pour les meilleurs et même de Kant pour les moins bons.

Le positivisme est un néo-kantisme ; sa démarche, qui consiste à ne voir que des faits et nier la totalité et les processus, en est l’exemple même. Il peut concevoir que si nous avons des yeux c’est bien pour voir — dans de très rares cas — mais se refuse à pousser sa réflexion plus loin que la simple description du fonctionnement mécanique de celui-ci par crainte de l’erreur héritée de l’idéalisme transcendantal.

Mais, la plupart du temps, les positivistes n’atteignent même pas le kantisme justement pour cette raison. En ce sens, ils sont plutôt pré-kantiens car ils n’accèdent même pas à la sphère de la raison pour comprendre la finalité dans le vivant, ne serait-ce qu’en tant que catégorie préalable à l’activité théorique. Bien sûr, ils ne rejettent pas Darwin, mais le cantonnent à un simple descripteur de mécanisme, niant toute sa dimension téléologique (non causale) par peur de faire une synthèse théorique débordant du cadre des faits.

Michel Clouscard s’est efforcé de penser sous le concept de néo-kantisme la fonction idéologique commune à toute l’épistémologie dite bourgeoise (de Husserl à Sartre en passant par Heidegger et Lévi-strauss, notamment). L’adhésion inconsciente au néo-kantisme de la part de ces intellectuels les a conduit le plus souvent à nier les acquis du marxisme et nous en faisons les frais, en pratique, encore aujourd’hui.
Comprendre le néo-kantisme
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À l’opposé, les néo-vitalistes, eux, n’ont même pas saisi l’apport kantien. Enracinés dans une tradition purement empirique et ancestrale, ils nient l’apport rationnel de la modernité. Par accumulation pratique quantitative, le vitalisme et la médecine holistique ont saisi des critiques qualitatives pertinentes du positivisme mais sur des bases absolument irrecevables par la science moderne. Ils évoluent donc dans un naturalisme abscons qui se refuse à toute explication mécaniste nécessaire du point de vue de la science. Ils postulent un vitalisme par nécessité afin de comprendre et poser des mots sur les résultats effectifs de leur pratique, sans pour autant le questionner.

Cette impossibilité à dépasser Kant du positivisme et du vitalisme et à intégrer pleinement Darwin, c’est-à-dire avec sa dimension téléologique non causale, trouve son origine commune dans les limites de la conscience de classe de ses penseurs. La théorie de l’évolution et la médecine moderne émergent au même moment — seconde moitié du XIXème siècle — au sein de la société savante bourgeoise anglaise et française.

Darwin publie L’Origine des espèces en 1859 et La filiation de l’homme en 1871. Or, on sait que sa théorie de la sélection naturelle, éminemment révolutionnaire en son temps, a mis très longtemps à être acceptée. Plus grave encore, elle a, dès ses débuts, été dévoyée par des individus comme Spencer, qui en ont fait une idéologie pour légitimer le mode de production capitaliste — « darwinisme social » ou spencérisme — en posant des bases anthropologiques totalement contradictoires avec la téléologie progressiste darwinienne proposée dans La Filiation, qui sortira bien après.

Encore aujourd’hui, les acquis de Darwin ne sont pas acceptés partout ; il est par exemple encore légal d’enseigner le créationnisme dans certains États américains. Au même moment apparaissent les pères de la médecine positiviste tels que Claude Bernard, qui publie son Introduction à l’étude de la médecine expérimentale en 1865, ainsi que Louis Pasteur et ses recherches sur les vaccins des années 1880-1890. Malheureusement, c’est un rendez-vous manqué pour Darwin et les médecins français.

Les positivistes se sont longtemps opposés à l’élection de Darwin à l’académie des sciences. On pense par exemple à Charles Robin qui fut l’un des premiers à formuler la fameuse critique du manque de preuve expérimentale de la théorie de l’évolution (1) – nous ne reviendrons pas en détail là-dessus, les explications sur les limites de la preuve expérimentale ayant été démontrées plus haut.

Denis Buican explique dans Darwin et l'épopée de l'évolutionnisme que le naturaliste anglais ne reçut pas que des oppositions de la part des créationnistes, mais également des scientistes de son temps, parmi lesquels on pourrait d'une certaine manière ranger Claude Bernard, pour qui la biologie se devait de reposer uniquement sur la physico-chimie afin de lui conférer la même valeur de scientificité que la physique.

Pour Claude Bernard, « le vivant c’est le mort » : pour les physiologistes de cette époque, l’étude du vivant se faisait principalement sur des cadavres, du vivant à l’état de relique donc, afin de pouvoir mieux isoler des faits étudiés et rester dans le cadre de la méthode expérimentale. La physiologie positiviste était alors plus un anatomisme qu’une biologie au sens darwinien. L’hérédité issue de la sélection naturelle de variations individuelles génétiques adaptées à la pression du milieu ne pouvant être étudiée au microscope, elle est évincée de fait du champ de la science par le positivisme – note : l’embryologie et la génétique moderne réhabiliteront par la suite Darwin, mais comme nous l’avons écrit, sur un modèle purement empirico-descriptif, donc non théorique.

Louis PasteurLouis Pasteur (Albert Edel / Wikipédia)

Du côté des vitalistes, le rapport au darwinisme est triple. Tout d’abord, il y a le vitalisme auquel Darwin s’est lui-même opposé, incarné principalement par Lamarck. Ce dernier était un naturaliste français du XVIIIème siècle qui a, le premier, proposé une théorie du transformisme des êtres vivants. Pour lui, les êtres vivants sont mus par une dynamique interne qu’il place dans leur métabolisme et qui organise et complexifie leur être. Il explique la diversité des êtres vivants par l’adaptation de ces derniers à leurs milieux et l’hérédité de ces caractéristiques acquises. Contrairement à Darwin, pour qui ce sont des variations qui sont sélectionnées par les espèces pour leur meilleure adaptation au milieu, chez Lamarck les variations sont le fruit d’une adaptation due à une croissance du métabolisme vers le milieu.

Prenons le fameux exemple du cou de la girafe : pour Lamarck, la girafe a développé un long cou pour pouvoir atteindre les feuilles des arbres de la savane, il y a donc une force vitale qui fait croître l’organe de la girafe pour qu’il s’adapte au milieu. Chez Darwin, c’est l’inverse, le long cou est le fruit d’une sélection d’une variation présente chez un ancêtre de la girafe par « hasard » alors qu’il était plus adapté au milieu (les grands arbres). Darwin conserve l’idée d’adaptation de Lamarck mais il la dépasse dans sa dimension idéaliste qui fait de l’évolution des sauts momentanés des espèces pour s’adapter « dans l’urgence ».

Après Darwin survient un nouveau type de vitalistes qui s’inspireront de sa théorie et de Spinoza pour fonder une philosophie existentialiste. On pense par exemple à Nietzsche, qui théorise le concept de « volonté de puissance » qui désigne la faculté du vivant à croître. Très inspiré du conatus spinozien, défini comme « la faculté à persévérer dans son être », la volonté de puissance se manifeste par le désir qui met, selon Nietzsche, l’homme en action, et que le plaisir vient consacrer pour valider l’individu dans son existence.

Chez Nietzsche, le désir est donc un moteur primordial et tout ce qui vient l’empêcher est à abolir. Ainsi, l’individu se définit par ses pulsions les plus animales et instaure la prédation de tous contre tous. On retrouve ici la conception spencérienne, ou darwiniste sociale, qui fait de la sélection naturelle une lutte pour la survie des forts contre les faibles. Et c’est effectivement cette lecture que Nietzsche fait de Darwin pour asseoir sa théorie sur des études aussi peu scientifiques que darwiniennes (2), par souci d’ontologisme naturaliste propre à la bourgeoisie réactionnaire, et qui permettent de légitimer le fascisme.

Enfin, il y a des vitalistes qui ont tout simplement ignoré Darwin dans leurs travaux pour de multiples raisons, comme le prêtre catholique Sebastian Kneipp à l’origine de la naturopathie. Ou encore les spiritualistes perdus dans leur rapport substantiel et irrationnel au monde, dont nous ne traiterons pas.

Charles DarwinCharles Darwin (Photographe inconnu / Wikipédia)

Nous avons donc d’une part, un positivisme bourgeois paralysé par sa crainte de l’erreur et de la tentation théorique qui se braque face au darwinisme, comme il le fait face à chaque théorie révolutionnaire — et pour cause, car il exposerait à la face des chercheurs de quoi très largement remettre en cause les fondements du mode de production capitaliste. Et de l’autre, un vitalisme ancien contre lequel Darwin s’est construit, et un autre qui s’est accaparé sa théorie pour la dévoyer et servir les pires intérêts d’une bourgeoisie en crise.

La théorie darwinienne était beaucoup trop récente pour la médecine naissante sortie tout droit du giron kantien. Claude Bernard, qui était pourtant le fondateur du principe d’homéostasie que nous avons vu plus haut, est passé à un cheveu épistémologique de la théorie qui aurait donné à la médecine un aspect bien différent.

Non pas parce que l’évolution serait immédiatement déterminante dans ce domaine, mais parce qu’elle porte le principe, quand elle est bien comprise, de téléologie non-causale et la dimension théorique qui manque à l’homéostasie pour se sortir du réductionnisme positiviste et rentrer dans une conception moniste et holistique du vivant et de la médecine qui pourrait enfin être fondée sur la science.

Article suivant : Refondation thérapeutique : Propositions pour une pratique communiste de la santé

Montage Croizat KlimtMontage Croizat Klimt (Affranchi / Affranchi)


Sources :

(2) Patrick Tort, Darwin n'est pas celui qu'on croit, 2010

Sources images :

Johann Gottlieb Becker : Kant gemaelde 3

André Gill : Darwin as monkey on La Petite Lune

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