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Médecine

Qu'est-ce que la santé ? De l'anormalité et l'anomalité

La maladie existe-t-elle ? Pour certains, elle est le résultat d'un discours normatif, pour d'autres, elle est un état figé de la matière organique. Retour sur « Le normal et le pathologique » de Canghuilhem.

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Par Aurélien

Lecture 5 min

Cet article fait partie d'un dossier complet sur la médecine. Les arguments qui y sont développés s'inscrivent donc dans une totalité. CF : le sommaire.

Sommaire :
  1. Les paradigmes capitalistes de la médecine

  2. La crise du COVID-19 comme symptôme de la maladie capitaliste

  3. Qu'est-ce que le vivant ? Un bref horizon des réponses philosophiques et scientifiques

  4. Qu'est-ce que la santé ? De l'anormalité et l'anomalité

  5. Qu’est-ce que la médecine ? La leçon d'Hippocrate

  6. Approches et controverses : L'opposition médecine conventionnelle-non conventionnelle ou allopathique-holistique

  7. La médecine prise en otage : Entre scientisme et pseudo-science

  8. Des lobbys corrompus aux charlatans de province : Conséquences et dérives de la médecine bourgeoise

  9. Darwin complotiste ? Le néo-kantisme contre Darwin

  10. Refondation thérapeutique : Propositions pour une pratique communiste de la santé

Suite du dossier :

La médecine s’appuie sur les sciences du vivant. Celles-ci ont pour objet l’équilibre et la faculté de l’organisme à maintenir des constantes physiologiques subissant un ensemble de réactions de synthèses et de dégradations chimiques. Cependant, l’objet des sciences, qui lui donne sa teneur théorique, ne suffit pas à nous donner sa nature ou son but. C’est ce que nous allons essayer d’étudier ici.

Nous faisons généralement appel à la médecine lorsque nous sommes malades. La maladie apparaît comme un état perturbé dans lequel on rentre en opposition à un autre état plus équilibré. Cet état auquel s’oppose la maladie, nous l’appelons la santé. Mais qu’est-ce que la santé ? Si nous nous en tenons à la définition du vivant donnée plus haut, nous pourrions dire que la santé est l’état général caractérisé par l’équilibre de l’homéostasie et du métabolisme. On remarque que cette définition déduite de la définition du vivant se limite au biologique stricto sensu.

Pourtant, il n’est pas sûr que toutes les maladies soient nécessairement d’ordre physique. En effet, si on pense à la psychiatrie ou à la psychologie (sans trancher ici pour l'une ou l'autre approche), on a affaire à deux disciplines — notamment pour la dernière — qui ne s’occupent pas de traiter des troubles ayant trait au corps, mais plutôt à l’esprit. Bien sûr, les progrès récents de la neuropsychiatrie nous montrent l’importance de la physiologie et de la biochimie cérébrale dans les troubles neuropsychiatriques, mais les maladies mentales peuvent être, et sont aussi et surtout, d’ordre social et symbolique. Pensons à l’état psychologique de l’amoureux délaissé après une rupture : n’est-il pas parfois beaucoup plus grave que celui de l’individu ayant contracté un rhume saisonnier ? Son mal est davantage lié au monde des sentiments et du code historique qui les déterminent qu’au taux d’ocytocine présent dans son cerveau (bien que l’on puisse observer des changements hormonaux à l’aide des nouvelles technologies). N'est-il pas malade lui aussi ?

Mais pensons également à la personne en situation de handicap. On dit sans peine qu’elle « a une maladie », mais dans le cas où celle-ci est incurable, cela impliquerait que la personne concernée serait de facto exclue du champ de la bonne santé puisqu’étant malade. Pourtant, une vie en situation de handicap, si elle est bien prise en charge, peut tout à fait être menée, et ce, dans un équilibre certain pouvant à son tour être remis en cause par la contraction d’une maladie venant de l’extérieur. De ce point de vue, une personne en situation de handicap n'est pas « malade » puisque sa « maladie » est constitutive de son état d'équilibre.

La santé n’est donc pas limitée au vivant et aux « personnes valides ». Cependant, on ne peut nier que nous reconnaissons tous universellement un certain nombre d’états que nous appelons maladie. Elle nous détourne d’un état originel, que ce soit pour des raisons physiques ou psychologiques, et ce peu importe notre terrain de départ.

On constate que la conséquence commune de tout ce que nous pouvons classer dans la notion de maladie est de nous empêcher de conduire nos actions selon l’objet de notre volonté. La maladie est incapacitante, ce qui suppose donc un état inverse, suffisamment stable, où nous sommes capables, relativement à notre terrain personnel, de mener à bien les actions qui nous incombent. On pourrait l’appeler bonne santé. On retrouve ici la notion d’équilibre, mais élargie pour y inclure la dimension psychique de l’homme, et ce à partir d’un terrain propre à chacun.

Je suis en bonne santé quand mon état corporel et mental se situe dans sa zone d’équilibre et me permet d’agir librement, à partir des limites qui sont les miennes. La santé est donc définie en rapport avec le fait d’agir sur le monde et donc la liberté. Elle est la condition matérielle — car la psychologie est aussi matérielle — de ma liberté.

Mais alors, la définition de la santé devient relative à l’individu, ce qui pose problème vis-à-vis de son évaluation par autrui. L’évaluation propre de l'état de santé peut différer selon la personne chargée de mener l'évaluation. Cela dépend de son jugement personnel déterminé par l'histoire et les conventions sociales en vigueur. Cette position extérieure au point de vue du patient peut amener à négliger l’appréciation individuelle propre de l’état de santé dans la prise en charge. Cela peut être préjudiciable au patient, dans la mesure ou si l'on considère une différence comme une maladie, du fait de critères propres à une population en un temps donné, le corps médical peut tendre à pathologiser des comportements différents mais sains.

C’est un phénomène récurrent dans l’histoire de la médecine. On considérait autrefois, par exemple, des qualités comme la couleur de peau ou l’orientation sexuelle comme des maladies ! L’homosexualité était reconnue comme maladie mentale par le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) et l’on pratiquait des thérapies de « conversion » pour changer l’orientation des personnes attirées par le même sexe. « Thérapies » malheureusement toujours pratiquées dans certains pays, contre lesquels la France n’a toujours pas posé de restrictions juridiques. On voit donc que la notion de maladie a une dimension sociale et par conséquent celle de santé une dimension normative. Est malade quiconque s’écarte de la norme de santé.

Mais alors, comment pratiquer la médecine si la santé est un état subjectif propre au patient, et la maladie une norme imposée de l’extérieure ?

Canguilhem quand il était étudiantCanguilhem quand il était étudiant (Photographe inconnu / Wikipédia)

Pour le philosophe George Canguilhem (1), la médecine se veut être une biologie appliquée en postulant un état normal dont les états pathologiques seraient des dérivés quantitatifs. C'est-à-dire qu'en s'appuyant sur leurs observations, les biologistes établissent des moyennes constituant des états normaux de l'organisme. Mais ces moyennes sont des représentations théoriques, elles n'existent pas dans la réalité. Dans les faits, le vivant est un phénomène complexe. On l'a vu avec Darwin, les organismes sont en mutation perpétuelle. Ces mutations sont autant de dérives quantitatives des modèles théoriques. Or, on constate que, parfois, un éloignement quantitatif suffisant d'un modèle théorique dans un organisme provoque un renversement qualitatif modifiant complétement son fonctionnement initial, en bien comme en mal. Ce modèle s'applique aussi à la psychologie.

Il existerait donc un modèle hypothétique de ce que devrait être la bonne santé, et la maladie serait une dérive plus ou moins grave de ce modèle. Canguilhem s’interroge alors sur la possibilité de conserver une médecine s’appuyant sur des bases objectives tout en récusant les dérives scientistes qui imposeraient aux individus une norme morale. Il distingue pour ce faire deux sens du mot normal. Premièrement, il y a la normalité issue d’un jugement d’existence, considérée comme étant la moyenne des mesures opérées par la science. Deuxièmement, il y a la normalité issue des jugements de valeurs, considérée comme étant ce qui est conforme à ce qui est reconnu comme conforme à des attentes sociales non nécessairement démontrées.

Canguilhem propose ensuite de distinguer l’anomal de l’anormal. L’anomal, dérivé du mot « anomalie » correspond à la première normalité et ne désigne qu’une pure dérive statistique, suffisamment significative pour être isolée sans pour autant impliquer de jugement négatif. L’anormal se référant donc à la deuxième normalité, qui correspond à une infraction à la norme de ce qui est attendu socialement.

Ainsi, l'anomalie témoigne bien d’une différence objectivable avec une norme scientifique donnée dont la prise de conscience par le patient demeure subjective. Si cette réalité objective est comprise et acceptée par le patient, le médecin et lui partagent alors la même réalité. De cette entente peut découler un véritable dialogue, alors basé sur le consentement libre et éclairé du patient.

La santé est donc un état d’équilibre physiologique et psychique, sans incapacité particulière, évalué à partir d’un terrain individuel et en rapport avec une norme théorique fondée sur la moyenne des mesures obtenues par la science.

La maladie est une anomalie physique ou mentale qui diverge quantitativement ou qualitativement de façon suffisamment significative d’une norme théorique fondée sur la moyenne des mesures obtenues par la science. La maladie est portée à la connaissance du sujet concerné, ou bien à celle de ses responsables en cas d’incapacité de discernement.

Article suivant : Qu’est-ce que la médecine ? La leçon d'Hippocrate

Montage Serment d'Hippocrate La Leçon d'anatomie du docteur TulpMontage Serment d'Hippocrate La Leçon d'anatomie du docteur Tulp (Affranchi / Affranchi)


Sources :

(1) Georges Canguilhem, Le Normal et le Pathologique, 1966

Sources images :

Alexandre-Charles Guillemot : Erasistrate découvre la maladie d'Antiochus

Auteur inconnu : Georges Canguilhem

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